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Un Wozzeck choc à Avignon

Avignon
Opéra-Théâtre
01/27/2013 -  et 29 janvier (Avignon), 8, 10 février (Reims), 5, 7 (Limoges), 29, 31 mars, 2 avril (Rouen) 2013
Alban Berg : Wozzeck, opus 7 (arrangement John Rea)

Andreas Scheibner (Wozzeck), Barbara Ducret (Marie), Gilles Ragon (Le Capitaine), Philippe Do (Andres), Yves Saelens (Le Tambour-major), Eric Martin-Bonnet (Le Docteur), Aurore Ugolin (Margret), Alain Herriau (Premier compagnon), Florent M’Bia (Second compagnon), Raphaël Brémard (L’Idiot)
Chœur de l’Opéra-Théâtre du Grand Avignon, Aurore Marchand (chef de chœur), Orchestre lyrique de région Avignon Provence, Pierre Roullier (direction)
Mireille Larroche (mise en scène), Alain Patiès (assistant à la mise en scène), Dorian Astor (dramaturgie), Jean-Pierre Larroche (scénographie), Danièle Barraud (costumes), Jean-Yves Courcoux (lumières)


A. Scheibner, B. Ducret (© Cédric Delestrade)



Pour commencer, rendons hommage à Raymond Duffaut, conseiller artistique de l’Opéra-Théâtre du Grand Avignon, qui a eu le courage de monter, dans une maison plutôt «conservatrice» et dédiée au répertoire courant, le Wozzeck d’Alban Berg, ouvrage réputé difficile et même pour beaucoup hermétique. Dans cette aventure, trois autres institutions lyriques ont suivi l’infatigable directeur de théâtre, ceux de Reims, Limoges et Rouen, où l’ouvrage sera donné ces prochaines semaines. La mise en scène a été confiée à Mireille Larroche, autre infatigable et incontournable figure du paysage lyrique français, qui préside, depuis plus de 30 ans, on le sait, aux destinées de la fameuse Péniche Opéra.


Disons-le d’emblée, le spectacle a été reçu comme un coup de poing par le public qui a très bien réagi (et qui a répondu plutôt présent, ce qui n’était pas gagné d’avance...). «C’est bouleversant, il n’y a pas un temps mort», a-t-on entendu de la part d’une spectatrice à l’issue de la représentation. Il est vrai que la force ce chef-d’œuvre de la musique (et du texte de Georg Büchner) est telle qu’il résiste à tout, à l’image du Don Giovanni de Mozart. Mais lorsque tout concourt à en exalter les beautés les plus secrètes, lorsque l’intelligence et l’oreille du spectateur sont sollicitées dans le même sens, sa puissance émotionnelle en est redoublée. C’est ce qui s’est passé à Avignon, où l’accord le plus profond a régné entre la fosse et le plateau. D’abord, le chef Pierre Roullier et Mireille Larroche ont décidé de ne point interrompre la marche du destin par un entracte. C’est que le découpage, digne d’un scénario, impose déjà à l’action un rythme haché. Elle se résume ainsi en une succession de flashs sur les épisodes les plus douloureux des protagonistes. En à peine plus d’une heure, tout est dit.


Mireille Laroche transpose l’action de nos jours, dans une sordide cité de banlieue: Wozzeck est agent d’entretien municipal et vit avec Marie dans une fourgonnette, où l’héroïne semble faire parfois des passes. Autour d’eux, tout est sale, moche et misérable. Le dispositif scénique imaginé par Jean-Pierre Larroche est essentiellement constitué d’une palissade en aluminium, derrière laquelle se trouve une décharge à ciel ouvert, un no man’s land seulement ponctué par des réverbères à la lumière blafarde mais surtout par un immense panneau publicitaire – «image carnivore qui impose sans cesse son obscénité marchande et régulatrice des désirs», commente le scénographe. De cet univers précaire plein de désespérance sourdent une intense violence, une solitude désolée et une profonde angoisse. L’idée la plus puissante de Mireille Larroche est de maintenir l’enfant du couple sur scène pendant quasiment toute la durée du spectacle: «Cet enfant, c’est la question de ce que nous sommes, de ce que nous allons devenir. Question absolument ouverte, précaire et effrayante. Mais c’est la seule question d’avenir» confie t-elle dans ses notes d’intention.


La mise en scène est servie par un plateau dans l’ensemble excellent et, surtout, très judicieusement distribué en fonction des ressources de chacun. Andreas Scheibner campe un superbe Wozzeck, fascinant de vérité dans son étrangeté hagarde et dans son incapacité maladive à sortir du rail où l’a placé la société. Replié la plupart du temps sur lui-même, le baryton allemand peut basculer dans des explosions saisissantes de violence aveugle. Sa Marie, la soprano française Barbara Ducret, est non moins admirable: voix généreuse, ample et charnue, aigu éclatant, tempérament de feu, présence scénique intense. Elle procure une profonde émotion dans la scène de la berceuse ou celle de la lecture de la Bible. Les autres rôles possèdent le même relief, avec des compositions très travaillées compensant largement l’inégalité des moyens vocaux. Eric-Martin Bonnet est superbe d’autorité en Docteur, formant un couple vraiment infernal avec le Capitaine de Gilles Ragon. La projection du ténor français s’avère tranchante – malgré des aigus parfois un peu tirés, à la limite de la justesse – et son charisme d’acteur confère au personnage toute son ampleur. Le jeune ténor montpelliérain Raphaël Brémard, lui aussi excellent acteur (quel formidable Innocent il ferait dans Boris Godounov!), anime à merveille son personnage retombé en enfance. Yves Saelens incarne un Tambour-major d’une belle prestance et nous gratifie de sa projection vocale pleine d’autorité. Enfin, Aurore Ugolin campe une fort plausible Margret et Philippe Do un pathétique Andres.


C’est une version réorchestrée par John Rea que nous avons entendue ce soir. Créé en 1995 au Canada, l’arrangement pour vingt-et-un instrumentistes resserre le cadre théâtral et place le spectateur au plus près de la tragédie. Sous l’impulsion de Pierre Roullier, l’Orchestre lyrique de Région Avignon Provence offre une admirable palette de couleurs. Le chef français fouille au plus près la partition, traque et sculpte ses détails et ses nuances, distingue tel ou tel pupitre (même si l’attaque des trompettes dérape parfois, mais on sait que la réussite de ces interventions tient du miracle). Grâce à la version retenue, on a le sentiment d’une longue musique de chambre, ce qui n’empêche pas les timbres de la phalange provençale d’éclater et de scintiller dans les magnifiques interludes orchestraux.


Bref, le (trop rare) chef d’œuvre d’Alban Berg a de nouveau fonctionné.



Emmanuel Andrieu

 

 

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