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Rythmes et couleurs Paris Théâtre des Champs-Elysées 03/08/2012 - Igor Stravinski : Pétrouchka – Capriccio pour piano et orchestre – Symphonie de psaumes
Boris Berezovsky (piano)
Chœur du Théâtre Mariinsky, Andrei Petrenko (chef de chœur), Orchestre du Théâtre Mariinsky, Valery Gergiev (direction)
B. Berezovsky (© Vincent Garnier/Mirare)
Après un premier concert consacré aux Noces et à Œdipus Rex, voici une seconde représentation que Valery Gergiev et ses forces du Théâtre Mariinsky ont décidé de consacrer intégralement à Igor Stravinsk (1882-1971). Le triptyque de ce soir permettait de naviguer dans l’œuvre du génial compositeur en confrontant un de ses plus célèbres ballets avec une pièce d’ordre presque alimentaire, une sorte de concerto pour piano et orchestre, et une œuvre chorale très originale dans la confrontation des sources qui l’ont inspirée, d’ailleurs pleinement contemporaine d’Œdipus Rex.
Quel patchwork que Pétrouchka, ballet composé en 1910-1911! Inspiré à la fois de musique russe, d’une rengaine française et même d’une valse de Joseph Lanner, ce ballet narre les aventures de trois marionnettes, Pétrouchka, la Ballerine et le Maure. Celles-ci prennent vie et, logiquement, en viennent à éprouver la diversité des sentiments humains, notamment la jalousie qui conduit le Maure à assassiner Pétrouchka, son esprit seul demeurant vivant. Stravinski développe dans cette partition une multitude de motifs, faisant appel à cet effet à une incroyable diversité instrumentale. A ce petit jeu, l’Orchestre du Théâtre Mariinsky se couvre véritablement de gloire, cette pièce faisant partie de son répertoire de prédilection. Sous la direction d’un Valery Gergiev à la gestique toujours aussi étonnante à regarder (moulinets des bras, main droite sans cesse agitée, temps forts marqués une fois sur deux ou trois...), les musiciens se délectent visiblement de cette partition qui, en vérité, se résume bien souvent à une vaste succession de difficultés techniques. Des bois d’une précision redoutable dialoguent ainsi avec des cordes formidables, le piano et les percussions étant au diapason de cette réussite totale. Que dire également des cuivres, aux timbres russes si identifiables qui, à l’image du trompettiste solo, galvanisent un public évidemment conquis?
Deuxième œuvre au programme, le Capriccio pour piano et orchestre (composé en 1929 mais révisé vingt ans plus tard) est peu fréquemment donné. Postérieur de quelques années au Capriccio (1926) pour piano et instruments à vent de Janácek, c’est une pièce là aussi incroyable de diversité, que ce soit dans le rythme (les moments d’alanguissement se voyant écrasés par des passages d’un incroyable dynamisme) ou dans les timbres (les caractères jazzy alternant avec des couleurs profondément mélancoliques). Assis à un piano placé au milieu de l’orchestre, tourné de ce fait vers le chef et vers le public, Boris Berezovsky aborde l’œuvre avec une incroyable facilité, faisant preuve d’une précision rythmique à toute épreuve, sachant varier les ambiances – point trop de sentimentalisme alangui dans le deuxième mouvement (Andante rapsodico), pleinement jazzy dans le troisième (Allegro capriccioso ma tempo giusto – et, précision importante, accompagné par un Gergiev de nouveau très en forme, l’orchestre répondant aux moindres inflexions de la partition avec beaucoup de conviction.
Après que le troisième mouvement a été bissé, l’entracte a permis de donner à l’orchestre une nouvelle configuration pour aborder la Symphonie de psaumes (1930) qui constituait la seconde partie du concert. L’interprétation de cette œuvre (quoique d’une brève durée, une vingtaine de minutes) est complexe car il importe d’éviter tout caractère romantique qui serait hors de propos et, par ailleurs, tout caractère qui s’avèrerait trop objectif, la Symphonie de psaumes requérant tout de même un climat suffisamment recueilli. Le Chœur du Théâtre Mariinsky, très bien préparé par Andrei Petrenko, distille un très beau mystère dans le premier mouvement, accompagné avec tact par les violoncelles et contrebasses de l’orchestre. Si le deuxième mouvement s’avère plus indolent, le troisième conclut en revanche de la plus belle manière cette œuvre, les dernières paroles («Amen») étant déclamées avec une humilité de très bon aloi.
Sébastien Gauthier
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