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L’Epopée du peuple élu

Madrid
Teatro Real
09/07/2012 -  et 9 septembre 2012
Arnold Schoenberg: Moses und Aron (version de concert)
Franz Grundheber (Moïse), Andreas Conrad (Aron), Johanna Winkel (Une jeune fille), Elvira Bill (Une invalide), Jean-Noël Briend (Un jeune homme), Jason Bridges (Le jeune homme nu), Andreas Wolf (Efraïmite), Friedemann Röhling (Un prêtre)
EuropaChor Akademie, Joshard Daus (chef de chœur), SWR Sinfonierochester Baden-Baden und Freiburg, Sylvain Cambreling (direction musicale)


(© Javier del Real)


Seulement deux représentations pour Moïse et Aron, ce n’est pas beaucoup, et ce n’est pas assez. On attendait cet opéra depuis longtemps, c’était une dette à régler. Antonio Moral, ancien directeur artistique du Teatro Real, avait prévu une mise en scène de cet opéra de Schoenberg, mais l’une des premières choses changées par Mortier a été justement ce Moïse et Aaron. Cela, on l’a vu/entendu, en version concert, dans des conditions superbes, hélas proposition scénique. Pas facile du tout de mettre en scène cet opéra, d’ailleurs : il faut du courage, de l’imagination... ou du culot. En outre, le Teatro Real a considéré qu’il fallait faire venir un orchestre et un chœur allemands pour ces concerts, et le théâtre a été accusé de gaspillage. S’il s’agit d’un gaspillage, cela paraît choquant puisque, dans le même temps, le théâtre souffre de licenciements nombreux et (soi-disant) inopinés. La première de l’opéra a fait l’objet d’une protestation des travailleurs licenciés et d’autres également, en signe de solidarité. Ils ont été reçus par des applaudissements chaleureux dans l’ensemble, quoique peu unanimes, et ont toutefois la représentation se dérouler normalement. Il est vrai que tout cela n’a rien à voir avec le résultat artistique, mais on ne peut pas parler d’un des opéras religieux du XXe siècle et oublier en même temps la souffrance concrète des gens qui ont contribué au succès de ce théâtre pendant des années, et soudains licenciés par une administration nouvelle, faisant l’objet d’un procès interminable avec sa petite touche de terreur intérieure. Quant au prétendu gaspillage, il existe une ancienne expression espagnole qui semble convenir ici : «Tirer avec de la poudre du Roi».


Sylvain Cambreling dirige le chœur et l’orchestre dans une belle version, sans intermède, et jusqu’au bout d’un superbe effort physique. Les deux protagonistes ont réussi à placer dans l’imaginaire du public l’apparent antagonisme principal de la pièce, les deux frères, les deux façons de rendre Dieu au peuple élu (un peuple élu redoutant, et pour cause, son élection) ; et surtout le vrai conflit de l’opéra, celui du peuple d’Israël avec lui-même, comme on peut le voir et l’entendre dans deux tableaux, le troisième du premier acte (Moïse et Aaron comme personnages absents, ou plutôt « attendus ») ainsi que tout au long de la séquence de la dance autour du veau d’or (absence d’Aaron, présent quand-même dans l’idole fabriquée, ou permise, par lui; absence de Moïse, disparu). Le Sprechgesang de Moïse, dans la voix de Grundheber (cf. Wozzeck, Dr. Schön, Schigolch, Barak, Amfortas), a un pouvoir dramatique au-delà de l’excellence; une voix qui n’est peut-être plus au sommet de son art, mais encore capable d’aborder l’un des rôles les plus énigmatiques du répertoire : parler sans chanter, mais en battant la mesure, en suivant le rythme, et devant affronter une écriture vocale sinueuse. Les timbres richissimes de cette partition et les envolées polyphoniques des musiciens, du chœur et des autres solistes (des personnages épisodiques, et non « secondaires ») sont magnifiquement mis en valeur.


En face de la voix grave et péremptoire de Grundheber, on trouve la voix claire du ténor lyrique-léger d’Andreas Conrad, un formidable - autant qu’ambigu - contraste, illustrant surtout les deux dimensions de l’approche de Dieu. Conrad fait parfois songer à la vieille école des tenore altini. La voix est limpide, l’aigu pénétrant et charmeur, frôlant la séduction, mais qui sera finalement la voix cassée de l’échec. L’échec de Moïse et l’échec d’Aaron est la fin de cet opéra inachevé (« heureusement » inachevé, compte tenu du troisième acte rédigé par le compositeur. Il est permis de se poser la question).


L’Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg-en-Brisgau est d’un niveau excellent, et la EuropaChor Akademie, renforcée semble-t-il, sont tous deux à la hauteur des deux protagonistes, mais surtout à la hauteur d’une œuvre difficile, un peu maudite (de moins en moins, heureusement), et son message riche mais peu clair, polysémique, suggérant de nombreuses pistes malgré un discours d’affirmation confessionnelle. Le public, pourtant considéré comme trop conservateur, a fait preuve d’enthousiasme pour les deux protagonistes, pour Cambreling et les ensembles. C’est un succès notable, non seulement de déférence envers un grand maître incompris pendant des décades.


Finalement, et malgré tout, Moses und Aron est arrivé à Madrid.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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