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Un Tour d’écrou magique et oppressant

Rennes
Opéra
02/03/2012 -  et 5, 7*, 9 février 2012
Benjamin Britten : The Turn of the Screw, opus 54
Paul Agnew (Le narrateur, Peter Quint), Marie-Adeline Henry-Delhoume (La gouvernante), Hanna Schaer (Mrs Grose), Cécile Perrin (Miss Jessel), Antonin Rondepierre (Miles), Claire Sevestre*/Anaëlle Drut-Desombre (Flora)
Orchestre de Bretagne, Tito Munoz (direction)
Dominique Pitoiset (mise en scène & scénographie), Nathalie Prats Berling (costumes), Christophe Pitoiset (lumières)


P. Agnew, M.-A. Henry-Delhoume, A. Rondepierre
(© Laurent Guizard)



Après avoir été montée à l’Opéra national de Bordeaux en 2008, c’est à l’Opéra de Rennes que cette formidable production du Tour d’écrou, signée Dominique Pitoiset, faisait escale. Opéra de chambre écrit pour six voix et un ensemble de treize instrumentistes, le huitième opus lyrique de Benjamin Britten a été accueilli très favorablement dans la capitale bretonne, où l’ouvrage n’avait pas été donné depuis 1995 (mais dans une production décevante signée Stephan Grögler, que nous avions pu voir à l’Opéra-Comique un an plus tard). Force est de constater que le spectacle de ce soir était, cette fois, en tous points remarquable.


L’œuvre repose sur quelques-uns des thèmes chers à Britten, relatifs à la confrontation entre le monde de l’adolescence et celui des adultes, baignant dans une atmosphère trouble. Et si l’histoire, racontant la lutte pour l’emprise sur des enfants (Miles et Flora) que se livrent la Gouvernante et Mrs Grose d’une part, Quint et Miss Jessel (les «fantômes») d’autre part, n’existait finalement que dans l’imagination de la Gouvernante? Une question laissée en suspens, tant par Henry James – dont la nouvelle est à la base de l’opéra – que le librettiste Myfanwy Piper et Benjamin Britten lui-même.


Le directeur du Théâtre national de Bordeaux Aquitaine signe certainement là son meilleur travail (sur un ouvrage lyrique), autrement réussi que sa Bohème - aussi misérabiliste que ratée –, créée au Capitole de Toulouse la saison dernière. Pitoiset transpose l’action dans le salon cosy d’une maison bourgeoise des années soixante. A l’instar du Château de Barbe-Bleue donné récemment dans la cité voisine de Nantes (voir ici), l’atmosphère générée par la scénographie est particulièrement pesante, avec un sentiment d’enfermement et d’asphyxie qui étreignent vite le spectateur. Ici, nulle scène du Lac, de la Tour ou du Jardin (comme décrits dans le livret) qui permettraient une certaine «respiration», mais seulement l’espace clos d’une pièce unique; certes la grande baie vitrée donne sur un jardinet, mais il est lui-même ceint par un haut mur de briques. Pitoiset dit s’être inspiré de l’univers des films de Bergman et de Hitchcock pour restituer l’ambiance oppressante et le climat de claustrophobie inhérents à la nouvelle de Henry James: ce en quoi il a parfaitement réussi!


Seconde source de grande satisfaction, les interprètes réunis ce soir, qui s’avèrent tous d’excellents acteurs-chanteurs – certains reprenant un rôle qu’ils avaient étrenné à Bordeaux (c’est le cas de Paul Agnew, Cécile Perrin et Hanna Schaer). Mais il faut citer en premier lieu la Gouvernante superlative de Marie-Adeline Henry-Delhoume, d’une justesse dramatique saisissante et d’un impact vocal idoine. Après nous avoir enthousiasmé le mois dernier en Avignon dans le rôle de la Comtesse des Noces de Figaro, la jeune chanteuse française nous comble à nouveau grâce à sa voix de grand soprano lyrique, projetée avec l’autorité et l’aplomb d’un javelot, mais aussi au service d’un texte dont l’artiste ne néglige aucun détail. En formidable comédienne qu’elle s’avère également être, elle excelle à faire évoluer son personnage, rendant la lente métamorphose de la Gouvernante de plus en plus flagrante, de l’insouciance et l’enthousiasme du début, aux doutes et à l’angoisse qui suivent – autant de sentiments qu’elle rend perceptibles en sachant sculpter le moindre trait de son visage. Magistral!


La seconde palme revient sans conteste au Miles d’Antonin Rondepierre. Tant d’un point de vue musical que scénique, l’adolescent sert avec une maturité et un charisme poignants les nombreuses facettes d’un rôle complexe. La Flora de Claire Sevestre fait également preuve de beaucoup de naturel et de professionnalisme, jouant avec brio ce rôle d’adolescente effrontée. Déjà présent à Bordeaux, Paul Agnew incarne un Quint inquiétant et dérangeant, qui se joue des arabesques vocales que lui impose sa partie. Apparaissant la première fois dans la travée latérale du théâtre, Cécile Perrin campe une formidable Miss Jessel, qui donne froid dans le dos. Aussi diabolique que son alter ego masculin, on admire aussi sa voix puissamment impactée. Hanna Schaer enfin – également présente dans l’édition bordelaise (mais aussi dans l’incontournable production de Luc Bondy créée à Aix-en Provence en 2001) – compose une Mrs Grose à la fois aimante et intensément tragique. Son timbre de voix, toujours plein de superbe, demeure inaltéré malgré les ans qui passent, pour notre plus grand bonheur.


A la tête d’un Orchestre de Bretagne en grande forme, Tito Munoz – fraîchement promu directeur musical de l’Opéra national de Lorraine – impose avec finesse, fluidité et sens des coloris un dialogue ténu entre les treize instrumentistes et le plateau vocal. On savoure la progression dramatique qu’il parvient à insuffler à la phalange maison, dans un crescendo qui ne dément pas le titre de l’œuvre. A titre individuel, nous ne manquerons pas de saluer également le brillant solo de piano par Colette Diard.


Notons, en guise de conclusion, que l’ultime scène – qui voit Miles venir mourir dans les bras de la Gouvernante tandis que résonnent les derniers accords – abandonne un public médusé dans une émotion totale.



Emmanuel Andrieu

 

 

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