Paris Théâtre des Champs-Elysées 03/06/2012 - et 9 mars 2012 Richard Wagner : Parsifal Christopher Ventris (Parsifal), Mihoko Fujimura (Kundry), Kurt Rydl (Gurnemanz), Lucio Gallo (Klingsor), Detlef Roth (Amfortas), Andreas Hörl (Titurel), Michael Laurenz, Robert Jezierski (Gralsritter), Manuel Günther, Andreas Früh (Knappen), Julia Borchert, Katharina Peetz (Knappen und Klingsors Zaubermädchen), Martina Rüping, Carola Guber, Christiane Kohl, Jutta Maria Böhnert (Klingsors Zaubermädchen), Isabelle Sengès (Eine Stimme)
Maîtrise de Radio France, Sofi Jeannin (chef de chœur), Chœur de Radio France, Matthias Brauer (chef de chœur), Orchestre national de France, Daniele Gatti (direction)
M. Fujimura
On ne présente plus Parsifal (1882), opéra de Richard Wagner (1813-1883) dont l’idée naquit dès 1857 mais dont les premières esquisses datent véritablement de 1865, l’œuvre (commencée à l’été 1877) étant achevée en janvier 1882 et créée en juillet sous la baguette de Hermann Levi, au Festival de Bayreuth. Œuvre-phare du compositeur allemand, offrant à l’auditeur plus de quatre heures de musique (c’est notamment à cet égard que Christian Merlin peut très justement écrire, dans son ouvrage Wagner, mode d’emploi, que «la musique de Parsifal exige beaucoup de l’auditeur en ce qu’elle tend des arches immenses dont la vertu première est la patience»), elle avait déjà été donnée en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées l’année dernière sous la baguette étincelante de Kent Nagano. L’espace de deux soirées, c’est au tour de l’Orchestre national de France et de son chef titulaire, Daniele Gatti, de nous livrer à leur tour leur vision de cet opéra qui, malheureusement, n’aura rempli le théâtre qu’aux deux tiers, certains spectateurs ayant même abandonné après le premier acte.
On ne présente plus Parsifal : doit-on pour autant présenter le Parsifal de Daniele Gatti? Le chef italien est ici en terrain connu pour l’avoir dirigé régulièrement au cours des années passées, que ce soit au Festival de Bayreuth (en août 2008 et en août 2009) ou en Suisse, à l’Opéra de Zurich, comme ce fut le cas en juillet 2011. Et, de fait, cette longue fréquentation, pour ne pas dire confrontation, opère immédiatement. Même si le Prélude du premier acte manque un peu de tension et que certaines ruptures de tempi s’avèrent soit brutales, soit inutiles, Daniele Gatti réussit là une superbe performance. Dirigeant par cœur sans même disposer d’une partition fermée à proximité, n’oubliant aucun départ, ne négligeant aucun détail (à ce titre, il veille constamment à ce que les cuivres ne couvrent jamais les cordes et que ces dernières laissent également les bois s’exprimer comme il convient), il témoigne d’une totale maîtrise de l’œuvre. Hormis le pupitre de trompettes qui se trouve parfois à la peine et dont la musicalité a souvent été prise en défaut, on ne peut que saluer le jeu des divers musiciens, qu’il s’agisse du des violoncelles (dont la cohésion doit de nouveau être soulignée), des cors (emmenés par le brillant Hervé Joulain), d’un pupitre de clarinettes en état de grâce (au sein duquel brille certes Patrick Messina mais également Renaud Guy-Rousseau à la clarinette basse) ou d’un cor anglais omniprésent, tenu avec maestria par Laurent Decker.
Les chanteurs, placés non pas sur le devant de la scène mais sur une vaste estrade entre l’orchestre et les chœurs, furent globalement d’un bon niveau, à commencer par Christopher Ventris dans le rôle-titre. Ayant déjà chanté Parsifal au disque sous la direction de Kent Nagano, à San Francisco dès juin 2000, puis à Vienne et à Bayreuth (voir ici et ici), Christopher Ventris domine son rôle sans grande difficulté. Il incarne parfaitement ce jeune homme plutôt falot et benêt (au premier acte) qui, petit à petit, comprenant d’où il vient, qui sont les protagonistes qu’il rencontre (que ce soit sa mère ou Gurnemanz, qui joue auprès de lui un rôle fondamental de tuteur) et, finalement, quelle est sa destinée, va se révéler au fil des deuxième et troisième actes. Sa voix gagne ainsi en puissance, en fermeté, son personnage gagnant logiquement en épaisseur: en un mot, il est crédible du début à la fin, servi au surplus par une voix extrêmement flatteuse.
Dans le rôle écrasant de Gurnemanz, Kurt Rydl mérite également d’être salué. Habitué du répertoire wagnérien (il a aussi bien chanté les rôles de Fafner que de Hagen, sans oublier celui d’un des chevaliers du Graal sous la direction de Karajan dans son célèbre enregistrement de 1980 pour Deutsche Grammophon), il se montre très convaincant dans la diversité des caractères qu’il est censé représenter: ombrageux au premier acte avec les chevaliers, protecteur à l’égard de Parsifal (au troisième acte, il abordera même ce dernier avec l’humilité de celui qui sait servir), colérique à l’égard de Kundry... Même si sa voix peine parfois lorsqu’elle s’aventure au-dessus du medium, Rydl n’en livre pas moins une très belle prestation.
Dans le rôle d’Amfortas, Detlef Roth semblait être le bon chanteur, l’ayant interprété sous la direction de Daniele Gatti à Bayreuth et, plus récemment, sous celle de John Fiore. Pourtant, dès les premières notes, il est évident qu’il ne possède ni la carrure, ni l’épaisseur que commande ce personnage qui, même s’il n’est présent qu’aux premier et troisième actes, innerve l’ensemble de l’action dramatique. C’est lui qui suscite les premières paroles de Gurnemanz aux chevaliers au premier acte, c’est lui qui sera soigné par la Lance brandie par Parsifal à la fin du troisième... Roth n’exprime pas suffisamment ses souffrances, physique et morale, sa voix apparaît beaucoup trop légère alors que sa tessiture de baryton devrait pourtant lui donner une certaine résonance. Dans le rôle de Titurel, Andreas Hörl (qui s’était précédemment vu confier le rôle d’un des chevaliers dans la version dirigée par Gatti à Zurich en juillet 2011) est excellent, servi par une voix crépusculaire comme il convient; quant à Lucio Gallo (qui tient le rôle de Klingsor), il se montre tout aussi convaincant.
Côté féminin, évidemment, le plateau est dominé par la Kundry déchirante de Mihoko Fujimura. Celle qui fut tour à tour Brangaene, Fricka, Waltraute et déjà Kundry, livre là un fabuleux numéro de comédienne. Elle souffre quand il le faut, elle implore quand cela est nécessaire, elle hurle de colère quand elle en ressent le besoin! Elle vibre donc à chaque instant, ce qui nous fait d’autant plus regretter quelques attaques trop dures et une tendance, dans la première partie du deuxième acte notamment, à chanter toujours un peu sur le même registre, perdant peut-être en diversité de ton ce qu’elle gagne en émotion. Dans le rôle des filles-fleurs, Julia Borchert, Katharina Peetz, Martina Rüping, Carola Guber, Christiane Kohl et Jutta Maria Böhnert se montrent également à leur aise même si leurs voix manquent parfois de caractère.
Un mot enfin sur l’excellente Maîtrise de Radio France et le non moins bon Chœur de Radio France qui, sous la houlette respective de Sofi Jeannin et Matthias Brauer, participent pleinement à la réussite de ce spectacle qui sera de nouveau donné le vendredi 9 mars, concluant sur France Musique une journée tout entière consacrée à Daniele Gatti: peut-on rêver meilleur hommage?