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L’épure et la Volga

Strasbourg
Opéra
01/20/2012 -  et 23, 29, 31 janvier, 2 (Strasbourg), 10, 12 (Mulhouse) février 2012
Leos Janácek : Kát’a Kabanová
Oleg Bryjak (Dikoï), Miroslav Dvorsky (Boris), Julia Juon (Kabanikha), Guy de Mey (Tikhon), Andrea Dankovaì (Kát’a), Enrico Casari (Koudriach), Anna Radziejewska (Varvara), Peter Longauer (Kouliguine), Nadia Bieber (Glacha), Yasmina Favre (Fiekloucha), Violeta Poleksic (Une Femme)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Michel Capperon (direction des chœurs), Orchestre symphonique de Mulhouse, Friedemann Layer (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène et lumières), Maria Lamont (reprise de la mise en scène), Patrick Kinmonth (décors et costumes), Peter van Praet (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)


(© Alain Kaiser)


L’Opéra du Rhin continue cette année de revisiter la carrière de Robert Carsen, en important les productions les plus marquantes que le Canadien a réalisées au sein des cycles Puccini (voir ici) et Janácek (voir ici et ici) à l’Opéra de Flandre. La présente reprise de sa Kát’a Kabanová offre une fois de plus un exemple de l’abstraction expressive qui caractérise ses grandes réussites.


Ici, elle se résume à un plateau nu baigné d’eau, qui se reflète jusque dans la salle, et de lumière bleutée, presque nocturne – image de l’omniprésence de la Volga, large fleuve aussi inquiétant qu’oppressant, à l’instar des carcans moraux qui jugulent les appétits d’amour et de liberté de l’héroïne – sur lequel des planches de bois, configurées par vingt-quatre figurantes tout de blanc et de fougue chorégraphique revêtues, dessinent l’espace où évoluent les personnages – tréteaux sinueux tels des passerelles pour acqua alta, carré domestique entre quatre chaises où Kabanikha humilie son fils et sa bru. La semi-pénombre où se tient une bonne partie de la soirée parvient au prodige de ne jamais lasser le regard, le fascinant plutôt de concert avec la musique. Cette esthétisation léchée, si elle trahit peut-être la poïétique janacékienne, plus expression de l’immédiateté de la vie qu’architectonique de l’existence, a le mérite de camper avec une efficacité émouvante les grands moments de l’œuvre. La direction d’acteurs, essentielle, manque cependant parfois de recherche pour bouleverser réellement. Kát’a reste trop prostrée dans son refus face aux tentations que lui présente Varvara, sans esquisser suffisamment les fissures, douloureuses, que ces dernières occasionnent dans un système de défense qu’elle a hérité de son environnement au voyeurisme presque concentrationnaire. Le travail de révélation des sinuosités de la psychologie des personnages sur l’espace théâtral, contenu dans des figures un peu archétypales, limite son impact sur le spectateur dans les limites de la bienséance, à l’inverse de la vision crue et dérangeante de Christoph Marthaler, à Salzbourg et Garnier – littéralement anthologique. La présente production, à l’intemporalité nullement altérée par les années, n’en demeure pas moins d’une cohérence saisissante, assurée par les éléments incontournables du vocabulaire carsénien.


Ces qualités de cohésion se retrouvent dans la performance musicale, et en premier lieu sur le plateau de l’Opéra du Rhin. Nonobstant les réserves précédemment formulées, Andrea Danková, dans le rôle-titre, fait converger l’attention vers elle, dans une composition vocale et théâtrale admirable, véritable victime expiatoire du drame. Le Tikhon de Guy de Mey incarne avec sensibilité l’impuissant attachement qui le lie malgré tout à son épouse, dominé qu’il est par sa mère, Kabanikha efficace de Julia Juon, à la couleur idiomatique de despote qui règne sur son univers, avatar exemplaire des purs gardiens de l’hypocrisie des conventions morales. La visibilité de son influence se montre cependant moins envahissante que dans d’autres conceptions, à l’instar de celle de Marthaler. Le personnage de Dikoï, Oleg Bryjak à l’émission suffisamment riche et bourrue, en subit les conséquences, relégué dans une relative secondarité. Miroslav Dvorsky et Enrico Casari délivrent une lumineuse confrontation de ténors, l’un Boris insouciant, l’autre, Koudriach sur lequel se reflètent les tourments de Kát’a. Anna Radziejewska colore de manière reconnaissable sa Varvara affranchie, complétant ainsi cette mise en opposition des deux couples lors de l’escapade nocturne dans le deuxième acte.


Si les chœurs de la maison insufflent une vigueur perceptible dans leurs interventions, la direction attentive de Friedemann Layer exhibe une certaine franchise d’intonation, en phase avec l’esthétique du compositeur, au prix d’une incisivité plus discrète. La progression dramatique, artifice que Janácek bouscule tout au long de son écriture, en perd un peu de sa lisibilité, et l’impact émotionnel de sa violence. C’est en fin de compte une production de répertoire que nous offre la maison alsacienne, et qui mérite de le rester.



Gilles Charlassier

 

 

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