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Pelléas version ténor

Nice
Opéra
01/15/2013 -  et 17, 19 janvier 2013
Claude Debussy: Pelléas et Mélisande
Sébastien Guèze (Pelléas), Sandrine Piau (Mélisande), Franck Ferrari (Golaud), Sir Willard White (Arkel), Elodie Méchain (Geneviève), Khatouna Gadelia (Yniold), Thomas Dear (Le médecin, Le berger)
Chœur de l’Opéra de Nice Côte d’Azur, Giulio Magnanini (direction), Orchestre philharmonique de Nice, Philippe Auguin (direction musicale)
René Koering (mise en scène et costumes), Virgil Koering (décors), Patrick Méeüs (lumières)


S. Guèze, S. Piau (© Dominique Jaussein)


Après deux ans de vacance, de remous et d’incertitudes, un directeur artistique vient enfin d’être nommé à l’Opéra de Nice, en remplacement d’Alain Lanceron, congédié dans des conditions sur lesquelles nous ne reviendrons pas, l’«affaire» ayant largement été relatée. Il revient ainsi à Marc Adam, qui dirigeait jusqu’alors le Théâtre de Berne, de reprendre les rênes d’une maison à laquelle il entend redonner son ancien prestige, notamment en étoffant, en termes de titres, les prochaines saisons. Préparée par Philippe Auguin, directeur musical de la maison, la saison 2012-2013 met à l’affiche en ce mois de janvier l’unique opéra achevé de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande.


René Koering, qu’on ne présente plus, a fait le choix d’une mise en scène sobre et épurée, à l’inverse de celles, souvent provocantes, qu’il a précédemment pu signer, notamment à l’Opéra national de Montpellier, dont il a longtemps assuré la charge. Dans une scénographie esthétisante et stylisée conçue par son fils Virgil Koering, le rideau se lève sur une forêt aux troncs filiformes, dépouillés, et comme calcinés. Le tableau suivant fait apparaître une pièce du château de Golaud, vidée de tout élément de décor et ceinte de panneaux sombres et striées (hommage à Soulages?) aux formes géométriques variables, qui génère un sentiment de claustrophobie prégnante et d’angoisse sourde. Néanmoins, deux hautes persiennes sur la droite, en ouvrant sur l’extérieur et en laissant passer un filet de lumière, procurent quelque soulagement au spectateur. Tout en contrastes, en clairs-obscurs ou en contre-jours, les éclairages magiques de Patrick Méeüs jouent un rôle prépondérant dans le spectacle, de même que de saisissantes projections vidéo évoquent des éléments naturels tels que le ciel (évidemment nuageux et menaçant), l’eau (à la surface mouvante) ou le feu (sous la forme de lave en fusion). La régie voulue par Koering écarte toute velléité de prosaïsme: dans la «scène de la tour», par exemple, on échappe à la longue cascade de cheveux de Mélisande, remplacée ici par un grand voile bleu tissé de fils d’or dont s’enivre Pelléas, de même qu’on ne verra pas Golaud empoigner Mélisande par les cheveux à l’acte IV. L’antiréalisme de la mise en scène tend aussi à aiguiser l’écoute de cette musique toujours à la frontière du silence et de la suspension du discours. Sa puissance de fascination ne faiblit jamais et augmente même d’acte en acte, jusqu’à la scène finale, quasiment plongée dans l’obscurité, d’une noirceur et d’une implacabilité qui prennent à la gorge.


A la tête d’un Orchestre philharmonique de Nice en grande forme, le chef français Philippe Auguin cisèle la partition de Debussy, en livrant une lecture intimiste et impressionniste de l’ouvrage, constamment attentif à lui restituer ses pulsations, sa transparence, sa poésie et son mystère. Il n’en privilégie pas moins, dans les moments dramatiques, des sonorités d’une flamboyance toute wagnérienne. Par ailleurs, ce n’est pas le moindre de ses mérites d’avoir rassemblé une distribution entièrement française (à l’exception d’Arkel), à la diction généralement impeccable qui permet de saisir chaque mot de Maeterlinck et de donner ainsi aux dialogues toute leur force.


Le rôle de Pelléas est confié ce soir à une voix de ténor, non pas à celle d’un baryton (rappelons au lecteur que Debussy avait primairement pensé et écrit cette partie pour cette tessiture). C’est le jeune Sébastien Guèze qui endosse ce superbe rôle auquel il offre son physique de jeune premier, son habituelle fougue ainsi qu’une désarmante sincérité. Comme de coutume, son chant est empreint de raffinement et d’élégance, la tessiture est franche, la voix saine et il cultive, avec un rare bonheur, les nuances les plus fugitives. Enfin, même si la partition retenue est bien celle destinée à un baryton aigu, il ne peine que rarement dans le registre grave, la voix s’étant singulièrement assombri depuis quelque temps. Pour notre plus grande joie, c’est la délicieuse Sandrine Piau qui lui donne la réplique en Mélisande. La soprano française gratifie l’auditoire de son timbre lumineux et de sa musicalité sans faille; elle nimbe son personnage de mystère, en lui donnant des grâces d’oiseau pris au piège, et distille une constante émotion, achevant le portrait d’une Mélisande qui ne quittera pas de sitôt notre mémoire.


Dans le rôle de Golaud, le baryton niçois Franck Ferrari déçoit; il offre toujours la même émission engorgée, le même déficit en termes de volume, la même diction pâteuse et la voix s’étrangle systématiquement dès qu’il s’agit de monter dans l’aigu. Seule sa présence dramatique, indéniable, rachète la prestation de l’artiste. Après la défection successive de trois chanteurs différents, Sir Willard White, arrivé seulement trois jours avant la première, est un véritable luxe dans le rôle d’Arkel. Sa voix d’airain (il est l’un des plus grands Wotan du moment), la noblesse de son phrasé, son excellente diction de notre langue et la profonde humanité qu’il confère à son personnage font de lui un roi d’Allemonde fascinant. Elodie Méchain campe une altière Geneviève, mais le timbre manque de profondeur et la fameuse «scène de la lettre», si elle est déclamée avec retenue, ne déclenche pas chez nous l’émotion escomptée. L’attachante Khatouna Gadelia incarne un Yniold tout de fraîcheur et de spontanéité tandis que la basse française Thomas Dear fait forte impression, avec ses graves sonores et son timbre au grain somptueux, dans les courtes interventions du berger puis du docteur.


En conclusion, un véritable régal et un des plus beaux Pelléas que nous ayons vus et entendus sur une scène lyrique.



Emmanuel Andrieu

 

 

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