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Revival

Montpellier
Corum (Opéra Berlioz)
03/16/2012 -  et 17*, 18 (Montpellier), 24, 25 (Reggio Emilia) mars, 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12, 13 mai (London), 8, 9, 10 juin (Toronto), 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22, 23 septembre (New York), 26, 27, 28 octobre (Berkeley), 9, 10, 11 novembre (Mexico) 2012, 5, 6, 7, 10, 11, 12 janvier (Amsterdam), 6, 7, 8 mars (Hong Kong) 2013, 8, 10, 11, 12 janvier 2014 (Paris)
Philip Glass : Einstein on the Beach

Helga Davis, Kate Moran, Jasper Newell, Charles Williams (comédiens), The Lucinda Childs Dance Company, Chœur: Michèle Eaton, Lindsay Kesselman, Melanie Russell (sopranos), Hai-Ting Chinn, Kate Maroney, Solange Merdinian (mezzos), Philip Anderson, Tomás Cruz, John Kawa (ténors), Gregory R. Purnhagen, Joe Chappel (barytons), Jason Walker (basse), Lisa Bielawa (chef du chœur)
Antoine Silverman (Einstein, violon), The Philip Glass Ensemble: Andrew Sterman (flûte, piccolo, clarinette basse, saxophone ténor), David Crowell (saxophone alto, flûte), Jon Gibson (saxophone soprano, flûte), Mick Rossi (claviers), Michael Riesman (claviers, direction musicale)
Robert Wilson (mise en scène et en lumières, scénographie), Lucinda Childs (chorégraphie), Ann-Christin Rommen (collaboration à la mise en scène), Urs Schönebaum (lumières), Michael Deegan (décors), Kurt Munkacsi (son), Carlos Soto (costumes)




«Opéra mythique et mythe opératique»: la présentation de Jérémie Szpirglas dans le superbe programme de salle édité par la maison montpelliéraine rendrait presque inutile tout autre commentaire. Einstein on the Beach, bien que créé en Avignon le 25 juillet 1976 dans le cadre de la trentième édition du festival fondé par Jean Vilar, c’est-à-dire dans une enceinte théâtrale, n’en est pas moins sous-titré «opéra en quatre actes» et a immédiatement accédé au statut de mythe. La reprise de la production originale, avec ses principaux contributeurs, Robert Wilson, Lucinda Childs mais aussi Michael Riesman et son Ensemble Philip Glass, parties prenantes de toutes les exécutions de l’œuvre depuis près de trente-six ans, fait donc figure d’événement, partant de nouveau de France – comme le revival d’une autre mythique production «franco-américaine», le légendaire Atys de William Christie et Jean-Marie Villégier – pour (re)conquérir d’ici mars prochain trois continents, sept pays et huit villes: un événement auquel le public du Corum réserve un accueil triomphal, à l’issue d’une représentation de 4 heures et quart (sans entracte), se levant, sitôt le rideau tombé, pour saluer une formidable escouade de quatre comédiens, douze choristes, neuf danseurs et six musiciens ainsi qu’une impeccable équipe technique au travers d’une ovation debout de plus de 10 minutes. Le spectacle n’a donc pas pris une ride: bien que solidement enraciné dans son époque par son propos comme par son ambition, il demeure avant tout intemporel. Sans précédent, il n’a pas eu non plus de suite véritable, même chez le compositeur, quoiqu’il en ait fait le premier volet d’une trilogie consacrée à des «hommes ayant changé le monde dans lequel ils vivaient», qui s’est poursuivie avec Satyagraha (Gandhi) et Akhenaton.


Comme les Vexations de Satie ou le Second Quatuor de Feldman, le projet est de ceux qui repoussent les limites physiques de leurs interprètes... et de leurs auditeurs, dès lors «invités à sortir et entrer dans la salle comme ils le désirent» comme le précise le programme. La partition est d’ailleurs structurée à cet effet grâce aux cinq «knee plays»: le premier tient lieu d’ouverture – les artistes commençant même à le jouer une demi-heure avant que les lumières ne s’éteignent, l’heure du spectacle une fois venue – tandis que le dernier fait figure de postlude, mais les trois autres, qui relient les quatre actes entre eux, paraissent les mieux indiqués pour se dégourdir les jambes. En tout cas, personne ne bouge avant une bonne heure un quart, les mouvements se font ensuite raisonnablement, même si pas nécessairement aux moments les moins inopportuns (d’autant que le plancher tend à amplifier le bruit des pas), et à la fin de la soirée, fort peu ont définitivement quitté un Opéra Berlioz qui affichait complet. Hormis une femme un peu énervée qui attend près de deux heures pour vociférer des «hi-han» ironiques et vindicatifs puis, une heure plus tard, part en hurlant «Bande de dégénérés! J’en ai marre! Je vais appeler les flics!», les réactions sont spontanément positives, des applaudissements retentissant à l’issue de certaines scènes voire à l’apparition de certains décors réalisés par Michael Deegan – notamment un superbe trompe-l’œil de building de brique.


Etrange «opéra», en vérité, dans lequel le rôle-titre est tenu par... un violoniste, où le chant est intégralement confié à des choristes, où l’orchestre est réduit à six exécutants et où les solistes sont essentiellement des comédiens et des danseurs. Etrange livret, mêlant les contributions d’un enfant autiste, Christopher Knowles (né en 1959), d’une chorégraphe, Lucinda Childs, et de l’un des comédiens de la création, Samuel M. Johnson. Chaque acte comprend deux tableaux, situés chacun dans un «thème visuel» (train, tribunal ou engin spatial), mais on se situe bien plus dans l’évocation, «allégorie de la modernité technologique» (J. Szpirglas), que dans la biographie: faute de narration traditionnelle, l’articulation et la signification des tableaux reste pour partie énigmatique, de même que leur rapport avec Einstein... et avec la plage – y compris pour les auteurs eux-mêmes. Pour ce qui est du prix Nobel de physique, les références abondent: des choristes tirant la langue comme un seul homme en clin d’œil au célèbre portrait photographique; un train, qu’il avait pris en exemple pour expliquer sa théorie de la relativité; personnages calculant sur des tableaux noirs imaginaires, crayon à la main; projection de photos et de reproductions de ses écrits et travaux; costumes de la plupart des protagonistes, réalisés par Carlos Soto et inspirés d’une photo du savant revêtu d’une chemise blanche, d’un large pantalon gris, de bretelles noires, de Converse et d’une montre-bracelet; importance accordée à sa pratique du violon, au travers d’un musicien particulièrement endurant, Antoine Silverman, arborant la crinière et la moustache blanches du héros, placé côté jardin en position légèrement surélevée par rapport à la fosse et mis en valeur par un projecteur; un tribunal qui siège à une longue table qui pourrait aussi bien être une paillasse de chimiste, avec ses fioles remplies de liquides colorés – procès de celui qui a parfois été injustement tenu pour l’un des responsables de la bombe A, à laquelle la projection d’un schéma fait aussi allusion? Introduisant un curieux décalage poétique, la plage que mentionne par ailleurs le titre, ne laisse pas d’intriguer, même si l’on s’efforçait encore, à cette époque, de la chercher sous les pavés; il est néanmoins difficile d’ignorer, tant la phrase est inlassablement répétée, qu’une femme «se souvient qu’[elle] avait évité la plage», tandis qu’une chanteuse se déplace avec un grand coquillage, de ceux qu’on porte à son oreille pour entendre la mer.



(© Lucie Jansch)


L’absence de surtitrage constitue manifestement un choix délibéré, mais elle a pour inconvénient de laisser au bord du chemin ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment l’anglais et ratent ainsi, entre autres moments mémorables, une désopilante diatribe contre les male chauvinist pigs. Car si Einstein on the Beach, de manière prévisible, est certainement planant, sans doute ésotérique et peut-être mystique, il est assurément drôle. Drôle? Voilà un qualificatif qu’on n’associe pas nécessairement à Wilson. Mais l’humour et l’absurde sont ici fortement valorisés: chanteurs éternuant collectivement; les six choristes masculins se brossant les dents avant de tirer la langue; un jeune garçon – le déjà très prometteur Jasper Newell – sortant d’une gibecière des avions en papier qu’il lance sur le plateau depuis une haute tour métallique; des objets suscitant la perplexité (boussole affolée, immense pendule sans aiguilles ni chiffres, une autre, plus petite, tournant rapidement à l’envers)... Le metteur en scène surprend également par une profusion scénographique dont il n’est plus coutumier – locomotive à vapeur, train et autobus grandeur nature, vaisseau spatial.


Mais les éléments emblématiques de son style sont déjà bien identifiables, à commencer par l’expression des visages, à la fois pâles et figés, tour à tour impassibles ou grimaçants, et par des gestes décomposés et ralentis, comme ceux du fascinant duo formé par Helga Davis et Kate Moran, mises à rude contribution dans les «knee plays», à l’avant-scène devant un rideau baissé permettant le changement des décors. Et comment ne pas mentionner sa façon à nulle autre pareille de sculpter la lumière? Le long néon horizontal qui, sur un fond complètement noir, pivote très progressivement pour se dresser à la verticale puis s’élève tout aussi lentement dans les airs, témoigne de la fonction capitale des éclairages, réalisés par Urs Schönebaum, et de la maîtrise dont il fait preuve dans ce domaine. Le dépouillement s’impose également dans les deux tableaux purement dansés, où la scène est entièrement vide, laissant se déployer librement et exclusivement la folle énergie de la chorégraphie et l’époustouflante performance du ballet.


Autant Wilson a visiblement évolué en près de quatre décennies, autant la musique de Glass, idéalement sonorisée par Kurt Munkacsi, paraît déjà parvenue à maturité, dès les fameuses scansions de chiffres – «one, two, three, four, ...» – qui reviennent à la toute fin pour boucler la boucle dans le dernier «knee play». Minimaliste – il refuse obstinément l’étiquette «répétitif» – il est aujourd’hui, minimaliste il était alors déjà: à de très rares exceptions près – une quasi-improvisation d’Andrew Sterman au saxophone ténor et un solo d’orgue au début du dernier acte – les motifs, propulsés par des claviers électroniques hyperactifs, ne varient qu’insensiblement dans leur contour et dans leur instrumentation mais n’en parviennent pas moins à fonder d’amples constructions, radieuses dans leurs élans irrésistibles – éblouissantes «field dances» des deuxième et troisième actes – comme dans leurs atmosphères étales – hypnotiques «Night Train» et «Bed». Malgré les apparences, et nonobstant la résistance qu’impose la durée du spectacle, le niveau d’exigence est très élevé: non seulement l’exécution n’est pas exempte d’erreurs, mais l’écriture se révèle d’une virtuosité et d’une difficulté de mise en place étonnantes, comme dans un bluffant numéro a cappella des douze solistes du chœur.


Le site du spectacle
Le site de Philip Glass
Le site de Robert Wilson
Le site de Lucinda Childs
Le site de l’Opéra national de Montpellier Languedoc-Roussillon



Simon Corley

 

 

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