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Retour de Parsifal à Lyon: Kundry rédemptrice Lyon Opéra 03/09/2012 - et 11, 14, 17, 20, 23*, 25 mars 2012 Richard Wagner : Parsifal
Gerd Grochowski (Amfortas), Kurt Gysen (Titurel), Georg Zeppenfeld (Gurnemanz), Nikolai Schukoff (Parsifal), Alejandro Marco-Buhrmester (Klingsor), Elena Zhidkova (Kundry), Daniel Kluge (Premier Chevalier), Lukas Schmid (Second Chevalier), Heather Newhouse (Premier Ecuyer/Quatrième Fille-Fleur), Katharina von Bülow (Second Ecuyer/Troisième Fille-Fleur), Pascal Pittie (Troisième Ecuyer), Oleksiy Palchykov (Quatrième Ecuyer), Ulrike Helzel (Une Voix/Sixième Fille-Fleur), Tehmine Yeghiazaryan (Première Fille-Fleur), Ivi Karnezi (Deuxième Fille-Fleur), Sonja Volten (Cinquième Fille-Fleur)
François Girard (mise en scène), Serge Lamothe (dramaturgie), Michael Levine (décors), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Karine Guillem (masques), David Finn (lumières), Peter Flaherty (vidéo), Carolyn Choa (chorégraphie)
Chœurs et Maîtrise de l’Opéra national de Lyon, Alan Woodbridge (direction des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Kazushi Ono (direction musicale)
(© Jean-Louis Fernandez)
Trente-cinq ans que Parsifal n’avait pas foulé la scène de l’Opéra de Lyon, absence scandée à peine par le deuxième acte donné en concert à l’Auditorium Maurice Ravel, sous la direction de Peter Eötvös – autant dire que l’événement était attendu.
Il aurait pu être fort tentant de céder au ritualisme à l’œuvre dans l’ultime opus de Wagner. Mais le cinéaste et metteur en scène François Girard évite heureusement la bure herméneutique qui recouvre parfois le festival scénique sacré. Poursuivant une collaboration avec le Metropolitan Opera initiée avec Le Nez de Chostakovitch, où elle sera présenté la saison suivante, la production se maintient le plus souvent dans un apparent consensualisme illustratif – idéal pour la grande scène new-yorkaise. Le sacrifice du Graal au premier acte est l’occasion d’un exercice vidéographique où se dévoile une sphère planétaire à la surface qui rappelle celle de la peau, dans une éventuelle analogie mystique entre la chair et le céleste qui reste en suspens. Le côté léché des décors de Michael Levine accentue sans doute le polissage sémiologique esthétisant, même si l’on peut se laisser séduire par la pureté des lumières réglées par David Finn. On reste un peu sur notre faim également au deuxième acte, où le miracle de la multiplication des lances offre le matériel à une chorégraphie qui a l’avantage de souligner la cohérence de l’univers maléfique de Klingsor, où le rouge colore de sang l’eau dans laquelle pataugent les protagonistes. Le dispositif vidéo sert de macroscope à l’éclosion d’une rose rouge – le désir, la tentation – qui s’évanouit d’un coup lorsque Parsifal a la révélation du sens de la blessure d’Amfortas.
Un tel souci de littéralité n’empêche pas cependant la régie de prendre parfois le contre-pied d’usages établis – ainsi du Prélude aveuglé par quatre projecteurs placés en direction de la salle, qui se reflète sur le rideau de vinyle noir, et laissent progressivement place à la pénombre. On ne peut cependant manquer d’être parfois gêné par un travail qui suggère des pistes d’interprétation, mais s’abstient de s’y engager trop avant. Ce n’est pas que les images proposées manquent d’intérêt. La faille qui sécante les deux parties du plateau et où s’écoule une eau contaminée d’hémoglobine est fort probablement le symbole d’une société divisée, où femmes et hommes restent séparés à cause de la contrainte du désir sexuel. Il faut en réalité attendre l’Enchantement du Vendredi Saint pour voir le point de convergence de l’ensemble du spectacle: Kundry s’effondre bras en croix tandis que Parsifal guérit Amfortas, dans une répétition du sacrifice christique qui relie Kundry aux grandes figures de rédemptrices wagnériennes, tout en renouvelant la compréhension d’un événement-clef des Evangiles. Dans cette condensation se dévoile certainement la profondeur de la lecture de François Girard, qui a le mérite de juguler avec art son apocalypse herméneutique.
Même si elle n’est pas d’une originalité tapageuse, elle ne saurait expliquer la somnolence qui gagne parfois la soirée. C’est qu’il n’est point de grand Parsifal sans un orchestre d’exception. Et celui de l’Opéra national de Lyon ne semble pas dans sa meilleure forme. S’il a le mérite d’éviter toute grandiloquence, de concert avec ce qui se passe sur le plateau, Kazushi Ono peine à animer de manière continue le flux musical. Les cuivres dans le prélude sont déposés comme des aplats, sans lien avec ce qui précède, empêchant le mystère d’envelopper l’auditeur. Les moments de grâce – souvent en fin d’acte, et en particulier les dernières minutes de l’Enchantement du Vendredi Saint – ne peuvent racheter complètement les – très – longs tunnels qui précèdent. A cela il faut ajouter des chœurs plutôt prosaïques.
Heureusement la distribution vocale compense largement ces réserves. Vainqueur légitime de la soirée à l’applaudimètre, Georg Zeppenfeld délivre Gurnemanz des oripeaux patriarcaux que revêt généralement le personnage. La voix sonne avec une franchise et une vigueur remarquables, soutenues par une ligne impeccable. Une grande incarnation assurément. Amfortas bénéficie avec Gerd Grochowski d’un interprète fort honnête, mais plus vulnérable aux fluctuations de tension de la partition et de la direction orchestrale. Kurt Gysen fait preuve d’une cavernosité respectable en Titurel, tandis que Nikolai Schukoff rayonne d’insouciance juvénile en Parsifal. Dans ce registre du «chaste fol» tout en clarté, on préférera cependant la pâte d’un Klaus Florian Vogt. Emission haut placée et percutante, Alejandro Marco-Buhrmester manque toutefois de la noirceur tourmentée qui fait les grands Klingsor. D’une appréciable homogénéité, et d’une sobriété dans l’effet tout aussi remarquable, Elena Zhidkova retient valablement l’attention, même s’il manque un peu de sauvagerie pour faire une Kundry d’exception. Les deux premiers chevaliers manifestent une belle présence déclamatoire, tandis que les filles-fleurs se chargent de la volupté qui leur échoit.
A défaut d’être anthologique, le Parsifal lyonnais concentre quelques images fortes qui ne demandent qu’à féconder plus harmonieusement l’ensemble du spectacle. On a peut-être déjà une idée de ce dont on aurait besoin...
Gilles Charlassier
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