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Correspondances estivales Paris Parc floral 08/26/2012 - Joaquín Turina : Círculo..., opus 91
Aaron Copland : Vitebsk
Franz Schubert : Trio avec piano n° 1, D. 898
Trio Wanderer: Vincent Coq (piano), Jean-Marc Phillips-Varjabédian (violon), Raphaël Pidoux (violoncelle)
La vingtième édition de «Classique au vert» est marquée par un changement d’équipe: désormais dirigé et produit par l’agence Sequenza, le festival se déroule cependant toujours au Parc floral, comme deux autres manifestations à accès libre – une fois acquitté le prix modique du billet d’entrée au parc – organisées l’été par la municipalité, «Paris Jazz Festival» et les «Pestacles» (pour le jeune public). Surtout, il reste fidèle à son orientation éclectique, sur la corde raide entre grand public et exigence de qualité, avec une affiche que va de Doulce Mémoire à 2e2m, de Bach et Mozart à Filidei, Piazzolla et John Williams, et qui s’ouvre aussi à des spectacles musicaux comme les délicieux clarinettistes de l’ensemble Les bons becs ou les impayables duettistes Igudesman et Joo.
Du 4 août au 16 septembre, les sept week-ends se déroulent de la même manière, le samedi comme le dimanche: à 11 heures, des musiciens amateurs se produisent dans des lieux insolites puis, à 16 heures, c’est le concert à l’issue duquel, à 18 heures, les spectateurs peuvent rencontrer les artistes. Et le parc accueille pendant toute la durée du festival une exposition de pochettes de 33 et 45 tours de Pierre et le loup venues du monde entier ainsi qu’une installation, intitulée «Jardins de sensations», réalisée par Alexandre Lévy, qui, en ouverture et en clôture, propose en outre une «performance».
La thématique de chaque week-end explore les correspondances entre les arts («Musique et nature», «Musique, poésie et littérature», ...). Pour «Musique et peinture», après une séance «Les Couleurs de la musique», le samedi, avec l’incontournable Jean-François Zygel, c’est le tour du Trio Wanderer, dont le nom («voyageur») fait bien sûr référence au Wanderer schubertien mais aussi au tableau, exactement contemporain, de Caspar David Friedrich, Voyageur contemplant une mer de nuages. Et c’est aussi à un voyage, d’Espagne en Autriche via la Biélorussie, qu’invite son programme, assez original, sans pour autant décourager une assistance fort nombreuse. Les applaudissements jaillissent entre les mouvements: tant pis pour les snobs, car cela montre que l’auditoire n’est pas principalement celui des salles parisiennes et, au-delà, qu’il y aurait sans doute la place dans la capitale pour un grand festival estival populaire. Tous les rangs sont occupés, même ceux que la couverture en forme de delta ne parvient pas à protéger, et certains sont donc contraints de rester debout pendant toute la durée du concert, débutant parfaitement à l’heure et donné sans entracte avec une petite présentation liminaire de chacune des œuvres par Jean-Marc Phillips-Varjabédian.
Hormis La Prière du torero, l’essentiel du catalogue chambriste de Turina est assez largement négligé, comme ce Círculo... (1936). Sous-titré «Fantaisie», il est formé de trois brèves pièces, dont les deux dernières enchaînées, évoquant les moments successifs d’une journée («Aube», «Midi» et «Crépuscule»). Le violoniste le rapproche pertinemment du courant «impressionniste»: voilà qui rappelle en effet, dans le domaine symphonique, à la fois Debussy («De l’aube à midi sur la mer» dans La Mer), Ravel (le «Lever du jour» de Daphnis) ou d’Indy (Jour d’été à la montagne). «En regard avec la peinture de Goya et du jeune Picasso», comme le suggère le feuillet gracieusement mis à la disposition des auditeurs? Pourquoi pas, car s’il est moins rauque et ambitieux que celui de Falla, le style trahit indéniablement son pays d’origine.
De même durée (un peu plus de 10 minutes) mais d’un seul tenant, Vitebsk (1929) fait référence à la ville natale de Chagall. Sous-titrée «Etude sur un thème juif», elle est fondée sur un air traditionnel que Copland entendit lors d’une représentation du Dybbuk (1914) de S. Ansky, originaire de la même région que le peintre. Le compositeur lui-même décrit la partie centrale comme une «Chagall-like grotesquerie»: une sorte de danse caustique et lancinante, comme quinze ans plus tard dans le Second Trio de Chostakovitch, lui aussi inspiré par une mélodie juive. Par son harmonie très poivrée, assez proche de celle de Bartók à la même époque, le propos n’a rien à voir avec celui des ballets colorés qui allaient faire la célébrité du musicien (El Salón México, Billy the Kid, Rodéo, Appalachian Spring): avec ses dissonances âpres, poignantes et intransigeantes, n’hésitant pas à recourir aux quarts de ton, son caractère est plus proche de celui de sa dernière période, à partir de la fin des années 1950.
Le voyage s’achève en terrain on ne peut plus familier pour les Wanderer, avec le Premier Trio (1827) de Schubert. Malgré une sonorisation toujours aussi remarquable et des conditions somme toute assez bonnes (pas trop de vent ni de protestations de jeunes enfants), le plein air n’est quand même pas le lieu idéal pour la musique de chambre. Voilà sans doute pourquoi l’interprétation aura paru allégée mais aussi quelque peu émoussée dans les mouvements centraux, se laissant porter avec une certaine indolence, tandis que les mouvements extrêmes, plus carrés, s’en sortent mieux. Mais comment ne pas repartir le cœur réjoui après le bis, tant le Rondo all’Ongarese final du Trente-neuvième Trio «Tzigane» (1795) de Haydn est enlevé avec grâce, esprit et finesse?
Le site de Classique au vert
Le site du Trio Wanderer
Simon Corley
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