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Varvara, lauréate du concours Géza Anda 2012 Montreux Château de Chillon (Aula Magna) 09/09/2012 - Ludwig van Beethoven : Sonate n° 30 en mi majeur, opus 109
Robert Schumann : Sonate n° 2 en sol mineur, opus 22
Igor Markevitch : Stefan le poète, impressions d’enfance
Igor Stravinski : Trois mouvements de Pétrouckha
Varvara (piano)
Varvara
Le calendrier de cette édition du Septembre musical s’est trouvé quelque peu bousculé par la version junior du concours Tchaïkovski, pour les musiciens de moins de 17 ans, du 4 au 15 septembre 2012. Et c’est une lauréate d’un autre concours, le Géza Anda de cette année, Varvara Nepomnyashchaya – qui se fait connaître sous son prénom de Varvara –, que l’on peut entendre en ce dimanche soir dans l’Aula Magna du Château de Chillon, forteresse moyenâgeuse réhabilitée au cours du siècle dernier.
Grande est la tentation pour les jeunes pianistes d’affronter les monuments que constituent les sonates ultimes de Beethoven, quand bien même on ne saurait opposer à la russe une ambition prématurée, démontrant avec la Trentième une assurance dans le jeu que l’on retrouve dans la Deuxième Sonate de Schumann. Le vigoureux et contrasté premier mouvement exalte la fougue du toucher, très volontaire, de la soliste, prenant appui sur un motif circulaire, en forme de perpetuum mobile, à partir duquel s’élance l’humeur du compositeur, moins agressif dans la reprise. Apaisé, l’Andantino à trois variations fait montre d’une inspiration plus décantée. Orageux, parfois chargé, avec des rythmes syncopés, le Scherzo expose avec éclat le fort tempérament de l’interprète, quand le Presto, d’une grande difficulté, étourdit de virtuosité.
Second tribut du festival au centenaire de la naissance de Markevitch, le cycle de pièces brèves Stefan le poète en révèle une autre face du génie, plus connu pour ses partitions orchestrales, dont le Cantique d’amour joué la semaine précédente par le Royal Philharmonic avait donné un admirable avatar. «Dors, oiseau des îles», est une pièce songeuse, semée de tendres interrogations. Un cisèlement rythmique délicat, imprimant sur une marche un tournoiement de doubles croches à la main droite, anime «Flocons de neige», page impressionniste dégageant une rassurante douceur. «Caprices d’autrefois» anticipe avec fantaisie la «Marche du petit poète», à la candeur masquant des audaces harmoniques. On entend le travail expressif dans la «Mort de l’oiseau des îles», tandis que la superposition de tempi de la «Tarentelle» témoigne des racines slaves de son auteur, familières à Varvarva. Presque onirique, le «Marchand de sable» referme le recueil sur des accents saupoudrés de poésie, jamais mièvres, ce que la pianiste russe comprend d’instinct.
Son sens presque scénographique de la couleur fait jaillir la richesse chorégraphique des trois mouvements extraits de Pétrouchka – sans servilité aucune, l’imagination de Markevitch porte les traces de l’influence de son aîné Stravinski. La «Danse russe» s’incarne dans des textures nourries et des rythmes palpitants. Une mise en place très théâtrale sert le pantomimique «Chez Pétrouchka», avant une «Semaine grasse» éclaboussant de saveurs aux connotations folkloriques. Le sang russe n’est jamais un hasard.
A la lueur des chandelles où s’achève la soirée vient résonner en bis le balancement d’un tango accouché par la plume de Piazzolla, avant l’Allegretto final de la Dix-septième Sonate de Mozart. L’un et l’autre achèvent de convaincre de la maturité rythmique de la jeune encore Varvara.
Gilles Charlassier
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