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Un Falstaff en demi-teinte clôt la saison lausannoise Lausanne Théâtre de Beaulieu 03/23/2012 - et 25, 28* mars 2012 Giuseppe Verdi : Falstaff
Roberto Frontali (Sir John Falstaff), Sebastian Catana (Ford), Nicole Heaston (Alice Ford), Angela Kerrison (Nannetta), Ann McMahon Quintero (Mrs. Quickly), Kendall Gladen (Meg Page), Antonio Figueroa (Fenton), Rodolphe Briand (Bardolfo), Marcin Habela (Pistola), Stuart Patterson (Dr Cajus)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Véronique Carrot (direction), Orchestre de chambre de Lausanne, Nir Kabaretti (direction musicale)
Arnaud Bernard (mise en scène), Alessandro Camera (décors), Carla Ricotti (costumes), Patrick Méeüs (lumières)
A. Kerrison, N. Heaston, K. Gladen, A. McMahon Quintero (© Marc Vanappelghem)
Peu d’opéras procurent à un chef autant de bonheur que Falstaff, dont chaque note, chaque mesure brille d’un éclat différent. Malheureusement pour lui – mais plus encore pour l’auditoire – le chef israélien Nir Kabaretti livre une lecture seulement bruyante de la partition de Verdi, à la tête d’un Orchestre de chambre de Lausanne bien médiocre ce soir, incapable de traduire les nuances infinies de la sublime musique imaginée par le génie de Busseto. Impossible, dans de telles conditions, de recréer le merveilleux équilibre de couleurs et de plans sonores recherché par le compositeur: l’osmose entre fosse et plateau peine à s’établir, l’implacable précision rythmique fait défaut des instruments, et l’on finit par ne plus percevoir les contours de cette fresque tour à tour joyeuse ou mélancolique.
De même, la distribution réunie à Lausanne s’avère bien inégale. Bien qu’entaché ici et là par quelques pointes d’accent vériste, le chant de Roberto Frontali séduit néanmoins par sa musicalité et son phrasé remarquables. Son Falstaff n’est jamais vulgaire, ni exagérément caricaturé; truculent juste ce qu’il faut, on sent toujours pointer le gentilhomme derrière l’amant tardif à la dérive. A ses côtés, le baryton américain Sebastian Catana donne au rôle de Ford un relief tout particulier: son air de la jalousie le rend proche de Iago dont il a le mordant. La voix est toutefois assez mal maîtrisée, et le chanteur abuse des fortissimi qui écorchent les tympans. Fenton au physique avantageux, le ténor canadien Antonio Figueroa fait valoir un joli timbre ensoleillé mais manquant de projection dans la vaste salle du Théâtre de Beaulieu. Rodolphe Briand et Marcin Habela se distinguent en Bardolfo et Pistola, notamment dans leurs ensembles avec Falstaff, où ils suivent Frontali à la perfection. Le docteur Cajus du ténor écossais Stuart Patterson enthousiasme, lui, tant par son jeu de scène que par ses éclats vocaux.
En ce qui concerne le quatuor de commères, nous retiendrons en premier lieu la Mrs. Quickly d’Ann McMahon Quintero, à la belle couleur de contralto et au jeu plein d’aisance. Gracieuse et bien chantante, Nicole Heaston est-elle pour autant l’Alice voulue par Verdi? Une sorte d’aura, de parfum particulier nous semble lui faire défaut. Dans le rôle de Meg Page, la mezzo Kendall Gladen contrôle généralement bien sa voix, mais l’actrice s’avère peu convaincante, car peu assurée. Enfin, Angela Kerrison procure de beaux moments en Nannetta, mais connaît quelques accrocs dans son air du dernier tableau.
La principale satisfaction de la soirée viendra ainsi de la mise en scène. Arnaud Bernard l’a particulièrement soignée, livrant un spectacle vif et enlevé, où chaque détail est étudié avec précision. Il se passe toujours quelque chose et on ne s’ennuie jamais une seule seconde. Un cortège de techniciens effectue les changements de décors à vue, ce qui accentue l’impression de fluidité. Une belle manière aussi de rendre hommage au travail de l’équipe technique de l’Opéra de Lausanne qui, pendant cinq saisons hors les murs, a dû faire le va-et-vient entre deux salles différentes – le Théâtre de Beaulieu et la Salle Métropole – pas vraiment adaptées aux productions lyriques. Si l’action se déroule dans de superbes costumes d’époque, les protagonistes endossent des tenues des années 1930 pour la célèbre fugue finale «Tutto nel mondo è burla» (la vie n’est qu’une farce), avec plusieurs accessoires faisant référence au cinéma. Comme si, en fin de compte, tout n’était réellement qu’illusion.
Emmanuel Andrieu
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