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David et Goliath Paris Salle Pleyel 03/05/2012 - et 28 février 2012 (Amsterdam) Ludwig van Beethoven : Symphonies n° 1 en ut majeur, opus 21, et n° 9 en ré mineur, opus 125
Jessica Rivera (soprano), Karen Cargill (mezzo-soprano), Roberto Saccà (ténor), Hanno Müller-Brachmann (baryton-basse)
Groot Omroepkoor, Edward Caswell (chef de chœur), Chamber Orchestra of Europe, Bernard Haitink (direction)
B. Haitink (© Sébastien Jourdan)
Souvenez-vous de la légende de David et Goliath… On s’attend un peu à cette confrontation en se rendant à ce troisième et dernier concert qui, après deux représentations les jours précédents (voir ici et ici), vient ainsi clore le cycle beethovénien donné par Bernard Haitink et l’Orchestre de chambre d’Europe. Associer la Première Symphonie (1800) et la Neuvième (1824) ne manque évidemment pas de piquant: quelle évolution dans le style, dans la maîtrise du phrasé orchestral, dans l’inventivité mélodique! Quelle évolution également, et cela était moins évident a priori, dans l’interprétation de ce soir.
En formation légère, l’Orchestre de chambre d’Europe s’installe et le public accueille avec déjà quelques bravos Bernard Haitink pour une sensationnelle Première Symphonie. Quoique déjà imprégnée d’un style propre, cette œuvre puise évidemment ses racines chez Haydn: c’est cette vitalité, cette générosité, cet humour également que l’on retrouve ici dès les premières notes. Après une introduction (Adagio molto) où se distingue immédiatement la petite harmonie (notamment la flûtiste Clara Andrada de la Calle et le hautboïste Kai Frömbgen), Haitink entraîne l’orchestre dans un superbe Allegro con brio où tout n’est que facilité et simplicité. Dans un tempo allant (comme toujours au fil de ce cycle lorsqu’il s’est agi de diriger les mouvements lents), Bernard Haitink conduit ensuite l’Andante cantabile con moto en faisant ressortir toutes les couleurs possibles et imaginables. Les deux derniers mouvements permettent aux cordes de briller de nouveau, les archets courant sur les cordes avec une dextérité et une finesse dignes de tous les éloges: une réussite totale.
Comment penser, après cette première œuvre, que la suite serait aussi décevante et que l’on aurait droit à une aussi grande déconvenue? Faut-il y voir une certaine fébrilité à l’idée de s’attaquer à ce monument musical (Haitink dirigeant d’ailleurs la partition ouverte sur son pupitre, chose qui ne lui était jamais arrivée auparavant durant ce cycle symphonique)? Faut-il y voir une certaine fatigue des musiciens (et du chef, celui-ci étant apparu assez abattu à la fin du concert)? Toujours est-il que, dès les premières minutes, ça ne fonctionne plus. Le mystère n’est pas présent et, surtout, les musiciens donnent en plus d’une occasion une impression de flottement que ce soit dans les tempi (les décalages étant nombreux) ou dans la dynamique sonore où les forte se font attendre, Bernard Haitink ne semblant plus toujours maître de ce qui se passe. Ainsi, il est perceptible que le chef néerlandais souhaiterait parfois adopter un tempo plus vif mais l’orchestre ne semble pas l’entendre de cette oreille. La même impression ressort du Molto vivace où les décalages sont patents entre les solos du cor et les cordes de l’orchestre, Haitink ayant d’ailleurs du mal à ramener tout le monde à la raison. Les musiciens manquent de nouveau de finesse et de maîtrise dans le discours, les timbales étant trop sèches, les cordes faisant preuve d’une étonnante pauvreté sonore (quel manque de volume chez les violons!), les bois ne s’en tirant pas beaucoup mieux. L’Adagio molto e cantabile est le mouvement le mieux réussi, Bernard Haitink tirant enfin quelques magnifiques sonorités à l’Orchestre de chambre d’Europe, jouant sans excès sur le legato et sur le soyeux des violoncelles. Si la première partie du Presto n’appelle aucune critique, la partie proprement chorale de la Neuvième est malheureusement une immense déception. Le Chœur de la radio néerlandaise (une cinquantaine de chanteurs disposés à l’arrière de la scène, permettant de ce fait au public d’occuper comme d’habitude les gradins placés en surplomb) livre une prestation honnête même s’il ne distille à aucun moment ni solennité, ni joie véritable. Quant aux solistes, on en perd notre latin: une basse dont la voix s’avère chevrotante du début à la fin, poussant ses aigus de façon inconsidérée, un ténor et une mezzo convenables mais une soprano hors sujet, jouant un vibrato constant et manquant de caractère. On s’étonne finalement beaucoup du choix de ce quatuor vocal par Haitink, lui qui a été et continue d’être un chef lyrique de tout premier ordre.
L’ovation qui conclut le concert ne doit donc pas leurrer: c’est bien Bernard Haitink, qui a fêté ses quatre-vingt trois ans le 4 mars, qui est salué! C’est bien ce chef légendaire qui est applaudi par un public conscient que ses venues sont malheureusement appelées à se raréfier, même si la salle Pleyel l’accueillera de nouveau les 17 et 18 juin pour deux concerts mêlant Bruckner, Mozart (avec Maria João Pires en soliste), Schubert et Purcell. Bref, hommage à un immense chef d’orchestre depuis plus de cinquante ans et non au chef de cette seule soirée. Mais on pouvait peut-être finalement se douter de l’issue de ce concert: entre David et Goliath, n’est-ce pas le premier qui l’a finalement emporté?
Sébastien Gauthier
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