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Trifonov fulgurant Montreux Auditorium Stravinski 08/30/2012 - Ottorino Respighi : Fontane di Roma
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 3, opus 30
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 5, opus 67
Daniil Trifonov (piano)
Royal Philharmonic Orchestra , Charles Dutoit (direction)
Fidèle depuis de nombreuses années au Septembre musical de Montreux-Vevey, l’Orchestre philharmonique royal s’établit en résidence pour le premier week-end de cette soixante-sixième édition. Et c’est avec son directeur artistique, natif de Lausanne, que la formation britannique ouvre les festivités, dans une trilogie ouverture-concerto-symphonie consacrée par la tradition, avec la (relative) rareté pour mise en bouche.
Poème symphonique descriptif, Fontane di Rome de Respighi s’écoute comme les moments marquants d’une journée de promenade dans la ville éternelle, qui commence à l’aube devant la fontaine Valle Giulia, dans une atmosphère paisible avant de s’animer face au Triton du Bernin où la sonorité généreuse de l’orchestre fait sentir de manière presque sculpturale les mouvements immobilisés dans la pierre. En plein midi, la fontaine de Trevi se pare d’un héroïsme soutenu par des cuivres vigoureux, élancés comme pour une chevauchée. Enfin, les gazouillis des violons, ponctués de cloches, referment la peinture de la dernière étape, à la Villa Médicis, au soleil couchant. Les séquences, témoignant d’une belle maîtrise des couleurs, se succèdent l’une dans l’autre selon un procédé qui rappelle le fondu enchaîné souvent sollicité par les débuts du cinématographe contemporain, écho sensible dans la manière dont Charles Dutoit tend un discours illustratif, comme un livre d’impressions animées. En privilégiant la clarté du mouvement à quelque liquide transparence, il s’appuie avec tact sur la rigueur et la consistance sonore de ses musiciens.
Ces qualités fortement sollicitées par le Troisième Concerto de Rachmaninov se trouvent admirablement contenues par le chef vaudois, évitant d’accentuer un affrontement brutal et vulgaire avec le soliste dont la répartie tourne plus d’une fois à la compétition de virtuosité. A vingt-et-un ans, Daniil Trifonov, lauréat, l’année précédente, des concours Tchaïkovski et Rubinstein, à Moscou et Tel-Aviv, et remarqué par Martha Argerich au concours Chopin de Varsovie, fait preuve d’une maturité étonnante. Habité par la musique, son visage adolescent s’illumine littéralement, en synchronie absolue avec la course de ses mains sur le clavier. Son toucher impose une puissance conquérante, pleine d’une fougue juvénile, parfaitement maîtrisée. Rien de débraillé chez ce technicien hors pair qui se double d’un subtil musicien. Les élans de la partition, avec ses emportements digitaux fulgurants, ne versent ici jamais dans la démonstration gratuite. Chaque note s’insère dans l’éloquence globale, procédant de celle qui la précède et anticipant celle qui va suivre. La concentration de l’interprète devient alors intensément communicative, à un degré rare de la part d’un talent aussi jeune. Eblouissant, il lui reste les années pour distiller cette énergie d’une précision impressionnante. Un soupçon de poésie vient remercier le public conquis avec la transcription de Liszt d’un lied de Schumann, où l’on reconnaît l’ampleur de l’un et la mélancolie détachée, secrètement inquiète de l’autre.
A rebours des coups de sondes musicologiques dont le corpus symphonique de Beethoven fait désormais régulièrement l’objet, Charles Dutoit propose une lecture très classique de la Cinquième, laissant s’épanouir la plénitude de son du Royal Philharmonic. Comment ne pas admirer l’intonation trapue des violoncelles et des contrebasses, ancrant viscéralement la musique dans la chair de l’auditorium Stravinski, à l’acoustique désormais impeccablement toilettée? Ce ne sont pas des interrogations philosophiques que l’on poursuit ici, mais bien plutôt la certitude de l’impact physique des notes, sans sombrer dans le clinquant. Fidèle à une tradition balayée par la précipitation des triomphes, le finale prend le temps d’inscrire son couronnement, sans violence, inutile sur le plan de l’universel où se place la pensée du compositeur allemand. Légèrement impersonnelle peut-être, son humanité ne s’en accomplit pas moins.
Avec la Première Danse hongroise de Brahms, le chef suisse se laisse emporter avec gourmandise par cette musique que l’on croirait avoir été écrite spécialement pour les bis, pour le plus grand contentement des auditeurs de ce concert d’ouverture.
Le site du Septembre musical de Montreux-Vevey
Le site de l’Orchestre philharmonique royal
Gilles Charlassier
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