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Gâteaux d’anniversaire Paris Espace Pierre Cardin 12/22/2012 - et 10 (Meaux), 17 (Fontainebleau) novembre, 16, 17 (Vitry-sur-Seine), 23, 29, 30 (Paris) décembre 2012 Engelbert Humperdinck : Hänsel und Gretel (transcription Takénori Némoto)
Jennifer Whennen*/Eléonore Pancrazi (Hänsel), Yolanda Fresedo*/Charlotte Plasse (Gretel), Vikrant Subramanian*/Paul-Alexandre Dubois (Le Père), Anne Rodier (La Mère), Artavazd Sargsyan*/Christophe Crapez (La Sorcière), Claire Lairy (Le Marchand de sable, Le Bonhomme rosée)
Maîtrise des Hauts-de-Seine, Gaël Darchen (direction), Ensemble Musica Nigella/Pas-de-Calais: Anne-Cécile Cuniot (flûte), Catherine Coquet (hautbois), Coralie Ordulu (clarinette), Sébastien Joly (piano), Pablo Schatzman (violon), Soazic Le Cornec (alto), Annabelle Brey (violoncelle), Florentin Ginot (contrebasse), Takénori Némoto (direction musicale)
Mireille Larroche (mise en scène), Dominique Pichou (scénographie), Gérard Vendrely (lumières), Anne Lezervant (costumes), Francesca Bonato (chorégraphie)
C’est le spectacle des fêtes par excellence dans les pays germaniques – ce «conte musical» en trois tableaux fut d’ailleurs créé un 23 décembre (1893) à Weimar sous la direction de Richard Strauss. Mais Hansel et Gretel, seul ouvrage de Humperdinck à s’être imposé au répertoire, enregistré en leur temps par les Schwarzkopf, Grümmer (avec Karajan) et autres Popp et Fassbaender (avec Solti), n’a pas encore vraiment trouvé son public en France, malgré l’excellente mise en scène de Yannis Kokkos au Châtelet en 1997 ou bien les non moins remarquables marionnettes de Johanny Bert au Centre lyrique Clermont-Auvergne la saison dernière.
Il y a donc tout lieu de se réjouir de cette nouvelle production de La Péniche Opéra, car elle offre aux Parisiens la possibilité de découvrir le chef-d’œuvre du compositeur allemand. Et rien de plus normal que de fêter un anniversaire avec des gâteaux, ceux du célèbre conte des frères Grimm, pour les trente ans de la compagnie fondée et dirigée par Mireille Larroche, qui, pour l’occasion, se transporte hors les murs – ou plutôt «hors les coques» –, abandonne son format de poche et investit pour quatre représentations les quartiers chics de la capitale en optant pour le confort désormais assez vieillot de l’Espace Pierre Cardin. On regrette toutefois l’intimité et le charme des embarcations amarrées quai de la Loire, d’autant qu’un projecteur placé sous l’écran dévolu aux surtitres en rend la lecture assez pénible et que, contrairement aux habitudes, c’est un simple tract qui est distribué aux spectateurs en guise de programme.
Dans la fosse, ou ce qui en tient lieu, en contrebas du parterre, huit musiciens de l’Ensemble Musica Nigella – certains d’entre eux sont par ailleurs associés aux deux opérettes d’Offenbach actuellement données par la compagnie Les Brigands à l’Athénée – rendent justice au magnifique arrangement réalisé par leur chef, Takénori Némoto, qui assure en outre la haute tenue musicale de cette production. Ce n’était pourtant pas une mince affaire que de réduire de la sorte le chatoyant orchestre postwagnérien de Humperdinck, la seule réserve étant que la configuration du lieu tend parfois à ce que les chanteurs soient un peu trop couverts.
Ceux-ci ne s’en révèlent pas moins excellents, à en juger du moins par ceux qui assurent la version originale (avec une diction inégalement idiomatique) – Sébastien Joly, le pianiste de l’ensemble, a en effet concocté une adaptation française du livret, dont quatre des cinq rôles principaux sont confiés à une distribution alternative (sur le papier, les prestations de Paul-Alexandre Dubois en père et, plus encore, Christophe Crapez en sorcière paraissaient tout particulièrement prometteuses). Incarnés par l’Américaine Jennifer Whennen et l’Argentine Yolanda Fresedo, Hansel et Gretel forment un jeune duo d’un grand dynamisme scénique et d’une belle qualité vocale. Les parents, Vikrant Subramanian et Anne Rodier, truculents à souhait, ne sont pas en reste et, comme l’usage l’admet, c’est un ténor, Artavazd Sargsyan, qui se travestit en sorcière, venant aisément à bout de son air de bravoure. Claire Lairy endosse avec bonheur le personnage du marchand de sable puis celui du bonhomme Rosée. Les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine – dix sur scène vêtus comme les deux protagonistes et six en coulisses – font preuve de davantage d’aisance musicale que théâtrale.
Mireille Larroche a su résister à la tradition mièvrement pastorale et aux sirènes de cette musique mêlant enracinement dans les Volkslieder (originaux ou inventés) et comédie dans le style des Maîtres chanteurs. Même si le concept de transposition à notre époque est quasiment devenu une figure obligée de la mise en scène, le traitement paraît assez radical et inattendu dans le premier tableau – la note d’intention fait notamment référence à Basquiat – avec un décor urbain et quart-mondiste de Dominique Pichou, très habilement mis en lumières par Gérard Vendrely, mais qui contraste avec l’atmosphère de l’Ouverture: habitat (maison? appartement? squat?) délabré au pied d’un univers urbain au design quasi futuriste (la cité du Caligari de Wiene revue par le Tati de Playtime), mur tagué, palissade de guingois, réfrigérateur et plaques chauffantes. Après un changement à vue, le deuxième tableau n’est guère plus rieur: jonchée de bouteilles en plastique et de pneus usagés, la forêt enchanteresse des romantiques allemands porte les stigmates du voisinage de la ville et des outrages de la société de consommation. Les costumes d’Anne Lezervant sont à l’avenant, à l’image de Hansel, blouson jaune, chemise à carreaux, casquette de travers et casque sur les oreilles.
Après l’entracte, au troisième tableau, la publicité, la télévision et la malbouffe passent au collimateur de la satire et de l’humour: à l’enseigne en néons lumineux de Rosine’s et dans un délire flashy d’une drôlerie féroce, la sorcière, même si elle chevauche un balai et finit sa carrière en traditionnel Lebkuchen dont les protagonistes se régalent durant le lieto fine, diffuse des émissions de cuisine et des spots outrageusement colorés, manie la zappeuse au lieu d’une baguette et attire les enfants dans ses filets avec de la biscuiterie industrielle et autres fraises Tagada avant de les installer dans des fauteuils gonflables transparents et d’emballer Hansel dans du film alimentaire.
Une fois de plus, à La Péniche Opéra, si l’on incite le spectateur à réfléchir, ce n’est donc pas de manière pesante ou didactique, mais sans se prendre au sérieux ni faire preuve d’irrespect à l’égard des œuvres. La poésie retrouve ainsi ses droits lorsqu’apparaissent le marchand de sable et ses boules à facettes puis le bonhomme Rosée et ses bulles de savon. Et l’impression d’ensemble, alerte et souriante tout au long de ces 95 minutes, ne vient pas contredire le message de l’opéra, grâce à une direction d’acteurs hyperactive et aux chorégraphies de Francesca Bonato. Petits et grands y trouvent donc leur compte et, plus encore, l’opéra de Humperdinck: contrat rempli pour ce Hansel et Gretel encore trop peu connu dans notre pays.
Le site de La Péniche Opéra
Le site d’Anne Rodier
Le site de l’Ensemble Musica Nigella/Pas-de-Calais
Le site de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Simon Corley
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