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Machine à remonter le temps Paris Amphithéâtre Bastille 03/30/2012 - et 31* mars 2012 Richard Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg: Acte III (premier tableau)
Didier Henry (Hans Sachs), Valerio Contaldo (Walther), André Gass (David), Marco Garcia Guttiérez (Sixtus Beckmesser), Leana Durney (Eva), Elsa Barthas (Madeleine)
Anne Le Bozec (piano)
Rémy Campos et Aurélien Poidevin (coordination), Alain Zaepffel (direction d’acteur), Sylvain Blondeau (création lumières)
D. Henry, A. Gass, L. Durney, E. Barthas, V. Contaldo, A. Le Bozec (© Opéra national de Paris/Mirco Magliocca)
Anticipant sur le bicentenaire de la naissance de Wagner, l’Amphithéâtre Bastille, en coréalisation avec la Haute école de musique de Genève, a entrepris une démarche originale: reprendre Les Maîtres chanteurs de Nuremberg (1868) tels qu’ils furent donnés à l’Opéra de Paris en novembre 1897, un an après la création française, à Lyon, sous la direction de Paul Taffanel et avec Francisque Delmas en Sachs. Pourquoi pas, à notre époque où les reconstitutions, comme une machine à remonter le temps, sont à la mode, à l’image d’un Benjamin Lazar s’attachant à aller au-delà de la seule fidélité musicale pour restituer les dimensions scénique et chorégraphique du Bourgeois gentilhomme ou, plus récemment, d’Egisto?
«Reconstitution»? A ce terme un peu sulfureux dans une maison qui, depuis l’arrivée de Nicolas Joel, se serait ringardisée, Alain Zaepffel, professeur de chant au Conservatoire de Paris et directeur d’acteur de ce spectacle, en préfère deux autres: «exercice» et «recherche». De fait, les «coordinateurs», Rémy Campos et Aurélien Poidevin, musicologues enseignant tous deux à Genève, ont exploité «un volume colossal de documents» conservés à la bibliothèque-musée ou dans les archives de l’Opéra national de Paris: maquettes des décors, plans d’implantation, illustrations, coupures de presse, photographies et «livrets de mise en scène» annotés de la main du régisseur général. Si les déplacements des chanteurs étaient ainsi consignés, pour les gestes et les postures, l’étude des représentations a permis de mettre en lumière «la récurrence de certaines attitudes liées à certaines situations dramatiques», autant de «codes gestuels communs au comédien, à l’avocat, à l’homme politique, à tout l’univers de la prise de parole publique, [...] culture commune du geste véhiculée depuis la Renaissance par les traites de rhétorique et de maintien corporel [et qui] péricliteront au cours du XXe siècle, lorsque le théâtre s’orientera vers un jeu plus naturaliste».
Portant exclusivement sur le premier tableau du troisième acte (jusqu’à la fin du «quintette du riz»), la réalisation a fait intervenir les ateliers de l’Opéra (décors, costumes féminins) et le lycée technique Jules Verne de Sartrouville (costumes masculins), avec le soutien de l’incontournable Palazzetto Bru-Zane et du Centre national du costume de scène de Moulins. Le résultat se situe bien évidemment aux antipodes du Regietheater ou même du «Nouveau Bayreuth» d’après 1945: un XVIe siècle de bois et de fenêtres grillagées, de carton-pâte, de toiles peintes et de trompe-l’œil, déclinant toutes les teintes du brun, avec une scénographie complétant scrupuleusement l’évocation de la maison et de l’atelier (chaises, fauteuil, table, établi, ...). Barbes et chevelures fournies, manches et culottes bouffantes, manteaux à large encolure de fourrure pour les hommes, robes opulentes et coiffes pour les femmes, les protagonistes correspondent exactement à l’idée qu’on se fait de l’univers lyrique d’alors, solidement plantés sur leurs jambes face aux spectateurs, dans une posture figée tout juste agrémentée de quelques gestes raides et convenus – quand ce n’est pas l’agitation peu crédible de David ou de Beckmesser, claudiquant avant de danser de joie. En outre, comme c’était alors l’usage dans tous les théâtres occidentaux, le livret avait adapté dans la langue vernaculaire, en l’occurrence par le musicologue Alfred Ernst (1860-1898) – la version originale ne fut créé à Paris qu’en 1934, sous la baguette de Furtwängler (avec Rudolf Bockelmann, Max Lorenz et Lotte Lehmann) – et c’est ainsi que le célèbre «Uberall Wahn» ouvrant le monologue de Sachs devient «Tout n’est que rêve».
En revanche, le souci de se rapprocher au plus près des représentations de cette fin du XIXe siècle paraît moins abouti pour ce qui est de la musique proprement dite. Car il a fallu renoncer au grand orchestre wagnérien: même à l’Opéra royal de Versailles, où cette production sera présentée le 4 avril (et précédé de mélodies et lieder de Liszt et Wagner), la partition a été confiée à trois arrangeurs, tandis qu’à l’Amphithéâtre Bastille, tout repose sur le piano d’Anne Le Bozec. Placée côté cour face au public, elle ne faiblit pas, une heure et quart durant, formidable de technique et de musicalité. Quant aux voix, elles ne constituent pas l’atout principal de cette soirée: le Sachs solide de Didier Henry est entouré de jeunes artistes issus des écoles helvétiques, mais entre le timbre nasal et métallique de Valerio Contaldo, qui a tendance à forcer en Walther, l’Eva encore bien verte de Leana Durney et le Beckmesser de Marco Garcia Guttiérez qui parle plus qu’il ne chante, c’est finalement le David d’André Gass qui tire le mieux son épingle du jeu.
Simon Corley
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