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Une prise de rôle spectaculaire

Bordeaux
Grand-Théâtre
01/25/2012 -  et 27, 29, 31* janvier, 3, 5 février 2012
Giuseppe Verdi : Macbeth

Tassis Christoyannis (Macbeth), Lisa Karen Houben (Lady Macbeth), Brindley Sherratt (Banquo), Calin Bratescu (Macduff), Aurélie Ligerot (Dame d’honneur), Xin Wang (Malcom), Loïck Cassin (Medico)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Alexander Martin (direction des chœurs), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Kwamé Ryan (direction musicale)
Jean-Louis Martinoty (mise en scène), Bernard Arnould (décors), Daniel Ogier (costumes), François Thouret (lumières), Gilles Papain (créations numériques)


T. Christoyannis (© Frédéric Desmesure)


Après le fiasco subi par sa dernière mise en scène à l’Opéra National de Paris (un Faust de triste mémoire à l’automne dernier), c’est avec un sentiment de perplexité inquiète que nous nous rendions à Bordeaux voir le travail de Jean-Louis Martinoty sur le Macbeth de Verdi. D’autant plus que nous gardions un souvenir ému de la dernière production du chef d’œuvre du maître de Busseto in loco en 2002: petite merveille d’intelligence et de beauté visuelle signée par le génial homme de théâtre italien Giuseppe Frigeni. Prévenons d’emblée le lecteur, notre pressentiment s’est bien vite transformé en agacement.


Comme point de départ, J.-L. Martinoty et son décorateur (attitré) Bernard Arnould ont semblé s’inspirer d’une des dernières répliques de Macbeth : «La vie est une histoire racontée par un idiot et qui ne signifie rien», telle qu’elle apparaît sur l’une des toiles expressionnistes de Ronan Barrot qui ouvrent chaque acte. Partant de là, Martinoty s’en donne à cœur joie pour proposer aux spectateurs tout un fatras grand-guignolesque, qui est devenu comme sa marque de fabrique. Renouant avec ses «tics», l’ancien directeur de l’Opéra de Paris verse une fois de plus dans la surcharge, la redondance et la laideur, accentuant le côté gore de la pièce en exhibant par exemple (entre autres scènes de type «hémoglobinique») – de manière ostentatoire et avec beaucoup de mauvais goût – les enfants trucidés et sanguinolents de Macduff. De toute façon, la plus grande partie du spectacle étant plongée dans le noir, le spectateur peine à discerner l’amphigouri qu’on lui propose, et on se dit qu’il ne perd pas grand-chose!


Autrement enthousiasmante, la distribution réunie ce soir. Dans une prise de rôle que l’on qualifiera de magistrale, le baryton grec Tassis Christoyannis s’impose d’emblée comme un interprète idéal du (anti)héros shakespearien, de loin le plus extraordinaire Macbeth que nous ayons vu et entendu sur une scène lyrique. Au-delà d’une qualité de legato exemplaire et d’un incomparable sens des nuances, c’est sa saisissante incarnation de ce roi faible, renfermé sur lui-même, rongé par le doute en ses capacités de chef et victime de la soif de pouvoir d’une épouse sans scrupule, qui fascine. Dès son premier duo avec sa Lady, on le voit jeter l’éponge et s’abandonner, avec une résignation presque excessive, à l’autocontemplation morbide de ses tourments et de son inexorable chute. Mais on rend aussi les armes devant la beauté du chant capable, après les plus farouches éclats, de moduler admirablement la scène des apparitions et de terminer son parcours vocal par un «Pietà, rispetto, amore» bouleversant et même, osons l’adjectif, anthologique.


En Lady Macbeth, Lisa Karen Houben poursuit – sans qu’on sache vraiment ce qui est de l’ordre du «recherché» ou du «subi» – l’idéal rêvé par Verdi. Pour commencer, on ne peut pas dire que son timbre soit séduisant. Ensuite, la soprano américano-néerlandaise frise souvent l’inexactitude vocale, savonne à qui mieux mieux ses vocalises, émet des notes stridentes ou poitrinées, ce qui n’est pas du meilleur effet. Cela dit, ses aigus dominateurs ont l’éclat de la foudre et, si le médium semble parfois moins sûr, elle n’hésite pas à prendre des risques fous pour rendre compte des excès du personnage. Très habitée, elle fait de son air du somnambulisme («Una macchia è qui tuttora») couronné par un contre- bémol impeccable, un des sommets de la représentation. Et puis son beau port de scène, sa silhouette affinée et sa morgue hautaine sont bien ceux de la reine d’Ecosse.


Du côté des comprimari, la basse anglaise Brindley Sherratt s’est montré d’une grande noblesse dans le rôle de Banco, malgré une tierce aiguë qui ne trouve pas toujours sa juste assise. Le ténor roumain Calin Bratescu chante, quant à lui, un Macduff tout d’une pièce : le timbre est vaillant, l’aigu facile, mais son approche manque encore de variété et il délivre un «Ah, la paterna mano» plus valeureux que lumineux. Une Dame (Aurélie Ligerot) et un Malcom (Xin Wang) corrects complètent de façon heureuse cette solide distribution.


Quant au Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, il parvient une fois de plus à démontrer qu’il est parfaitement à l’aise dans tous les répertoires, lorsqu’il est tenu d’une main ferme par le chef. Ce qui est le cas ce soir (superbe «Patria oppressa»!), avec Kwamé Ryan, directeur musical de la phalange maison. Sous sa direction nerveuse, l’opéra de Verdi retrouve l’incandescence typique de ses ouvrages de jeunesse, sans rien perdre cependant du raffinement que le maestro canadien a su réintroduire dans l’instrumentation de la version parisienne de 1865 (débarrassée de son ballet), mouture retenue à Bordeaux (plutôt que la version florentine de 1847).


En dépit de la mise en scène, beau succès d’ensemble au rideau final, et un triomphe aussi retentissant que mérité pour Tassis Christoyannis.



Emmanuel Andrieu

 

 

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