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Makropoulos recouvert et dénudé

Brno
Théâtre Janácek
11/23/2012 -  
Leos Janácek: Vec Makropulos
Zhanna Afanasieva (Emilia Marty), Michael Putsch (Albert Gregor), Martin Nyvall (Vitek), Judita Nagyová (Krista), Kurt Schober (Jaroslav Prus), Martin Platz (Janek), Gustáv Belácek (Kolenatý), Richard Kindley (Hauk-Sendorf)
Orchestre et Chœur de la Philharmonie de Nuremberg, Tarmo Vaask (directeur du chœur), Marcus Bosch (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène), Radu Boruzescu (décors), Miruna Boruzescu (costumes), Robert Carsen/Peter von Praet (lumières)


Z. Afanasieva & M. Platz (© Jutta Missbach)


Un des spectacles les plus attendus, les plus convoités, le Makropoulos de Robert Carsen, a été le grand succès du Festival Janácek de Brno. Ce n’est pas une première mondiale, mais à ce jour cette dernière n’est pas une des productions les plus connues du metteur en scène canadien. Et c’est là un de ses grands atouts.


Souvenons-nous que l’auteur de cette comédie dramatique, ou tragédie, est Karel Capek, l’un des pères de la langue tchèque des temps modernes. Ce n’est pas un hasard si Janácek, le père de la musique tchèque dans les mêmes années, choisit ce texte d’un lyrisme caché, qui semble écrasé par le langage juridique des différents cas, les procès, et les réflexions sur le temps et son parcours ; mais aussi les explosions d’amour-passion rapidement démenties et anéanties par l’indifférence d’Emilia, d’Elina, de la femme dont les initiales sont toujours E.M.



L’histoire de L’Affaire Makropoulos offre plusieurs possibilités, plusieurs niveaux d’approche. Le plus manifeste, par exemple: la femme de 330 ans (dans les années 1920) comme métaphore riche en suggestions sur le temps et, finalement, de la longueur de la vie comme quelque chose d’indésirable, comme un fardeau, une peine intolérable. Du point de vue musique-théâtre, c’est l’opéra-entretien, l’opéra-conversation comme réussite inouïe d’une forme d’art lyrique que l’opéra du XXe siècle aura comme l’un de ses idéaux, non pas par la conversation lyrique, mais surtout par la réussite d’un récitatif cantabile tout naturel; issu du naturel, pour ainsi dire, et jamais mieux que chez Janácek, qui prenait des notes et réalisait des esquisses « du naturel ». Lisons, comme un très court exemple, son tardif article sur la fille de Smetana, pétri de musique, la musique des paroles. Le secret de Janácek est là, dans l’annotation de la musique des personnages, des animaux, des bruits de la nature ou de la rue, plus que dans le folklore, même si la musique morave a été stimulante et décisive pour son cheminement théâtral et les modes et rythmes inconnus un peu plus vers le Sud-Ouest (à Vienne), un peu plus au Nord-Ouest (à Prague).


Du point de vue du protagoniste et de ses rapports avec les autres, on trouve la passion, la fascination, l’amour qu’elle provoque, comme si elle était une Lulu dans la ménagerie. Ici on aurait une petite et belle Geschwitz croisée du personnage du lycéen, la jeune Krista. Elina/Emilia chante l’opéra, c’est une diva, elle nous ensorcelle, nous séduit sans façon, hommes et femmes ; elle est toujours jeune, mais ce n’est pas une jeune femme. Elle a la froideur, la distance de ses trois siècles, elle est blasée et implacable (sans avoir, d’ailleurs, aucun recours à la cruauté).


Il y a aussi le procès, le grand procès infini, centenaire, comme dans le roman de Dickens La Maison d’Âpre-Vents. Le procès n’est ici que « le McGuffin » d’Hitchcock.


Carsen assume dans sa production toute la tradition que L’Affaire Makropoulos a déjà derrière elle. Mais son imagination inexorable, conséquence d’un incessant travail d’approfondissement du texte-musique, texte-livret et le texte sous-jacent des opéras qui le conduit à montrer une évidence qui nous avait échappée : Elina Makropoulos est née à la fin du XVIe siècle, c’est une toute jeune femme au moment de « l’invention » de l’opéra. L’ouverture, succincte mais suffisante pour une espèce de ballet clair et explicatif, pose la question de l’histoire de cette femme: la diva de l’opéra qui traverse trois siècles, avec des costumes de tous genres, des reconstructions historiques tant goûtées par une tradition romantique imposée aux théâtres d’opéra pendant presque tout un siècle après la fin du romantisme. Dans la mise en scène de Carsen, le temps s’écoule à travers l’histoire de l’opéra, la vie d’une fantastique diva qui a vécu toute l’histoire de ce drôle, de ce genre théâtral absurde qui nous passionne et qu’on nomme l’opéra. Extérieurement, elle n’a pas vieilli, mais son âme s’est rétrécie comme une peau de chagrin, et dans toute sa sénilité elle offre comme une réplique du portrait de ce malheureux Dorian Gray.


Après la présentation d’Emilia pendant l’Ouverture et le premier acte, le deuxième nous conduit dans le théâtre où elle triomphe, comme toujours, depuis des siècles. On n’est plus en coulisses, comme dans l’original, mais sur la scène, après la représentation : les décors sont ceux de Turandot, un opéra de cette époque, véritable métaphore du protagoniste en tant que femme implacable. Les décors sont démontés, les admirateurs entourent la diva, Krista est dans la distribution, hébétée: le costume de Turandot enlevé peu à peu, Emilia revient, elle porte une perruque semblable à la coiffure de Louise Brooks dans La Boîte de Pandore, le film de Pabst sur la Lulu de Wedekind, de la même époque que tout cet imaginaire des Capek, Janácek, Puccini... C’est l’acte final qui se développe en coulisses: la chute, ou plutôt la renonciation. Le décor a perdu son éclat. Et ce n’est pas Krista qui détruit la « chose Makropoulos », le document, la formule, c’est Elina, elle-même. Ensuite, elle s’avance (pour la dernière fois ?) vers les feux de la rampe, au fond, peut-être vers la fin du règne des divas (non pas dans au théâtre, mais dans le tout jeune opéra de ce début de siècle. La métaphore est riche, certainement, mais elle est exposée visuellement: histoire d’une démesure dont Elina est la bénéficiaire-victime, et de sa Némésis finale où l’équilibre retrouvé par la renonciation a le poids insoutenable de la longévité, ou de l’immortalité. Génial, comme d’habitude chez Carsen, ce surdoué de l’opéra.


Mais il y a un autre élément important dans cette mise en scène: la direction d’acteurs, toujours très soignée par Carsen, et tout particulièrement ici, avec des décors qui facilitent les rapports, les évocations, le passage d’une ambiance à une autre, voire d’un temps à un autre temps. On connait les belles mises en scène de cet opéra, mais elles sont souvent appauvries par les gestes que les acteurs-chanteurs se croient obligés de réitérer dans cet opéra-conversation. Et c’est justement à cause de cela, de cet entretien, de ces mots chantés-parlés dans un bureau ou dans les coulisses d’un théâtre. Ce n’est pas le cas de cette version sans excès de gestes où de grimaces.


Ainsi, Zhanna Afanasieva (Tatiana, Donna Elvira, Cio-Cio San, etc.), ajoute à sa très belle ligne de chant (lyrique, dramatique, même) une construction du personnage en grande comédienne. Une voix protagoniste idéale pour une approche tout à fait différente. La construction d’Afanasieva restera dans les mémoires, et peut-être l’est-elle déjà grâce à une captation audiovisuelle que l’on attend avec impatience.


Le reste de la distribution, mesurée mais toujours présente pendant le développement de l’intrigue, est à la hauteur de cette formidable Emilia, et surtout la Krista de la jeune Judita Nayová, le grand Gregor de Michael Putsch, et le très juste Vítek de Martin Nyvall. Clin d’œil dans l’apparence de Richard Kindley dans le rôle du « fou d’Elina », Hauk-Sendorf : il a l’aspect de Janácek lui-même, qui se mourait d’amour pour Kamila Stösslová à cette époque-là.


Et avec tout cela, une prestation pleine de force, de continuité dramatique implacable, de Marcus Bosch à la tête du Philharmonique de Nuremberg. Ce Makropoulos est une coproduction de l’Opéra du Rhin (Strasbourg) en avril 2011 et de la Fenice (en mars 2013) dont le parcours ne fait que commencer.


Un grand succès à Brno, où Carsen, Afanasieva, Bosch, ont tous été « des prophètes » dans le pays de Janácek. Redisons-le, il s’agit du plus grand succès du Festival Janácek 2012.


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Santiago Martín Bermúdez

 

 

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