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«Animato» et ses jeunes pianistes Paris Salle Cortot 01/17/2012 - Frédéric Chopin : Scherzos n° 1, opus 20, n° 3, opus 39, et n° 4, opus 54 (*)
Joseph Haydn : Sonate n° 62, Hob.XVI.52
Maurice Ravel : Miroirs: «Oiseaux tristes», «Une barque sur l’océan» et «Alborada del gracioso»
Franz Liszt : Totentanz
Daria Kameneva (*), Antonii Baryshevskyi (piano)
Il y a deux sortes de bavards: ceux dont on préférerait qu’ils s’arrêtent avant même qu’ils n’aient commencé et ceux, quand ils ont cessé de parler, dont on regrette qu’ils n’aient pas continué. Marian Rybicki, directeur artistique de l’association «Animato», appartient assurément à la seconde catégorie: ses interventions contribuent à détendre l’atmosphère des soirées salle Cortot et il se plaît toujours à surprendre les spectateurs, auxquels il offre cette fois-ci, en guise d’intermède, une étonnante prestation de Guo Gan, joueur d’erhu (violon chinois à deux cordes), qui donne deux brèves pièces en solo, La Course de chevaux de Huang Haihuai et une Danse du Xinjiang.
Mais «Animato» ne perd évidemment pas de vue sa mission principale: aider les jeunes musiciens à l’orée de leur carrière, notamment en les faisant connaître par ses «Mardis révélation». Chacun y trouve son compte: les interprètes saisissent cette occasion de se produire dans les conditions d’un récital et le public bénéficie de prestations d’une grande qualité, libre à lui, à l’issue du concert, de verser la participation de son choix dans les corbeilles prévues à cet effet. S’ils ne sont généralement pas encore connus, les pianistes programmés dans le cadre de cette série n’en possèdent pas moins un solide bagage et se sont illustrés dans plusieurs des plus fameux concours internationaux, aussi contestés qu’incontournables.
La Russe Daria Kameneva (né en 1987) a ainsi remporté le sixième prix au concours Maria Canals de Barcelone (2011) et a choisi de se présenter avec trois des quatre Scherzi de Chopin. Est-ce la fébrilité? Elle a tendance à survoler certains traits dans le Premier (1831), mais son interprétation est par ailleurs ferme et maîtrisée, laissant s’exprimer un delirium déjà presque schumannien sur le Yamaha qui sonne avec profondeur. Dans le Troisième (1839), elle fait apparaître des couleurs plus brahmsiennes et confère au Quatrième (1842) le caractère d’une ballade. Dans le bis, l’arrangement par Liszt (1848) de «Dédicace», la première des vingt-six pièces du cycle de lieder Myrtes (1840) de Schumann, la mélodie originale est parfois difficilement audible sous les arpèges et accords lisztiens.
Après l’intermède chinois, Antonii Baryshevskyi (né en 1988), premier prix au concours de Jaén (2009) et deuxième prix ex-æquo (premier prix non attribué) au concours Ferruccio Busoni de Bolzano (2011), débute par une Soixante-deuxième Sonate(1794) de Haydn (sans ses reprises dans les mouvements impairs) traduisant un véritable plaisir digital, cependant non exempt de raideur ou de sécheresse, voire de froideur, un peu à la manière d’un Evgueni Koroliov. Dans trois des cinq pièces de Miroirs (1905) qu’il enchaîne presque sans interruption, il frappe par une impressionnante qualité de réalisation («Oiseaux tristes»), une sonorité somptueuse («Une barque sur l’océan»), une frappe claire, précise, tranchante («Alborada del gracioso»), mais ce Ravel extrêmement lisible, placé sous une lumière crue, manque de rondeur, de demi-teintes et de respiration, notamment dans la partie centrale. Dans la version pour piano seul de la Danse macabre (1859/1865) de Liszt, le déploiement de moyens techniques phénoménaux ne peut que susciter encore l’admiration: s’efforçant de bien faire ressortir le «Dies iræ» même lorsqu’il n’est plus au premier plan, le pianiste ukrainien ne triche pas durant ce quart d’heure d’une épouvantable difficulté, tout en se laissant sans doute un peu griser par son propre talent et en passant à côté des pages poétiques. Il prend congé sur un aphoristique «Feuillet d’album» de Scriabine, première des Trois Pièces de l’Opus 45 (1905).
Le site d’Animato
Simon Corley
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