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Un mauvais tuyau pour Bach Toulouse Eglise des Augustins, Cathédrale Saint-Etienne… 09/29/2000 - Du 29 septembre au 15 octobre 2000 Célébration de l’année Bach Divers interprètes (Christophe Coin, Joël Suhubiette, Michael Radulescu, Lorenzo Ghielmi, Jordi Savall, André Isoir…) Célébrer l’année Bach à travers soixante-sept manifestations mêlant conférences de Gilles Cantagrel, master-classes de l’organiste Kees van Houten, concerts en cascade par une multitude d’instrumentistes plus ou moins connus, où l’intégrale de l’œuvre pour orgue du Cantor se mélangeait à diverses cantates, concertos, l’Offrande musicale et de multituples versions de l’Art de la fugue, et, même, un spectacle de cirque sur les Variations Goldberg, le tout dans certains des plus beaux lieux de Toulouse et sur les meilleures orgues de la ville, voilà qui, sur le papier en tout cas, annonçait une débauche de moments savoureux !
Impossible, bien sûr d’assister à tous ces concerts, dont certains “décentralisés” en région, mais, malgré cela, une évidence semble s’imposer : l’affiche promettait bien plus de délices (et orgues!) qu’elle n’en a offerts. Si la faute en est, d’abord, à l’éternelle carence en salles acoustiquement acceptables à Toulouse, les églises choisies souffrant toutes d’une réverbération insensée, il semble aussi que la programmation artistique n’ait pas tenu ses promesses, malgré la présence de noms aussi réputés que Christophe Coin, Jordi Savall ou André Isoir.
Le concert de Christophe Coin offrait d’ailleurs la conjugaison de ces deux problèmes. Dans l’acoustique déplorable de l’église-musée des Augustins, affligée d’un écho si puissant qu’il vient se superposer au son direct et empêche toute écoute, le chef et son ensemble de Limoges, insensibles au calvaire des auditeurs, ont massacré par des tempos TGV le Magnificat et la Cantate BWV 10, avec, pour résultat, un magma sonore d’où ne surnageaient que les couacs despérés de trompettes naturelles incapables d’assurer une note juste. Si Christophe Coin avait pris la peine d’aller écouter ses musiciens, ne serait-ce qu’en s’asseyant au dixième rang de la salle, peut-être ne nous aurait-il pas infligé cette épreuve. On ne peut que lui rappeler les propos du, certes, très peu baroque Sergiu Celibidache, disant que la gestion des tempos dépendait tout autant des conditions du concert, niveau instrumental des musiciens et acoustique de la salle, que de la musique elle-même. S’il faut jouer le Magnificat en 20 minutes pour faire baroque, qu’au moins ce soit dans une acoustique appropriée et avec des musiciens qui tiennent le choc. Mais pourquoi diable, d’ailleurs, jouer le Magnificat en vingt minutes?
Ce concert d’ouverture augurait assez mal, il faut le dire, de la suite du festival et les personnes qui avaient payé leurs places entre 145 et 180 francs ne semblaient qu’assez modérément ravies. En total contraste avec ce loupé, le concert suivant du même ensemble de Limoges dirigé par Joël Suhubiette et Michæl Radulescu, dans l’acoustique impossible de la Cathédrale Saint-Etienne, offrait une réponse intelligente aux problèmes posés. La conception ample et lyrique de l’Ode funèbre par Suhubiette et son chœur Les Éléments, décidément excellent, permettait de suivre toujours avec clarté l’enchevêtrement des polyphonies les plus complexes, malgré une réverbération désastreuse. Belle preuve, tout à la fois, de musicalité et d’intelligence et grand moment de recueillement et d’intériorité. La cantate BWV 193 “Ihr Tore zu Zion”, reconstituée et dirigée par Michæl Radulescu, affichait une allure plus martiale, mais savait rester nette malgré des tempos décidés. L’ensemble baroque de Limoges n’a pas toujours paru à la hauteur de sa réputation, certains solistes instrumentaux paraissant même franchement médiocres et la cohésion des cordes trop souvent douteuses.
À quelques jours de là, cette même Cathédrale Saint-Etienne accueillait un concert de l’Orchestre du Capitole dirigé par Stéphane Cardon. Pesant dans les diverses transcriptions de Bach par Stokowsky -l’inénarrable Toccata et fugue BWV 565- ou Stravinski -les Variations canoniques BWV 769- le chef, guère aidé par les effets perturbants de l’acoustique amplifiés par la taille et le placement de l‘orchestre, n’a pas mieux réussi la très rythmique Symphonie pour instruments à vents de Stravinski. Annoncé comme une redécouverte majeure, le Concerto pour orgue et orchestre de Marco Enrico Bossi (1861-1925), organiste et compositeur italien élève de Ponchielli, n’a semblé être qu’une ennuyeuse boursouflure sulpicienne digne d’un Saint-Saëns sous ectasy gavé de Bach. L’interprétation n’aidait guère à la digestion, l’organiste se vautrant avec complaisance dans les sonorités parfois essoufflées de son instrument, dont le pédalier semble en perpétuel décalage avec les autres registres.
Dans la catégorie des espoirs déçus, la belle salle des Illustres de la mairie de Toulouse accueillait Jordi Savall et les musiciens du Concert des Nations, dont Marc et Pierre Hantaï, dans l’Offrande musicale. L’adéquation entre ce répertoire et des artistes si renommés paraît tellement aller de soi que la cause pouvait sembler gagnée d’avance. Mais comment dire une vérité si étonnante qu’elle paraît inconcevable : ces musiciens célèbres, qui ont prouvé leurs qualités dans d’excellents enregistrements, jouent tout simplement mal et pas ensemble!!! Les innombrables “pains” d’un clavecin désaccordé -ah! les accords douloureux pour l’oreille- et les innombrables fautes d’intonation des violons -quelle horreur que leurs unissons!- s’unissaient à l’impossibilité où semblaient les musiciens de choisir un tempo commun et de s’écouter jouer. Dominé par un violoncelle envahissant, l’ensemble laissait dans l’ombre la viole, au volume sonore trop timide pour affronter son envahissant petit cousin, et la discrète flûte baroque en bois, oblitérant du même coup les subtils jeux polyphoniques voulus par le compositeur. Les aléas de la justesse conjugués aux constants décalages rythmiques entre les voix donnaient assez rapidement un mal de mer tenace, Mercalm conseillé!
Et l’orgue dans tout cela? Deux concerts permettaient d’entendre l’orgue baroque réalisé en 1981 par le facteur allemand Jürgen Ahrend pour l’église du musée des Augustins. Moins catastrophique avec l’orgue seul, l’acoustique un peu voilée de l’église permet d’entendre un instrument modeste, un peu acide parfois, bien utilisé par Lorenzo Ghielmi dans son programme “À la découverte de l’Italie”. Son jeu, tout à la fois très vivant et expressif dans les divers Chorals et Préludes présentés, pouvait par contre paraître un peu sage dans la Sonate en trio BWV 529. Le concert d’André Isoir sur le même instrument était par contre à oublier. Un disque intéressant quoiqu’un peu court (42 minutes pour un cd!), permettant d’entendre ce Jürgen Ahrend joué avec talent par le jeune Francis Jacob dans des œuvres de Bach vous fera retrouver les impressions du concert grâce à une prise de son très réaliste. Vous pouvez le commander pour 70 francs, port compris, en envoyant un e-mail à infos@toulouse-les-orgues.org
Dur métier, parfois, que celui de critique. Une excellente initiative, une équipe sympathique, pleine d’idées, respectueuse a-priori des musiciens comme du public, et pourtant un article plutôt dur et qui pourrait même paraître injuste à certains. C’est que la désillusion fut aussi grande que les espérances, et que les conditions des concerts ont paru sans proportion avec l’importance donnée à l’événement. Il est des manifestation dont on n’aimerait ne dire que du bien, tant toutes les conditions semblent réunies pour en assurer le succès. Peu des festivals offrent une telle richesse dans leurs manifestations et permettent au spectateur ravi de repartir les bras chargés de disques spécialement produits par les artistes du festival, de livres, de photos des orgues de Toulouse, de partition, de posters mêmes, pour, une fois rentré chez lui, se connecter à un site très bien conçu et particulièrement attractif (www.toulouse-les-orgues.org). Mais parfois les meilleurs intentions ne suffisent pas, et l’on ne peut qu’espérer voir, pour la prochaine édition de ce festival, des concerts à la hauteur des attentes dans des cadres dignes d’eux. On comprend que, pour rester fidèle à la ligne première de cette manifestation tout en l’élargissant, le directeur artistique Jan Willem Jansen ait voulu débuter chaque concert orchestral par une pièce d’orgue, mais, aucune église de Toulouse ne permettant d’offrir des conditions acoustiques décentes à un ensemble orchestral, valait-il la peine de gâcher un concert sous le prétexte de faire entendre dix minutes d’orgue? Séparer l’un de l’autre poserait certainement des problèmes quant à la justification de l’appellation de Festival d’orgue, mais serait la meilleur solution du strict point de vue musical. Laurent Marty
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