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Double adaptation et double voyage

Paris
Athénée – Théâtre Louis-Jouvet
02/11/2012 -  et 12*, 14, 15, 16, 17 février 2012
Franz Schubert : Winterreise, D. 911 (orchestration Takénori Némoto)
Mélanie Boisvert (soprano), Guillaume Andrieux, Didier Henry (barytons)
Ensemble Musica Nigella/Pas-de-Calais: Christian Laborie/François Laborie (clarinette), Frédéric Durand/Yannick Mariller (basson), Yannick Maillet (cor), Samuel Nemtanu/Pablo Schatzman, Clara Abou (violon), Laurent Camatte (alto), Annabelle Brey (violoncelle), Nicolas Crosse/Matthias Bensmana (contrebasse), Takénori Némoto (direction musicale)
Yoshi Oïda (mise en scène et adaptation), Jean Kalman, Elsa Ejchenrand (lumières et scénographie), Elisabeth de Sauverzac (costumes)


M. Boisvert (© E. de Sauverzac)


En ce mois de février glacial, l’Ensemble Musica Nigella reprend Le Voyage d’hiver (1827), créé en juin dernier à Montreuil-sur-Mer, dans ce Pas-de-Calais qui est son port d’attache, et coréalisé avec l’Athénée, qui affiche à son tour pour six représentations ce «spectacle lyrique» consistant en une double adaptation du recueil schubertien.


Adaptation de la partition, d’abord, puisque le directeur musical de l’ensemble fondé en 2010, le corniste, pianiste et compositeur Takénori Némoto (par ailleurs l’un des arrangeurs de la Compagnie Les Brigands) a instrumenté la partie de piano pour un effectif qui est exactement celui de l’Octuor (clarinette, basson, cor et quintette à cordes). Revendiquant ainsi une fidélité à l’esprit et au temps de Schubert, sa démarche n’a donc rien à voir avec celle du chef et compositeur Hans Zender dans son «interprétation composée» déjà présentée à plusieurs reprises à Paris (à la Cité de la musique en novembre 2002 et à Favart en mai 2008). Elle se veut même plus traditionnelle que la «réadaptation» du hautboïste Normand Forget, publiée chez ATMA classique, où le ténor est accompagné par un accordéon et un quintette à vent auxquels il est même demandé de donner de la voix. Sous la baguette sobre de Némoto et avec un ensemble instrumental de qualité, le résultat est globalement convaincant – même si certains lieder «fonctionnent» mieux que d’autres – et le travail très soigné, veillant notamment à varier les couplets. Détail agaçant: les 75 minutes, sans entracte, sont toutefois interrompues par une pause qui semble bien longue avant les quatre derniers numéros, le temps que les musiciens se réaccordent.


Adaptation scénique, ensuite, puisque Yoshi Oïda explicite la trame qui, comme dans La Belle Meunière, sous-tend les vingt-quatre poèmes de Müller, quitte à modifier légèrement l’ordre dans lequel on les entend habituellement. Avant que la musique ne commence, une brève pantomime met le propos en perspective: un «musicien vagabond» remet à une jeune femme une lettre et un livre – journal intime, œuvre littéraire? – que lui a confiés un poète, l’élu de son cœur, réel ou fantasmé; elle décide alors d’emprunter les mêmes chemins à sa suite. Au fil des vingt-quatre mélodies, les deux voyageurs, accompagnés du vieil homme, sont alternativement mis en valeur par le jeu de retours en arrière faisant se succéder les époques, mais les rigueurs hivernales de ce double itinéraire n’en mènent pas moins à la tombe du poète.


En un temps où même Le Messie et la Messe en si ont été portés à la scène, tandis que Pascal Dusapin a d’emblée conçu son cycle de lieder O Mensch! comme un spectacle à part entière, l’exercice n’en restait pas moins délicat, comme toujours lorsqu’il s’agit d’illustrer ce qui produit quelquefois déjà des miracles sans le secours d’un support visuel. Car la simple association d’un chanteur et d’un pianiste, c’est fort peu et en même temps beaucoup dès que deux artistes remarquables entrent en osmose: il suffit par exemple de se souvenir jusqu’où Matthias Goerne et Christoph Eschenbach ont réussi à emmener le public dans La Belle Meunière en novembre dernier à Pleyel. Mais le spectacle parvient à naviguer à peu près sans accident entre les deux principaux écueils, la naïveté et la trivialité, à ceci près que la diffusion d’aboiements enregistrés avant «Au village» (ou de croassements avant «Le Corbeau») paraît franchement redondante ou que la truculence du vagabond avec sa bouteille jure un peu. Comme les costumes d’Elisabeth de Sauverzac, une autre partenaire attitrée des Brigands – longs manteaux, écharpes – le dispositif scénographique de Jean Kalman et Elsa Ejchenrand, qui en assurent également l’éclairage, a le mérite de la simplicité: sur un praticable légèrement surélevé et recouvert d’une toile noire qui ne tarde pas à révéler un sol neigeux ou glacé, deux bancs et un arbre qui a perdu ses feuilles – la première image évoque clairement un tableau de Friedrich.




Pour les besoins de la dramaturgie, certains des poèmes sont partagés entre deux chanteurs. Guillaume Andrieux, à l’aigu joliment coloré mais un peu lisse à force d’éviter le pathos, se taille la part du lion. Avec un accent un peu plus prononcé, Mélanie Boisvert se tient elle aussi à une certaine réserve expressive, avec parfois une émission un peu raide et un timbre non dépourvu de dureté. Omniprésent, Didier Henry n’intervient cependant qu’assez tard et chante généralement avec l’un ou l’autre des protagonistes: la voix est plus puissante, plus théâtrale mais aussi plus irrégulière, ce qui ne disconvient pas nécessairement au personnage.


Le site de l’Ensemble Musica Nigella
Le site de Didier Henry



Simon Corley

 

 

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