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Leçons de style

Paris
Cité de la musique
01/20/2012 -  
Ludwig van Beethoven : Quatuors n° 8, opus 59 n° 2, et n° 9, opus 59 n° 3
Wolfgang Rihm : Grave

Quatuor Borodine: Ruben Aharonian, Sergey Lomovsky (violon), Igor Naidin (alto), Vladimir Balshin (violoncelle)


Le Quatuor Borodine


A l’affiche de la biennale de quatuors à cordes de la Cité de la musique, le Quatuor Borodine, constitué en 1945 en tant que «Quatuor philharmonique de Moscou», a adopté ce nom depuis 1955, mais sa composition a entièrement été renouvelée au fil des années: le dernier des fondateurs, le violoncelliste Valentin Berlinsky (1925-2008), a été remplacé en 2007 par Vladimir Balshin et, depuis leur précédente venue porte de Pantin, en janvier dernier en marge de l’exposition «Lénine, Staline et la musique», les Russes ont encore rajeuni, puisque l’aîné du groupe, le second violon Andrei Abramenkov, qui en faisait partie depuis 1975, a laissé sa place à Sergey Lomovsky, issu des Solistes de Moscou de Youri Bashmet. Les deux plus anciens sont donc désormais le premier violon Ruben Aharonian (né en 1947) et l’altiste Igor Naidin (né en 1969), qui n’ont rejoint la formation qu’en 1996.


Le programme de la cinquième édition de cette biennale s’organise autour d’un hommage à Wolfgang Rihm pour ses soixante ans: en sa présence, le Quatuor Borodine donne une pièce d’un seul tenant et d’une durée de 16 minutes, Grave (2005). Sous-titrée «In memoriam Thomas Kakuska», elle tient lieu de «sorte de requiem» pour l’altiste du Quatuor Alban Berg, créateur dès 1983 du Quatrième Quatuor du compositeur allemand. La dramaturgie de la partition se construit fort logiquement autour de l’alto, dans ses interventions à découvert comme dans son long silence initial: de facture assez traditionnelle, flirtant avec les réminiscences tonales, elle alterne rage et tendresse, douleur et déploration.


Placée en début de seconde partie, cette page était entourée des deux derniers des trois quatuors de l’Opus 59 «Razumowsky». Les Borodine trouveront sans doute plus forts qu’eux sur le terrain de l’équilibre entre les voix, de la sonorité ou de la technique, particulièrement dans le Neuvième Quatuor (1807), mais sur celui de l’interprétation proprement dite, ils n’ont que peu de rivaux, délivrant une parfaite leçon de style. Ils font ainsi très vite oublier que la grande salle de la Cité, n’est décidément pas la plus appropriée à Paris pour la musique de chambre, même dans sa configuration modifiée pour l’occasion: conduits par un primarius de haute volée, ils suscitent l’adhésion par une maîtrise souveraine en même temps que par un naturel confondant. Si tenu soit-il, ce Beethoven n’est nullement académique, comme le montre notamment le soin apporté aux nuances – quelle variété de couleurs, par exemple, dans les pizzicati du violoncelle! Ferme et tranchant, le jeu n’est jamais à l’emporte-pièce: portant le Molto adagio du Huitième (1806) au niveau d’élévation spirituelle des ultimes quatuors, les musiciens retiennent même un peu trop le tempo dans l’Allegretto qui suit, dont les sections intermédiaires (en mode majeur) manquent d’énergie.


En bis, c’est l’Andante cantabile du Premier Quatuor (1871) de Tchaïkovski: autre style, autre leçon magistrale, conservant le minimum de naïveté qui sied à ce mouvement, sans mièvrerie ni sentimentalisme.



Simon Corley

 

 

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