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Vers la troisième décennie Salon-de-Provence Château de l’Emperi 08/09/2012 - Francis Poulenc : Sextuor
Claude Debussy : Petite Suite – Pantomime – Fêtes galantes I: «Clair de lune» – Pierrot – Apparition (#)
Elliott Carter : Esprit Rude/Esprit Doux
Johannes Brahms : Quintette à cordes n° 2, opus 111
Richard Strauss : Acht Gedichte, opus 10: «Die Nacht» (n° 3) & «Allerseelen» (n° 8)
Franz Schubert : Auf dem Strom, D. 943 (#)
Felix Mendelssohn : Octuor, opus 20 (*)
Sunhae Im (soprano), Emmanuel Pahud (flûte), François Meyer (hautbois), Paul Meyer (clarinette), Gilbert Audin (basson), Chezy Nir (cor), Daishin Kashimoto (*), Maja Avramovic (*), Sarah Nemtanu, Tamaki Kawakubo (violon), Christophe Gaugué, Amihai Grosz (alto), Timothy Park (*), Raphaël Perraud (violoncelle), Frank Braley (#), Eric Le Sage (piano)
(© D.R.)
Au château de l’Emperi, plus une place libre cour Jean Blanchard, du nom du fondateur de l’association des amis du vieux Salon, pour le dernier concert du festival: un feu d’artifice lancé par seize artistes, qui offrent en plusieurs salves successives un programme aussi profus (plus de deux heures de musique) que varié (cent soixante ans, de la tradition germanique à l’avant-garde américaine en passant par la modernité française), s’achevant, après minuit, sur un cocktail ouvert à tous.
Avec Poulenc, les trois fondateurs, Eric Le Sage, Paul Meyer et Emmanuel Pahud, se situent en terrain familier, puisqu’ils ont enregistré une intégrale de référence de sa musique de chambre (RCA): en compagnie de leurs trois partenaires, ils mettent en valeur le caractère encore très années 1920 du Sextuor (1939), mordant à souhait, évoquant Prokofiev ou Stravinski et évitant toute complaisance sucrée. On n’en trouve pas davantage dans la Petite Suite (1889) de Debussy, remplaçant En blanc et noir initialement annoncé: gracieuses, les quatre pièces restent loin de l’orchestration que Busser en réalisa dix-huit ans plus tard et ne deviennent point trop capiteuses sous les doigts d’Eric Le Sage et Frank Braley. Ce dernier se révèle accompagnateur hors pair dans quatre mélodies de jeunesse de Debussy sur le thème de la lune et des personnages de la comédie italienne, Pantomime (1883), «Clair de lune» extrait de Fêtes galantes I (1892), Pierrot (1882), avec citations burlesques d’Au clair de la lune, et Apparition (1884): la prononciation française n’est pas le point fort de Sunhae Im et ses aigus sont un peu serrés, mais elle se joue avec malice du style piquant et léger de ces courtes pages.
Devant un unique pupitre, Pahud et Meyer se partagent Esprit Rude/Esprit Doux (1985), fascinant cadeau d’anniversaire d’Elliott Carter destiné aux 60 ans de Boulez: avec d’autres, ces quatre minutes auraient sans doute pu paraître austères voire vaines, mais elles passent ici comme un éclair tant les deux interprètes font assaut de virtuosité ludique et de raffinement sonore. Les deux Quintettes à cordes de Brahms ne bénéficient pas tout à fait de la même notoriété que ses deux Sextuors: dans le Second Quintette, les musiciens, dont deux solistes du National (Sarah Nemtanu et Raphaël Perraud), un du Philhar’ (Christophe Gaugué) et un de Berlin (Amihai Grosz), s’emploient à démontrer ce que cette inégalité de traitement a d’injuste, même si le plein air ne peut rendre pleinement justice tant à la vigueur et à la puissance de l’Allegro non troppo, ma con brio initial qu’à l’atmosphère intimiste des mouvements centraux.
Après cette première partie ayant duré à elle seule autant qu’un concert ordinaire, l’entracte est bienvenu. A la reprise, Eric Le Sage retrouve Sunhae Im dans deux des lieder de l’Opus 10 (1885) de R. Strauss: la soprano coréenne s’y montre plus à son aise que dans Debussy, faisant valoir une bien meilleure diction et une belle ligne de chant, mais, cette fois-ci avec Frank Braley, elle excelle encore davantage dans Sur la rivière (1828), où, à l’image de la clarinette dans Le Pâtre sur le rocher, autre longue mélodie datant de la même ultime année de Schubert (mais pas tout à fait au même niveau d’inspiration), se joint une troisième voix, celle du violoncelle ou, en l’occurrence, du cor de Chezy Nir.
Et c’est un incontournable de ces réunions festivalières qui conclut la soirée: dans l’Octuor (1825) de Mendelssohn, le quintette précédemment constitué pour Brahms est complété par deux autres Berlinois, les violonistes Daishin Kashimoto (qui mène l’ensemble) et Maja Avramovic, et par le violoncelliste Timothy Park. Un moment de plaisir pour tous les musiciens: les sourires échangés de manière incessante trouvent leur traduction dans une atmosphère à la fois détendue et aventureuse, qui irrigue tout l’Allegro moderato ma con fuoco initial. Si les mouvements centraux paraissent moins convaincants, même le pétillant Scherzo, la fête reprend ses droits dans un Finale époustouflant.
Tous les participants reviennent sur scène pour la photo finale: sous ces excellents auspices, le festival entre désormais dans sa troisième décennie, avec une vingt-et-unième édition qui, l’été prochain, sera euro-méditerranéenne, dans le cadre de «Marseille-Provence 2013. Capitale européenne de la culture».
Simon Corley
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