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Une Traviata sous l’Occupation

Avignon
Opéra-Théâtre
11/25/2012 -  et 28 novembre*, 1er décembre 2012
Giuseppe Verdi : La Traviata

Patrizia Ciofi (Violetta Valery), Letitia Singleton (Flora Bervoix), Ludivine Gombert (Annina), Ismael Jordi (Alfredo Germont), Marc Barrard (Giorgio Germont), Raphaël Bremard (Gastone de Letorieres), Jean-Marie Delpas (Il Barone Douphol), Christophe Gay (Il Marchese d’Obigny), Luc Bertin-Hugault (Il Dottore Grenvil), Gentin Ngjela (Giuseppe), Antoine Abello (Il Commissionario), Xavier Seince (Un Servitore)
Nadine Duffaut (mise en scène), Emmanuelle Favre (décors), Gérard Audier (costumes), Jacques Chatelet (lumières), Eric Belaud (chorégraphie)
Choeurs de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, Aurore Marchand (direction), Orchestre lyrique de Région Avignon Provence, Luciano Acocella (direction musicale)


P. Ciofi (© Cédric Delestrade)


On ne fait plus aujourd’hui de Traviata d’époque et l’héroïne de Verdi voyage dans le temps, au gré de l’imagination du metteur en scène, la première moitié du vingtième siècle recueillant souvent les suffrages. Avouant s’être inspirée des Damnés de Visconti, Nadine Duffaut a choisi la période de l’Occupation, également à la mode en ce moment dans les programmes télévisés, au vu du nombre de fictions qui s’inscrivent dans cette époque trouble de notre histoire nationale. Le risque d’alourdir la sémiologie est soigneusement évité – tout juste quelques brassards à croix gammées viennent rappeler que le Lutetia deviendra dans un avenir proche l’asile des déportés – et le cadre sert de manière remarquablement efficace le déroulement narratif, servi de surcroît par une direction d’acteur sensible. De fait, le hall de palace ne cède jamais à quelque facilité esthétisante. On n’oublie pas qu’il s’agit de théâtre et que le réalisme n’y est pas une loi intangible. Ainsi, le carnaval se projette-t-il en défilé noir et blanc de femmes tondues pour avoir collaboré sexuellement avec l’occupant – les paroles de Violetta n’évoquent-elles pas ceux qui souffrent en ce temps de fête et de réjouissance? Selon son habitude de donner la parole aux personnages cachés des livrets, Nadine Duffaut nous réserve une belle trouvaille en faisant arriver Germont au bras d’une jeune fille de bonne extraction. Si l’on peut penser à sa jeune maîtresse, c’est la sœur d’Alfredo qui s’impose rapidement à l’esprit, venue attendrir Violetta sur son sort que la courtisane compromet en vivant avec son frère. Lorsqu’Alfredo arrive, elle vient mettre sa main dans la sienne – ne serait-ce pas la promise prévue par le patriarche? Loin d’obérer le sens de la scène, l’ambiguïté l’enrichit, fondée sur une lecture précise du texte, fournissant une idée curieusement sous-évaluée par des metteurs en scène et directeurs de maison obnubilés par l’attirance de Giorgio Germont pour Violetta, plus vieille qu’Alfredo – là réside l’une des clefs du scandale à une époque où il était transgressif que le mari fût plus jeune que son épouse, l’inverse étant au contraire dans les mœurs.


Traviata inscrite au répertoire, Patrizia Ciofi livre une incarnation éminemment théâtrale, dans la lignée de laquelle s’est par la suite inscrite Natalie Dessay. La fragilité du timbre exprime sans médiation belcantiste celle de l’héroïne, qui n’en sonne pas moins virtuose à défaut d’un galbe sensuel et juvénile. L’intensité avec laquelle la soprano italienne se jette dans le rôle relègue au second plan des questions techniques souvent portées par une esthétique aussi légitime que discutable à la lecture de l’histoire du chant. Carbonisée par la phtisie, elle séduit et émeut, sans subordonner la partition aux planches, ce que ne sait pas toujours éviter son Alfredo. Doué d’une incontestable projection, Ismael Jordi affiche cependant une émission serrée, nasalisant à l’excès la couleur vocale. Jeune et gauche, Marc Barrard affirme une autorité par trop maladroite en Germont. Un peu raide, son personnage touche modestement, alors que sa partie n’est pas avare d’inflexions psychologiques qui ne demandent qu’à être habitées. Les comprimarii se montrent souvent à la hauteur, à commencer par la Flora de Letitia Singleton, même s’ils se contentent généralement de camper la situation. Evoquons le Douphol de Jean-Marie Delpas, le Letorieres de Raphaël Bremard ou le marquis d’Orbigny dévolu à Christophe Gay. Luc Bertin-Hugault, en docteur Grenvil, sait mettre en confidence l’Annina fidèle de Ludivine Gombert. Mentionnons également le Giuseppe de Gentin Ngjela, le commissaire d’Antoine Abello et le serviteur, Xavier Seince. Sous la férule d’Aurore Marchand, les chœurs témoignent d’une efficacité égale à la direction de Luciano Acocella, sacrifiant parfois la retenue à l’expressivité dramatique. Coproduite par Massy, Metz, Reims, Toulon et Vichy, cette Traviata intelligente et bien servie, se justifie sans peine au répertoire.



Gilles Charlassier

 

 

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