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Sage folie Rouen Théâtre des Arts 02/16/2012 - et 17, 19 février 2012 Francesco Cavalli: Egisto
Marc Mauillon (Egisto), Andres J. Dahlin (Lidio), Claire Lefiliâtre (Clori), Isabelle Druet (Climene), Cyril Auvity (Hipparco), Ana Quintans (Aurora/Amore/Prima Hora), Serge Goubioud (La Notte/Dema), Luciana Mancini (Didone/Voluptia), Caroline Meng (Hero/Belleza), Mariana Flores (Semele/Cinea), Mélodie Ruvio (Fedra/Venere), Reinoud Van Mechelen (Apollo)
Le Poème harmonique, Vincent Dumestre (direction musicale)
Benjamin Lazar (mise en scène), Adeline Caron (décors), Alain Blanchot (costumes), Christophe Naillet (lumières)
(© Pierre Grosbois pour l’Opéra Comique)
Grâces soient rendues au partenariat tissé depuis plusieurs saisons entre l’Opéra de Rouen et Le Poème Harmonique, offrant ainsi des séances de rattrapage pour ceux qui auraient manqué les représentations à l’Opéra Comique de l’Egisto de Cavalli, et un nouvel exemple de l’esthétique de Benjamin Lazar, devenue idiomatique par l’emploi de l’éclairage à la bougie dans le répertoire baroque.
Ce qui frappe d’emblée dans le théâtre rotatif à deux niveaux dessiné par Adeline Caron, ce sont les marges latérales significatives, créant une sorte d’ample écrin de pénombre sur lequel se détachent les lumières tamisées du dispositif circulaire. C’est que le décor, construit dans les ateliers de la maison rouennaise, a été calibré pour tenir sur le plateau plus étroit de la salle Favart. Du coup, les dimensions cinématographiques de celui du Théâtre des Arts isolent un peu l’espace dramaturgique.
Si les choix de Benjamin Lazar s’appuient sur des recherches pertinentes, initiées par son maître Eugène Green – sans pour autant rechercher une reconstitution historiographique vaine et servile –, en sertissant la scène sur les ténèbres de la salle, le rapport avec le public, moderne en cela, s’avère sensiblement différent de celui qui avait cours au XVIIe siècle, où l’audience n’était nullement plongée dans le noir. Faites-en l’expérience, l’intimité de la bougie paraît plus pénombre dans l’obscurité, où celle-ci créé une sorte de ligne de fuite lumineuse vers le plateau, privé du réfléchissement des candélabres qui en étoffaient alors la visibilité. A rituel différent, des moyens scénographiques similaires induisent une phénoménologie de la perception également différente. Il semble en tous cas que le problème soit apparu avec une acuité certaine dans la production, puisque l’on a usé de petites diodes d’appoint, absentes lors des représentations parisiennes, pour appuyer la luminosité parfois insuffisante pour nos yeux accoutumés à la franchise des néons, et sans doute aussi s’adapter aux caractéristiques du Théâtre des Arts.
Ces réserves formulées, on n’en goûte pas moins la richesse du travail effectué, sur l’iconographie comme sur la gestuelle. Par exemple, Dema rappelle ainsi les squelettes qui hantent maintes toiles de l’époque, confondant le comique et memento mori, selon les usages les plus établis par la tradition. On retrouve un vestiaire et un goût pour les ruines antiquisantes à la crédibilité philologique réjouissante. Visuellement, nous sommes transportés, l’instant d’une représentation, quatre siècles en arrière, permettant ainsi de nous décentrer de notre point de vue de spectateur du XXIe.
Pour autant, le résultat pèche par une sagesse sans doute excessive. L’Egisto ne se prive pas de la parodie et du grivois – certaines répliques se montrent d’une crudité sans détour. A trop vouloir esthétiser l’ouvrage, on perd de vue son originalité, qui l’ancre bien dans ce courant de l’opéra vénitien pour spectateurs payants, commencé dans le Teatro San Cassiano en 1637, où a été créé la pièce de Cavalli sept ans plus tard. Pour maintenir l’intérêt du public, les intrigues à rebondissements y mêlent le trivial et le sublime, et il semble que Benjamin Lazar ait lissé le premier pour éviter de trop éclabousser le second. On aurait aimé que l’hétérogénéité débridée de l’ouvrage se retrouve davantage sur le plateau. Moins connu que L’incoronazione di Poppea exactement contemporain – qu’il parodie au passage dans le duo entre Climene et Lidio, à moins que ce ne soit une simple autocitation, si l’on considère que le célèbre «Pur ti miro» est de la plume de Cavalli – il mériterait pourtant lui aussi les faveurs de la scène. Et pour ce faire, il faudrait révéler davantage ce en quoi il parle à notre sensibilité contemporaine, et s’affranchir d’une fidélité unilatérale à l’historicité – comme on l’a fait depuis longtemps, et parfois avec beaucoup de bonheur, pour les Monteverdi. La vis comica dépend de son contexte historico-social, bien plus que le tragique, et le foisonnement référentiel d’époque l’affaiblit plus qu’elle ne la sert. Bien plus qu’une curiosité philologique, la veine parodique de l’Egisto, à la fois docte et leste, se montre profondément moderne.
La réalisation musicale, colorée et roborative, comble heureusement les attentes. Avec un continuo emmené par son théorbe, Vincent Dumestre impulse à l’ensemble une dynamique vigoureuse et sapide, même si d’aucuns y reconnaîtraient des recettes récurrentes, qui participent cependant d’une cohérence qu’il est plaisant de retrouver. Un tel fil conducteur n’est d’ailleurs pas à négliger dans un ouvrage à la dramaturgie vive mais passablement linéaire – les architectures compositionnelles s’initieront à partir de la tragédie lyrique française. L’enrichissement de l’effectif orchestral par deux flûtes permet ingénieusement de créer une illusion d’épaisseur sonore presque chorale, idéale pour les codas, et bien dans l’esprit de l’archétype de l’opéra imaginé par les camerate fiorentine.
Sans doute éprouvé par les conditions climatiques alors rigoureuses, le plateau vocal semble avoir recouvré la santé pour ces représentations normandes. La remarque ne concerne nullement Marc Mauillon, toujours impressionnant de vivacité théâtrale dans le rôle-titre. Affranchie des stridences qu’on lui a souvent entendues, Claire Lefiliâtre incarne une Clori à la jeunesse discrètement acidulée. Isabelle Druet donne à Climene une ampleur bienvenue, se détachant sur la pâleur idiomatique d’Anders J. Dahlin en Lidio. Cyril Auvity s’avère un peu rustaud en Hipparco tandis que Serge Goubioud exhibe une truculence exubérante dans Dema. Ana Quintans séduit dans ses apparitions successives – Aurora, Amore et Prima Hora. Le quatuor de belles outragées par l’Amour (Luciana Mancini, Caroline Meng, Mariana Flores et Mélodie Ruvio) aurait sans doute gagné à un traitement théâtral plus inventif. Reinoud Van Mechelen s’acquitte honnêtement de la partie d’Apollo.
Gilles Charlassier
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