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Splendeur retrouvée Vichy Opéra municipal 09/21/2012 - et 23 septembre 2012 Giacomo Puccini : La bohème
Alexia Voulgaridou (Mimi), Sébastien Guèze (Rodolfo), Franco Pomponi (Marcello), Brigitte Hool (Musette), Benoît Capt (Schaunard), Daniel Golossov (Colline), Marcin Habela (Benoît, Alcindoro), Nicolas Wildi (Parpignol)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Enfants de la Maîtrise de la Cathédrale du Puy, Orchestre d’Auvergne, Cyril Diederich (direction musicale)
Eric Vigié (mise en scène), Ezio Toffolutti (décors et costumes)
A. Voulgaridou, S. Guèze (© Raphaële Gigot)
Non, l’Opéra de Vichy n’est point mort, ni même assoupi, bien qu’il ait certes un peu perdu de sa superbe. Dans la première moitié du XXe, le théâtre «Art nouveau» de la célèbre cité thermale était le plus vaste opéra de province (la jauge est de 1500 places!) et tous les grands noms du chant lyrique s’y produisaient durant la période estivale. Le grand Richard Strauss y vint même diriger sa Salomé en 1935, comme le rappelle une plaque dans le hall de l’opéra. Placée sous la houlette de Diane Polya-Zeitline, directrice artistique de l’institution vichyssoise, la programmation demeure attrayante. Entre la fin juin et la fin septembre, ce sont des artistes ou des ensembles tels que Renaud Capuçon, l’Orchestre de l’Opéra de Rouen, le Quatuor Ardeo ou encore Philippe Jaroussky (accompagné du de l’Orchestre baroque de venise) qui se seront produits ici. Mais la programmation estivale fait également la part belle à l’opéra. Après Le Barbier de Séville et Eugène Onéguine l’an passé, La cambiale di matrimonio de Rossini et La Bohème de Puccini ont été les deux titres retenus cette année.
Importée du festival suisse d’Avenches, où elle a été étrennée cet été, la production de cette Bohème signée par Eric Vigié, directeur dudit festival et également de l’Opéra de Lausanne, a remporté un succès éclatant et mérité. Sa première qualité est de permettre d’apprécier la juvénile ardeur d’une équipe semble t-il décidée à prolonger les fastes vocaux du début du siècle et à redonner à l’institution bourbonnaise sa place d’antan. La moyenne d’âge des chanteurs de cette Bohème ne devait, par ailleurs, guère dépasser les trente ans. Le souligner ne vise pas ici à excuser par avance on ne sait quelle inexpérience ou à justifier une quelconque indulgence critique, mais bien au contraire à mettre en valeur l’exceptionnelle réussite d’ensemble de cette production.
La mise en scène évite aussi bien la surcharge zeffirellienne que la relecture dramaturgique à prétentions, ce qui ne veut pas dire qu’elle manque d’imagination ou de vie, bien au contraire. Si les deux derniers actes sont maintenus dans un relatif dénuement, en parfait accord avec la situation, et que vient seulement animer, à la Barrière d’Enfer, le chœur des campagnardes, le premier ajoute une touche de réalisme poétique à une mansarde réduite quasiment à l’épure – le décor formant un parallélépipède d’un blanc immaculé –, tandis que la scène du Café Momus pétille de malice et d’intelligence.
Le jeune ténor ardéchois Sébastien Guèze est Rodolfo, sans fard, le plus simplement du monde, au physique comme au vocal. Déjà remarqué dernièrement à Toulon dans le rôle-titre de Faust et à Marseille dans celui de Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme, ce chanteur né se trouve être à présent au seuil d’une grande carrière, de prestigieuses scènes lyriques telles que la Fenice de Venise ou le Palau de les Arts de Valence lui ayant déjà ouvert ses portes. Rien de plus normal, le timbre se distingue, l’aigu se projette superbement, et la technique est déjà aguerrie. Soulignons enfin que Sébastien Guèze a un style, une élégance ainsi qu’une façon de nuancer que n’ont pas tous les Rodolfo. Bref, le ténor français à suivre.
Après avoir interprété le rôle dans des théâtres aussi renommés que Covent Garden ou le Grand Théâtre de Genève, la soprano grecque Alexia Voulgaridou (Mimi) incarne d’emblée l’héroïne timide et fragile. Dans des tempi un peu élargis, la voix joliment timbrée, chaude et égale, semble s’étoffer au cours de la représentation pour devenir bouleversante dès l’«Addio» du troisième acte. Grande habituée de la scène vichyssoise – elle a encore tenu dernièrement in loco le rôle de Micaëla –, la soprano suisse Brigitte Hool s’avère une remarquable Musetta qui, après une valse conduite avec tout l’abattage souhaitable, apporte beaucoup à l’émotion finale par son engagement, son style et son intelligence du rôle. Autre point fort, le baryton américain Franco Pomponi, qui nous avait fort impressionné dans le rôle-titre d’Hamlet à Marseille en 2010, incarne un Marcello de relief, au phrasé soigné et au jeu convaincant.
Les deux autres «bohêmes», le baryton suisse Benoît Capt (Schaunard) et la basse russe Daniel Golossov (Colline), complètent avec bonheur une distribution dont il faut louer, outre la cohésion, le souci de ne jamais laisser la mélodie puccinienne dériver vers un vérisme étranger à sa nature profonde, et d’en retrouver ainsi la simplicité d’aquarelle après tant d’excès de gouache! Faut-il créditer le chef français Cyril Diederich de cette limpidité? Accordons-lui ce crédit tout en observant que sa battue désordonnée et parfois ostentatoire met à mal le bien sonnant Orchestre d’Auvergne – mais aussi les solistes – par son alternance d’alanguissements coupables et d’agitation brouillonne.
Emmanuel Andrieu
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