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Chassé-croisé

Versailles
Château
07/06/2012 -  et 7 juillet 2012
Georg Friedrich Händel : Water Music : Suites n° 2 en ré majeur, HWV 349, et n° 3 en sol majeur, HWV 350 (extraits) – Il delirio amoroso, HWV 99

Sonya Yoncheva (soprano)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)




Opéra royal, 19 heures


Poursuivant les célébrations consacrées à Georg Friedrich Händel (1685-1759), la programmation de ce mini festival, organisé tout au long du mois de juin et durant la première quinzaine du mois de juillet, affichait en ce vendredi deux hommages à l’une des partitions les plus célèbres du compositeur saxon, la Water Music. Direction donc, pour commencer, l’Opéra royal, pas aussi rempli qu’on aurait pu le penser mais l’horaire (le concert débutait à 19 heures), les premiers départs en vacances et le fait que le programme soit repris à 20 heures 30 expliquaient sûrement en grande partie cette relative désaffection.


On connaît le célèbre témoignage, lors de la création intégrale de l’œuvre le mercredi 17 juillet 1717, selon lequel le roi Georges Ier «s’embarqua à Whitehall sur une grande barge ouverte [suivie d’une seconde] où cinquante instruments de toutes sortes jouèrent, pendant tout le trajet depuis Lambeth les plus plaisantes symphonies composées expressément pour cette occasion par M. Hendel (sic). Elles plurent tellement à Sa Majesté qu’on les joua par trois fois, à l’aller comme au retour». Triomphe musical pour Händel et, accessoirement, réconciliation politique entre le compositeur et le souverain avec lequel il s’était brouillé quelques années auparavant alors que ce dernier n’était encore que prétendant au trône d’Angleterre. Le format du concert donné par le Concert d’Astrée (une heure à peine, le programme ayant d’ailleurs omis le Concerto grosso opus 6 n° 1 qui devait également y être joué) a conduit Emmanuelle Haïm et les siens à effectuer un choix au sein des Deuxième et Troisième Suites de la Water Music. Quitte à perdre quelque peu en cohérence, on débuta donc par le célèbre – mais quel morceau de la Water Music ne l’est-il pas devenu au fil du temps? – Allegro débutant la Deuxième Suite: d’emblée, l’ensemble s’avère trop sage, les cors et les cordes ne faisant montre d’aucune folie. Ce sera d’ailleurs le fil conducteur choisi par Emmanuelle Haïm: une sagesse excessive qui se mue très rapidement en pure banalité. Ainsi, l’Alla Hornpipe manque lui aussi de tonus même si la reprise sera meilleure que la première exposition, la Sarabande débutant la Troisième Suite étant marquée en revanche par la superbe flûte à bec d’Héloïse Gaillard, malheureusement souvent couverte par les violons. Si l’orchestre retrouve quelque entrain dans la Bourrée conclusive, on reste sur sa faim à l’écoute des deux Rigaudons et des deux Menuets, tous issus de la Troisième Suite, où s’illustre pourtant le remarquable violon solo de David Plantier.


La seconde partie du concert était consacrée à la cantate italienne Il delirio amoroso, composée par Händel au début de l’année 1707 alors qu’il résidait à Rome. Relativement connue, elle a fait l’objet de plusieurs enregistrements dont un dirigé par Emmanuelle Haïm avec Natalie Dessay en soliste. En cette fin d’après-midi, c’est la jeune soprano bulgare Sonya Yoncheva (née en 1981) qui officiait, la cantate étant pourtant généralement dévolue à une mezzo. Pour autant, elle fut remarquable, montrant de vrais talents de comédienne pour narrer la façon dont la pauvre nymphe Chloris fut trahie par son amant Thyrsis puis laissée seule à la suite du décès de ce dernier. Le premier grand air «Un pensiero voli il ciel» est magnifique, rehaussé il est vrai par les volutes tout en virtuosité du violon de David Plantier. Après un chant plaintif («Per te lasciai la luce»), c’est un bel ensemble que donnent la chanteuse et les musiciens où la voix, la flûte à bec et les cordes jouent à l’unisson, la soprano déclamant ensuite des thèmes que reprend avec amusement la mélodie confiée à la flûte, procédé fréquent chez Händel. Une fois la conclusion bien enlevée sous la direction d’une Emmanuelle Haïm plus à l’aise avec les voix qu’avec les seuls instruments, Sonya Yoncheva et elles offrirent un bis qui, sans grande originalité, fut le célèbre «Lascia ch’io pianga mia cruda sorte» tiré de l’acte II (scène 4) de Rinaldo.


Galerie des batailles, 20 heures 30


Georg Friedrich Händel : Water Music : Suite n° 1 en fa majeur, HWV 348 – Music for the Royal Fireworks, HWV 351
Le Concert des Nations, Jordi Savall (direction)


Sitôt les dernières notes tombées, il faut rapidement sortir du château pour quitter l’aile droite et s’engouffrer dans l’aile gauche, emprunter un vaste escalier en marbre afin de se rendre dans la Galerie des Batailles, où doit se tenir le second concert de la journée. Avant même de déambuler entre les bustes de l’austère Comte de Montfort ou de l’héroïque Lannes et de pouvoir jeter un œil aux immenses tableaux illustrant notamment La Bataille de Poitiers (1837) par Charles de Steuben ou celle de Fontenoy sous les pinceaux d’Horace Vernet (1828), on passe sous les immenses Walkyries de l’artiste portugaise Joana Vasconcelos qui, sous leurs dorures et leurs gigantesques tentacules brodés et perlés, ont pris la place occupée par Murakami l’année dernière et, avant lui, par Jeff Koons.


Placés sur une haute estrade et jouant debout, les vingt-et-un musiciens du Concert des Nations, dirigés par Jordi Savall, débutèrent par des extraits, cette fois-ci, de la Première Suite de la Water Music. Rien à voir avec Emmanuelle Haïm: de la platitude, nous sommes immédiatement passés à la verve musicale la plus complète, au plaisir évident de jouer ensemble (que de sourires, de connivence, de regards en coin entre les musiciens!), sous la double houlette de Jordi Savall bien évidemment mais aussi du violon solo Manfredo Kraemer. Admirables de bout en bout, mentionnons l’excellent Alessandro Piqué au hautbois et les deux cornistes Thomas Müller et Javier Bonet qui, au cor naturel, se jouèrent des moindres difficultés notamment dans le premier Allegro consécutif à l’Adagio e staccato, alliant une technique et un son superlatifs de la première à la dernière note. Il faudrait, pour être vraiment juste, mentionner tous les noms des musiciens: contentons-nous de saluer également la guitare habitée d’Enrique Solinis (qui la troquera plus tard pour un théorbe) et la très belle violoniste Kathleen Leidig, dont la jeunesse et la fougue ne furent pas étrangères à certaines relances de tempi ou de sonorités particulièrement riches.


Mais le meilleur restait encore à venir. La Musique pour les feux d’artifice royaux (1749) a connu plusieurs versions, la première n’exigeant pas d’orchestre à cordes tandis que la plus célèbre, habituellement jouée, mêle violons, altos et violoncelles aux déjà requis cuivres et timbales. Jordi Savall et le Concert des Nations en donnèrent une interprétation tout à fait extraordinaire qui suscita un enthousiasme du public tout aussi complet. Si tous les passages ne sont pas exactement au cordeau, quelle ferveur dans le jeu! Les sons explosent, débordent et font parfaitement écho, grâce notamment aux trois trompettes, aux trois cors et aux timbales, aux peintures de la Galerie des Batailles où l’on voit les chevaux se jeter dans le combat au milieu des costumes chamarrés des soldats et des nuages de poussière. Dès l’Allegro de l’Ouverture, Jordi Savall et les siens nous entraînent dans une sorte de poursuite effrénée où les pauses (l’Adagio introductif ou le «Lentement») permettent de reprendre son souffle pour mieux repartir ensuite. «La Paix» permet aux anches doubles (deux hautbois et deux bassons) de briller avant que, au son du tambour, «La Réjouissance» ne fasse de nouveau vrombir les murs de la Galerie des Batailles, à l’acoustique une fois encore excellente.


Devant le triomphe remporté, le Concert des Nations (dont on aurait secrètement souhaité qu’il bissât entièrement la seconde partie voire la totalité du concert) donna successivement la contredanse concluant Les Boréades de Jean-Philippe Rameau (le public ayant été invité par Jordi Savall à applaudir en mesure!) et, dans un dernier acte de générosité, la belle «Danse des matelots» tirée d’Alcione, «tragédie en musique» de Marin Marais.


On ressortait donc du château en croisant une foule nombreuse, venue assister aux spectacles pyrotechniques donnés dans les jardins du château, aux sons notamment des musiques de Händel que nous venions d’entendre. Et, en traversant la place d’armes où trône toujours fièrement la statue équestre de Louis XIV, on eut très rapidement la réponse à la question consistant à savoir quel était l’élément qui différenciait tant les interprétations données respectivement ce soir par Emmanuelle Haïm et Jordi Savall: tout simplement, la vie, si cruellement absente chez la première et si belle chez le second.


Le site du Festival Händel du château de Versailles
Le site du Concert d’Astrée
Le site de Jordi Savall et du Concert des Nations



Sébastien Gauthier

 

 

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