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L’opéra du chef London Royal Opera House 10/14/2000 - puis 17, 21, 24, 30 Octobre et 3, 9 Novembre à 17h Richard Wagner : Tristan et Isolde Gabriele Schnaut (Isolde), Jon Frederic West (Tristan), Brangäne (Petra Lang), Alan Titus (Kurwenal), Roi Marke (Peter Rose), Melot (Christopher Booth-Jones), Un marin (Timothy Robinson), Un berger (Peter Auty) Chœur et Orchestre de la Royal Opera House Bernard Haitink (direction) Herbert Wernicke (Mise en scène, décors et éclairage)
La nouvelle production de Tristan et Isolde à Covent Garden, mise en scène par Herbert Wernicke, montre, une fois de plus, la difficulté de monter les opéras de Wagner à l’action très réduite et au verbe envahissant. Wernicke a choisi d’impartir aux deux personnages principaux deux espaces clos de la scène : à gauche, un plan incliné écarlate, sur lequel se tient Isolde, en robe blanche, auquel sa seule servante Gärdener, habillée toute de noir, accède parfois ; à droite, un plan incliné bleu, sur lequel évolue Tristan, et, parfois, son serviteur Kurwenal (Melot s’y fait également tuer dans le troisième acte). Pivotant et coulissant, les deux plans se rapprochent et s’éloignent, mais les mouvements de Tristan et Isolde restent minimaux : généralement éloignés de plus de dix mètres l’un de l’autre (sauf lorsqu’ils se passent la coupe au breuvage d’amour), ils fixent le public pendant (presque) tout le spectacle. Le sol, sur lequel évoluent le Roi Marke (habillé de cuir, genre KGB), Melot, et les deux servants, est revêtu de marbre funéraire, dans lequel les ombre de Tristan et Isole se reflètent parfois, au gré des éclairages très variés de Wernicke. Tristan et Isolde semblent ainsi tous deux sur un nuage, mais chacun sur son nuage, isolés du reste du monde. Parce qu’ils aimeraient l’amour plutôt qu’ils ne s’aimeraient l’un l’autre ? Parce que la vraie vie (le vrai amour) est ailleurs ? Parce que l’amour finit toujours par mourir au contact de la vie normale ? Faites vos jeux. Quoi qu’il en soit, la mise en scène ne fonctionne pas d’un point de vue scénique, et donnait plutôt l’impression d’une ennuyeuse « mise en espace ». Très froids, les décors ne sont pas spécialement beaux, la direction des chanteurs, presque inexistante, et si les éclairages constituent le point fort du drame, on ne comprend pas bien leur logique. Sifflée par une bonne moitié du public, cette production très minimaliste de Wernicke n’atteint cependant pas la laideur insensée de la production de l’Opéra Bastille, difficilement égalable il est vrai.
La direction peu dramatique des chanteurs incite à ne juger le plateau qu’en fonction de ses capacités vocales. Même si la première intervention (celle d’un invisible pêcheur) laissait présager le pire par son étonnant manque de justesse, les seconds rôles ont tous tenus leurs rôles de manière très convaincante. La Brangäne de Petra Lang représente en particulier une surprise pleine de promesses : la chanteuse possède en effet un beau timbre, homogène, une grande puissance de projection et une excellente diction. Alan Titus - la révélation du dernier Bayreuth cet été dans Wotan, a-t-on pu lire - possède lui aussi une voix magnifique et une étonnante facilité dans le rôle de Kurwenal. A vrai dire, les seconds rôles semblaient ici supérieurs aux deux rôles titres, autrement difficiles et éprouvants il est vrai. Dans Tristan, Jon Frederic West témoigne hélas de grosses difficultés vocales et donne la désagréable impression qu’il passe constamment en force : en l’écoutant, on ne peut s’empêcher de penser à quel point le rôle est difficile. Sa voix, d’un timbre assez hétérogène (parfois nasillard), témoigne de grosses faiblesses dans l’aigu, rarement juste, et donne le sentiment d’une certaine sécheresse (surtout dans l’acte II) - le tout couronné par une diction très insuffisante. Dans Isolde, Gabriele Schnaut s’en tire mieux, mais non sans peine. Elle possède un timbre assez riche, et, endurante, sa voix tient le choc des trois actes. Si l’on peut aisément lui passer certains problèmes passagers, que l’on imputera à l’exigence du rôle, il est regrettable que la soprano hurle d’un bout à l’autre de l’opéra, débitant son rôle certes avec puissance, mais avec bien peu d’expression, pour ne rien dire de la finesse. Elle possède cependant une très bonne diction.
Bernard Hatitink, qui dirige là son premier Tristan, et le très bel orchestre de la Royal Opera House ont finalement été les véritables héros de cette grande « symphonie avec voix ». Chaleureusement ovationné, Haitink vola sans conteste (et légitimement) la vedette au plateau, après avoir dirigé la partition avec intelligence, beauté, intériorité et passion. La souplesse des cordes, le fondu de l’orchestre, servant des accélérations bienvenues, des crescendo parfaitement contrôlés et le recueillement de certains passages forçaient en effet l’admiration. Magistrale, la direction possédait ce supplément d’âme, ce je-ne-sais-quoi qui rend la musique non seulement belle mais émouvante.
Stéphan Vincent-Lancrin
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