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Une irrévérencieuse parodie Nancy Opéra national de Lorraine 03/14/2012 - et 7, 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30 septembre, 1er, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29 octobre 2011 (Paris), 15, 16, 17, 18 mars 2012 (Nancy) Reinhart Wagner et Jean-Michel Ribes : René l’énervé
Sophie Angebault (Gaufrette, Un Con de la Nation), Caroline Arrouas (Monique, Caramela), Sinan Bertrand (Un philosophe, Un opposant, Un écolo), Camille blouet (Camille, Charlotte, Un con de la Nation), Gilles Bugeaud (Le vieux Pacha, Foculot, Un philosophe, Le maître d’hôtel, L’huissier), Claudine Charreyre (Electre, Un con de la Nation, Piratella), Benjamin Colin (Un Opposant, Un con de la Nation, L’officier), Till Fechner (Hurtzfuller), Emmanuelle Goizé (Ginette, Une écolo), Sophie Haudebourg (Fleur de Blé, Une opposante), Sébastien Lemoine (Judasso, Genghis Khan), Jeanne-Marie Lévy (Mamaman, Une opposante), Thomas Morris (René), Antoine Philippot (Un philosophe, Un militant, Un con de la Nation, Conjay, Le ministre de la tête droite et du menton en l’air, Le pape), Rachel Pignot (L’infirmière, Une opposante, Une écolo), Alejandra Radano (Bella Donna, Une opposante, Une écolo), Fabrice Schillaci (Timounet, Un militant, Un opposant, Un con de la Nation, Jobar), Guillaume Séverac-Schmitz (Yannick, Un con de la Nation), Gilles Vajou (Jessantout, Un opposant), Jacques Verzier (René 2, Achille), Benjamin Wangermée (Karl, Un écolo, Le ministre-pour-la-modestie-on-ne-craint-personne)
Ghislain Hervet (clarinette, saxophone baryton), Dominique Vernhes (saxophone ténor, flûte, accordéon), Laurent Desmurs (piano), Jean-Yves Dubanton (guitare, percussions), Emelyne Chirol (violon), Maëva Le Berre (violoncelle), Delphine Dussaux (direction musicale)
Jean-Michel Ribes (mise en scène), Patrick Dutertre (scénographie), Juliette Chanaud (costumes), Fabrice Kebour (lumières), Lionel Hoche (chorégraphie), Pierrick Sorin (vidéo)
(© Opéra national de Lorraine)
Créé en septembre au Théâtre du Rond-Point, René l’énervé, opéra bouffe et tumultueux, s’inscrit dans la tradition irrévérencieuse d’Offenbach. En gestation pendant plusieurs années, Jean-Michel Ribes a voulu écrire une pièce tournant en dérision l’actuel locataire de l’Elysée. En s’associant avec l’Opéra national de Lorraine, son spectacle s’autorise une prise de risque bien différente de celles que les institutions lyriques ont l’habitude de prendre – et cela ne va pas sans scandale, à en juger l’agression subie par le metteur en scène à l’issue de la générale. Pourtant la bonhomie boulevardière de l’ouvrage, innervée de parodie, se place sous l’égide bienveillante du grand Jacques, que les salles ont pris l’habitude d’applaudir. Faut-il en conclure que le public d’aujourd’hui a un sens de la dérision moins développé que celui du Troisième Empire? Il faut admettre cependant que la satire, si elle se vêt de noms d’emprunt, est aisément démasquée, au prix de quelques variantes.
Résumons l’argument. Le parti majoritaire se cherche un leader, et finit par le trouver en la personne de René, épicier, fils d’épicier, dont le bon sens et la limitation de vues séduisent. René ne jure que par le «bon sens», et ne tient jamais en repos. Paré d’un survêtement, il ne s’arrête jamais, et semble poursuivre un jogging sans fin. Il ne tarde pas à imposer cette frénésie à ses collaborateurs, hélas peu adeptes d’un tel rythme. Cette caricature de la réformite, pathologie qui affecte souvent les hommes politiques, ne s’embarrasse pas de considérations idéologiques, et ratisse large, jusqu’aux extrémités de l’hémicycle, avec des «Cons de la Nation», dont les initiales ne trompent personne. L’opposition, au sein de laquelle deux dames, Ginette et Gaufrette, s’écharpent pour savoir laquelle des deux représentera le parti pour l’élection présidentielle, offre le pitoyable portrait d’un groupe parlementaire endormi, au sens figuré comme au propre. Après une mandature marquée par une impopularité croissante, René est assassiné par son double, René 2, à l’apparence plus humaine, et qui revendique la place du «vrai René». Mais ce n’est qu’une apparence... Il est bien entendu que nous sommes là sur le terrain de la fiction et que toute ressemblance avec des faits réels passés ou présents serait purement fortuite. L’actualité justement s’immisce ça et là dans le canevas dramatique, à l’instar du chœur antique – jubilatoire création jouant avec la tradition dramatique et appuyée par la musique de Reinhardt Wagner – menacé par les mesures d’expulsion visant les étrangers, et ne rencontrent aucun secours auprès des «Nouveaux Philosophes», davantage préoccupés par leur prochaine allocution télévisée.
Evoluant dans des éléments de décors mobiles, l’ouvrage réserve de belles trouvailles. La partition de Reinhardt Wagner, essentiellement connu pour ses nombreuses musiques de film, est parsemée de clins d’œil parodiques, parfois quelques notes seulement, comme l’aurait fait Offenbach. Le livret de Jean-Michel Ribes use et abuse des effets d’assonance, créant un tourbillon satirique visant souvent juste, mais parfois un peu redondant, quand il ne sombre pas ça et là dans l’écueil d’une trivialité fort contingente. C’est que la construction dramatique de la pièce, assez linéaire, s’avère assez lâche, négligeant l’intensification formelle qu’offrent les opérettes d’Offenbach. La grande disparité des influences stylistiques de la musique, qui ne renie ni le jazz, ni la comédie musicale française – Christiné et les autres – participe peut-être de cette impression de patchwork, même si l’on éprouve une affection particulière pour les accents qui rappellent le Poulenc de L’Invitation au château.
En dépit de ces baisses de tension, on n’en passe pas moins une agréable soirée, qui plus est fort honorable servie par Delphine Dussaux, coordonnant dans la fosse les six musiciens, dans une formation chambriste à la ductilité appréciable. Le plateau, empreint d’un esprit de troupe, célèbre manifestement davantage les vertus théâtrales que les lyriques. Objet opératique hybride et irrévérencieux, René l’énervé témoigne de la généreuse témérité de la maison nancéenne, amphitryon le temps d’une production des forces du Théâtre du Rond-Point. Prochain rendez-vous avec la création lyrique, Il killer de parole, sur un livret de Daniel Pennac – et qui revient à une poésie plus conforme à l’austérité de la musique contemporaine.
Gilles Charlassier
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