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Le Beethoven sans concession de Bernard Haitink

Paris
Salle Pleyel
03/02/2012 -  et 21 février 2012 (Amsterdam)
Ludwig van Beethoven : Egmont, opus 84: Ouverture – Triple Concerto en do majeur, opus 56 – Symphonie n° 6 en fa majeur, «Pastorale», opus 68
Renaud Capuçon (violon), Gautier Capuçon (violoncelle), Frank Braley (piano)
Chamber Orchestra of Europe, Bernard Haitink (direction)


R. Capuçon (© Marc Ribes)


Que cette nouvelle série de concerts était attendue! Après deux magnifiques représentations données voilà plus d’un an à la Salle Pleyel (voir ici et ici), où il avait notamment dirigé quatre symphonies de Ludwig van Beethoven (1770-1827), Bernard Haitink et l’Orchestre de chambre d’Europe sont de nouveau présents rue du Faubourg Saint-Honoré pour conclure la seconde phase ce cycle (commencée à Amsterdam il y a quelques semaines), au cours duquel sera finalement donnée l’intégralité des Symphonies. A quatre-vingt trois ans, Bernard Haitink a fière allure. Et c’est sans fatigue apparente qu’il gagne rapidement son estrade et lance ses musiciens dans un concert on ne peut plus classique puisqu’adoptant la formule éculée de l’ouverture-concerto-symphonie: évidemment, comme on pouvait l’espérer mais comme on pouvait également s’y attendre, le public (au sein duquel on reconnaît quelques figues médiatiques – qu’il s’agisse de Jacques Chancel ou de Pierre Bergé, d’un membre du Gouvernement ou de la très médiatique épouse de l’un des solistes du Triple Concerto – aura eu droit à un grand moment de musique.


Ce qui frappe d’emblée, dès les premiers accords de l’«Ouverture» d’Egmont (1810), c’est l’approche implacable adoptée par le chef néerlandais. Les notes sont tenues sans durée excessive, Haitink ne souhaitant visiblement aucun épanchement inutile: la facilité n’est pas son fort. La noirceur du thème est ainsi parfaitement rendue par un orchestre aux dimensions pourtant modestes (à peine une quarantaine de cordes), doublée d’un soin tout particulier apporté à la dynamique sonore, Bernard Haitink nous conduisant du pianissimo le plus fin au forte le plus impressionnant, concluant dans une véritable orgie musicale.


Le Triple Concerto, achevé à l’été 1804 et dédié au Prince Lobkovitz (chez qui avait précédemment été créée l’Héroïque), est une composition originale par les instruments qu’elle requiert (un piano, un violon et un violoncelle dialoguant avec un orchestre) et dans sa forme: on ne peut que se réjouir de la voir programmée, cette partition n’étant finalement pas si fréquemment donnée. Bernard Haitink, qui en a gravé une célèbre version avec le Beaux-Arts Trio (chez Philips), a ici choisi de faire appel à de jeunes solistes, dont les frères Capuçon (avec lesquels il a donné, l’année dernière, à Lucerne, le Double Concerto de Brahms). Le résultat de cette confrontation de générations (la fougue de Gautier Capuçon, la liberté de Frank Braley auxquelles s’oppose la sage gestique de Haitink) laisse parfois une impression mitigée. L’approche encore une fois sans concession du chef s’accommode parfois difficilement du rubato des trois solistes ce qui occasionna quelques légers décalages, les prestations du violoniste et du violoncelliste ayant parfois à souffrir une justesse perfectible (Gautier Capuçon à la fin du premier mouvement et au début du Largo), le jeu du pianiste étant pour sa part émaillé de quelques fausses notes et d’un toucher assez dur, notamment dans la partie du troisième mouvement (Rondo alla Polacca) qui bénéficie d’accents folkloriques fortement marqués. Pour autant, le résultat n’en fut pas moins convaincant (d’ailleurs salué par une formidable ovation du public), Renaud et Gautier Capuçon ainsi que Frank Braley témoignant d’une entente et d’une habitude de jouer ensemble sans faille, Bernard Haitink dirigeant avec beaucoup de soin un orchestre qui, dans cette partition plus que dans les autres œuvres concertantes de Beethoven, joue plus le rôle de faire-valoir que de véritable partenaire.


Après l’entracte (les solistes ayant à cette occasion rejoint les rangs du public), Bernard Haitink et l’Orchestre de chambre d’Europe donnent ce qui aura été le sommet de cette soirée: une Pastorale (datant de 1808 et également dédiée au Prince Lobkovitz) absolument idéale de naturel et de justesse. Que ce soit l’orchestre, sous l’influence notamment de Nikolaus Harnoncourt avec lequel il a donné une intégrale superlative des Symphonies au début des années 1990, ou le chef, sachant renouveler son approche tout en ne faisant pas table rase du passé et de ses traditions interprétatives, le souffle donné à cette Sixième Symphonie fut absolument extraordinaire. Respectant la reprise dans le premier mouvement (il les fera également dans le troisième), Bernard Haitink instaure d’emblée un climat bucolique mais toujours d’une très grande noblesse, ne tolérant là encore aucun alanguissement qui, il le sait, pourrait rapidement s’avérer de mauvais goût. Sa gestuelle, si reconnaissable (la main droite battant une mesure extrêmement claire tandis que le poing gauche est parfois levé pour inviter l’orchestre à jouer forte) et si belle à regarder, est d’une efficacité extraordinaire, les musiciens (sous la houlette du premier violon Marieke Blankestijn) donnant ainsi quelques tutti de toute beauté. Après des cordes d’une suavité à toute épreuve (Haitink veillant très justement à ce que ce soient néanmoins les bois qui dominent la fin du mouvement), c’est la petite harmonie qui révèle un véritable état de grâce dans le deuxième mouvement (Andante molto mosso). Après un troisième mouvement (Allegro) d’un extraordinaire dynamisme (quels cors!), le chef néerlandais entraîne le public dans une magnifique diversité d’atmosphères et de timbres qui, toujours avec une grande économie de gestes, culmine dans un étincelant Allegretto conclusif, la battue toujours directive laissant néanmoins une très grande liberté aux musiciens qui jouent ainsi avec toute la souplesse requise.


Encore une fois, on ne peut que saluer l’extraordinaire maîtrise dont fait preuve Bernard Haitink, qui aura livré là, en à peine quarante minutes, un très grand moment de musique. Il reste encore deux concerts à venir dans le cadre de ce cycle: évidemment, on y court!



Sébastien Gauthier

 

 

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