About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Succès mérité

Madrid
Teatro Real
02/22/2012 -  & 14, 17, 19, 24, 26, 29 février, 2, 4 mars 2012
Wolfgang Amadeus Mozart: La clemenza di Tito K. 621
Yann Beuron (Tito), Amanda Majeski (Vitellia), Kate Aldrich (Sesto), María Savastano (Servilia), Serena Malfi (Annio), Guido Loconsolo (Publio)
Orchestre et Chœur du Teatro Real, Andrés Máspero (chef du chœur), Diego Procoli (pianoforte, continuo), Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Ursel et Karl-Ernst Herrmann (mise en scène), Karl-Ernst Herrmann (décors, costumes, lumières)


A. Majeski & K. Aldrich (© Javier del Real/TR)


Peut-être est-il vrai que l’opéra seria est trop loin de nous, qu’il s’y développe trop d’invraisemblances, qu’il est l’anti-théâtre par son hiératisme artificiel, ses thèmes gréco-romains traités d’une façon tout à fait surannée, par l’obligation d’une fin heureuse... On peut en être d’accord, en principe. Pourtant...


Une mise en scène comme celle-ci, bien connue, de Karl-Ernst et Ursel Herrmann, démontre les possibilités théâtrales d’un art lyrique conçu pour les « divi », mais écrit par un artiste (Métastase) qui connaissait bien son métier ; d’accord, il faisait fi de la vraisemblance, mais savait très bien développer le côté humain du personnage dans une situation `à laquelle on ne parvenait souvent que par des invraisemblances. Sesto chante ses chagrins, et ses chagrins sont vrais, humains, trop humains… même s’il est y arrivé par des sentiers que les époques ultérieures ne s’autorisaient plus. On le sait : il y a eu beaucoup de Clemenzas. Mais peut-être aucune comme celle de Mozart en utilisant le même livret que Caldara, Hasse, Jomelli, Galuppi, voire Gluck bien avant sa « Réforme » et son Orfeo. C’est vrai qu’il y a de modifications importantes, dont le but n’est pas vraiment d’améliorer le texte original conçu pour le couronnement de Charles IV. On est en 1791, pour le couronnement de Léopold II comme roi de Bohême à Prague, et l’opéra seria « à la Metastasio » est un style en déclin. Le dernier opéra de Mozart, écrit peut-être entre l’été et l’automne de 1791, la dernière année de sa vie, souffre depuis sa première d’un mépris, d’un dédain, d’un manque d’amour peu étonnant, mais injuste, on le sait bien aujourd’hui, et on le voit clairement dans un spectacle avec les qualités théâtrales, d’ensembles et des solistes comme celui qu’on vient de voir au Teatro Real. On peut lire et relire les manuels d’histoire et d’esthétique de l’opéra, voire les monographies sur Mozart: La clemenza provoque, dans le meilleur des cas, un certain embarras. Après la théâtralité éclatante de Le nozze di Figaro, Don Giovanni et Così, après le conte maçonnique de la Flûte, on dirait qu’on est de retour è Idoménée, mais pire ; à Lucio Silla... Mais, non, il s’agit de Mozart ; donc, il doit y avoir quelque chose que les contemporains de la cour et la postérité immédiate, distraite par son œuvre immense, n’ont pas vu, n’ont pas su regarder. Et voilà que, pas trop de temps après la perplexité des savants comme Paul Henry Lang, on découvre les qualités même pas cachées, mais évidentes, de la Clemenza de Mozart. Mais il est clair aussi que La clemenza n’aura jamais la popularité de La flûte enchantée, deux chefs-d’œuvre contemporains du même compositeur, mais conçu pour des audiences si différentes comme la ville de Vienne et la cour séjournant à Prague.



C’est clair: pour percevoir le trésor de la Clemenza il faut regarder avec les yeux pour lesquels Mozart a pensé ses airs, ses recitativi secchi, ses recitativi accompagnati… Pas avec d’autres yeux. Pas avec les yeux, par exemple, des aristocrates qui y fêtaient le couronnement de Léopold, un moment qu’ils ne percevaient pas comme délicat, voire transcendant : la mort de Joseph II, le Kaiser illustré, pendant la révolution voisine de France ; le couronnement comme roi de celui qui sera l’avant- dernier Empereur du Saint-Empire et le premier à n’être plus avec son temps. On dit que Marie Louise de Bourbon, la Kaiserin, qualifia La clemenza de “ porcheria tedesca in lingua italiana” (une porcherie allemande en langue italienne).



La mise en scène des Herrmann a déjà trois décennies, et a eu un succès très mérité à l’Opéra de Paris en 2005 (fort heureusement il existe un DVD). Mortier a défendu cette mise en scène comme une de ses préférées, et pour cause. Rendre théâtrale une œuvre dont la tradition est souvent ennuyeuse est l’atout le plus important des Herrmann, qui rendent vivants les récitatifs par une direction d’acteurs profonde et accomplie, qui « font bouger » les arias et les ensembles loin de l’arrêt de toute action – ce qui était la pratique autrefois, dans un temps lointain, révolu, il est vrai, mais qui a marqué toute une tradition encore assez forte. On dirait que cela nous démontre que tout le belcantisme, dès le Baroque même, peut être mis en scène comme du véritable théâtre: action, dessin des caractères, réactions psychologiques, introspection et en même temps spectacle… Il faut suivre le modèle des Herrmann, pas pour une imitation en soi, mais pour extraire une leçon: dans chaque air, dans tout récitatif il y a, parfois caché, souvent évidente, une action dramatique à développer, un personnage à décrire; pas un problème à résoudre, ni un vide à remplir. Le décor est presque nu, beau, suggestif, intemporel avec des nuances « classiques », et les très beaux costumes sont l’œuvre de Karl-Ernst Herrmann. Attention aux petits détails: les jeux des lauriers qui y sont pendus, signature permanente de la mise en scène, ou encore le « vol » du paon pendant les premières intrigues de Vitellia.



Une distribution d’un très haut niveau de chant et de comédie réussit à rendre toute naturelle la séquence de cet opéra « à craindre ». Le rôle de Tito n’est pas le plus gratifiant de cet opéra, il est trop bon, trop clément, il ne lute que contre lui-même. Cela ne donne pas une ligne remarquable, et malgré cela Yann Beuron fait une véritable création de ténor lyrique dont les éclats et, surtout, la facture de ses diminuendi et de ses « sons filés » sont une merveille. Kate Aldrich a été la plus applaudie des trois grands protagonistes de cette distribution de six personnages (formidable son concert pour mezzo, clarinette et orchestre, avec Luis Miguel Mendes, formidable clarinette !). Aldrich mérite le succès par la construction charmante d’un personnage faible et fort en même temps, comme Sesto. Mais il n’était pas juste, à notre avis, à l’égard de Beuron mais aussi de Kate Majeski. Majeski a un aigu fort, un vibrato qui tremble et fait trembler, et dans les notes basses on peut dire que c’est incroyable, on dirait que cette soprano (ici, plutôt dramatique) est tout à fait une mezzo. La distribution est complétée par les belles voix et les prestations dramatiques impeccables des trois co-protagonistes, María Savastano, Serena Malfi et Guido Lonconsolo.



Mais l’orchestre a un rôle important, avec la violence du départ que Thomas Hengelbrock a imprimé à l’ouverture, avec les nuances forte et piano tout au long de la séquence, une définition dramatique et lyrique pour les voix et la situation des personnages du drame. Hengelbrock et l’orchestre, en pleine forme encore une fois, ont été le « septième personnage ». Ou plutôt le huitième, puisque le chœur est un véritable personnage avec ses solistes, peu prodigue dans ses interventions, mais avec un rôle important qui existe déjà dans la tragédie lyrique française et qui sera redécouvert au cours du siècle suivant, surtout par les Russes.



Après le succès incontestable de cette Clemenza (pas énorme, pas comme dans les opéras antérieurs de cette saison à Madrid, La clemenza ne sera jamais pour tout le monde, on l’a dit), ce titre si beau et si spécial ne sera plus à craindre par le public de Madrid... au moins pendant quelques années.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com