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Etat de grâce ? Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 04/12/2012 - Gabriel Fauré : Pelléas et Mélisande, opus 80
Richard Strauss : Vier letzte Lieder
Arnold Schoenberg : Pelleas und Melisande, opus 5
Cheryl Barker (soprano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction) M. Letonja (© Pascal Bastien)
Premier concert d’abonnement dirigé par Marko Letonja, prochain directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, cette soirée interpelle d’emblée par une jauge d’auditeurs trop faible, surtout en regard de la taille (désormais excessive, de toute façon) du Palais de la Musique et des Congrès.
Pour un non-initié, le programme paraît effectivement d’une lecture un peu dissuasive. Espérons en tout cas que ne se matérialise pas aussi vite le vieux débat sur le nécessaire infléchissement d’une politique artistique en fonction de critères de remplissage de salle, qui se révèlerait vite nuisible au bon déroulement du nouveau mandat de Marko Letonja. Tout ce que l’on sait en effet de la carrière antérieure du chef slovène nous annonce une période fertile mais dans un répertoire pas forcément d’un confort familier. S’imposera dès lors plus que jamais la nécessité d’une politique de communication élargie, afin de sortir coûte que coûte le monde symphonique strasbourgeois de son ornière d’ambitions artistiques qui tournent en circuit fermé dans un bocal de plus en plus petit. Bref, comment conserver de vraies exigences tout en s’efforçant, sans donner dans la caricature, de « créer le buzz ». En cette période d’interrogations lourdes sur l’avenir, cette problématique de la quadrature du concert risque de devenir vite aiguë... Et tenter d’y répondre en programmant prioritairement Beethoven, Mozart ou Saint-Saëns n’est assurément pas la bonne solution.
Pour l’instant, en tout cas, apprécions ce concert très bien composé, articulé autour du Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, dont on va retrouver ici deux des trois principaux avatars symphoniques (celui de Sibelius, troisième élément de ce triptyque fortuit, né de la prégnance particulière d’un auteur dramatique dans l’air du temps, manque à l’appel). Les extraits de la musique de scène de Fauré, composés rapidement, en moins de six semaines, en vue d’une création en langue anglaise de la pièce de Maeterlinck à Londres en 1898, constituent une parfaite entrée en matière, alternance agréable de pièces d’envergure et d’intermèdes d’un accès plus immédiatement ludique, au charme mélodique très « fin de siècle ». Une ambiance où les premiers pupitres de l’orchestre excellent : fines interventions solistes de Sébastien Giot au hautbois, Sandrine François à la flûte et Pierre-Michel Vigneau à la harpe. Accompagnateur toujours impeccable, Marko Letonja reprend la main pour une Mort de Mélisande mélancolique et diaphane, qui manque cependant de fermeté dans la progression. Le suivi continu des phrases, l’une des clés essentielles de l’interprétation fauréenne, est occasionnellement pris en défaut... Mais un temps de répétition limité y est sans doute pour beaucoup.
On peut supposer que la mise en place du Pelléas et Mélisande de Schoenberg a dû occuper davantage. Et finalement la lecture qu’en donne Marko Letonja nous paraît parmi les plus convaincantes que l’on ait pu écouter de cet ouvrage difficile. Poème symphonique ouvertement narratif, certes, mais tellement surchargé en effectifs et en particularités harmoniques (la désagrégation tonale post-wagnérienne atteint ici des sommets de complexité) que sa lisibilité même s’en trouve compromise. Arrive toujours un moment où l’auditeur, même familiarisé avec ce type d’écriture se trouve totalement perdu. Et ici, le plus beau compliment que l’on puisse faire au chef est que ce moment nous a paru survenir assez tard, en fait proche d’une fin qui paraît abrupte et peu prévisible (la problématique, chère à Pierre Boulez, des possibles signaux annonciateurs de la fin d’une pièce, dans une musique qui a renoncé à ses balises de lisibilité habituelle, trouve ici un très bel exemple illustratif). Autre compliment marqué : la qualité sonore d’un orchestre qui tout à la fois fait bloc et s’autorise des passages plus à découvert où les timbres restent constamment beaux. Très belle ambiance en tout cas, qui permet de grappiller dans cette atmosphère expressionniste délirante ce qu’il convient essentiellement d’essayer d’y trouver : la tension brutale d’un geste instrumental, la violence d’une tache de couleur ou au contraire la grisaille délibérée d’autres moments… Une attitude empirique bien davantage gratifiante pour l’auditeur que de tenter de s’agripper à des motifs conducteurs qui existent mais sont tellement ductiles qu’on finit immanquablement par les perdre.
En milieu de concert la soprano australienne Cheryl Barker, que l’on a déjà pu écouter l’année dernière à Strasbourg dans L’Affaire Makropoulos de Janacek à l’Opéra du Rhin, se lance sans broncher dans une solide interprétation des Vier letzte Lieder de Richard Strauss, techniquement sans défaut mais où l’on cherche en vain un charme particulier. C’est bien davantage dans l’accompagnement, là encore très attentif, avec des belles couleurs et une homogénéité remarquable, que l’on va trouver à se nourrir. A signaler également qu’auparavant Cheryl Barker a déjà fait une brève apparition pour chanter avec l’orchestre la brève Mélisande’s song de Fauré, partie intégrante d’une musique de scène que l’on ampute cependant souvent de cette pièce faute de voix disponible. Ici l’occasion était belle et a été opportunément exploitée.
Très beaux débuts en tout cas, de Marko Letonja. Augures favorables pour un état de grâce que l’on espère durable.
Laurent Barthel
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