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Miroir cache-krach Nancy Opéra national de Lorraine 12/18/2011 - et 20, 23, 27*, 29, 31 décembre 2011 Johann Strauss : Die Fledermaus
Klaus Kuttler (Gabriel von Eisenstein), Cigdem Soyarslan (Rosalinde), Netta Or (Adele), Martijn Cornet (Dr Falke, Frosch), Max Emanuel Cencic (Prince Orlofsky), Eric Huchet (Alfred), René Schirrer (Franck), Sören Richter (Dr Blind), Swintha Gersthofer (Ida), Jérémie Duval (Balle d’Or), Julien Ficely (Grenouille), Peter Agardi (Prince), Vanessa Perrier (Princesse)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Patrick Davin (direction musicale)
Philipp Himmelmann (mise en scène), Johannes Leiacker (décors), Gesine Völlm (costumes), Thom Stuart (chorégraphie), Davy Cunningham (lumières)
(© Opéra national de Lorraine)
Les maisons de l’Est semblent s’être passé le mot. Alors que l’Opéra de Rhin programme une Chauve-Souris coproduite avec le Staatstheater de Nuremberg (voir ici), l’Opéra de Lorraine l’importe du Theater an der Wien, où elle a été représentée en août 2010, dans les murs baptismaux de l’ouvrage – il y fut étrenné le 5 avril 1874, avant de gagner les galons d’une gloire légitime.
Dans sa note introductive, le régisseur expose son intention de rendre compte des convergences entre l’époque de la création, celle d’un krach boursier, et la nôtre. L’ouvrage de Strauss met en scène des personnages qui valsent pour oublier la réalité, de la même manière que notre société du divertissement tournoie sur elle-même jusqu’à l’étourdissement et l’oubli des menaces du réel. La lecture du metteur en scène allemand s’emploie ainsi à souligner la dimension politique d’une partition qui n’a de léger que le genre. Un tel point de vue enrichit considérablement la compréhension de l’œuvre, à ceci près que la réalisation semble parfois demeurer dans la gangue du concept.
La scénographie de Johannes Leiacker reproduit une salle de théâtre, miroir prévisible de l’auditoire. Légèrement relevé, le rideau ne touche pas le sol et laisse apparaître un rai de lumière, tandis que des rumeurs musicales se laissent deviner et que la salle demeure éclairée. Cette dernière le restera d’ailleurs durant la totalité de la représentation, avec seulement des modulations d’intensité, intégrant le public à l’intrigue qui se joue sur scène d’une manière qui se veut inédite. Le tournoiement de la boule à facettes qui irise les colonnades réfléchit sur les spectateurs les illusions des personnages, ivres de la facticité de leurs déguisements – les porte-jarretelles rouge du bouc émissaire à l’ouverture ne sont pas du meilleur goût. Le matériel décrit porte la promesse d’un propos dramaturgique acéré, qu’une direction d’acteurs diserte en stéréotypes et un emploi insuffisamment discriminant de la réflexivité réciproque entre la scène et la salle, tend à énerver.
L’idée de brouiller les limites entre la représentation scénique et l’événement social ne manque pas de séduire, mais serait plus porteuse si elle prenait appui sur la fluidité de la musique. Car c’est là que les lacunes du travail scénique se révèlent. A trop vouloir mettre en avant les pilotis socio-politiques du contexte de la création, il en oublie la subtilité de l’écriture de Strauss, où l’ivresse de la valse laisse entrevoir au détour d’un rallentando un voile de mélancolie, d’autant plus émouvante que les touches en restent discrètes. Patrick Davin n’en délivre pas moins une lecture précise de la partition, calibrant avec efficacité la succession d’accents légers et de passages plus moelleux – les violoncelles dans le troisième acte. Pour autant, l’acoustique un rien sèche ne permet pas d’éviter quelques à-coups, sans cependant obérer la qualité de la performance de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy.
Reprenant l’initiative de la production consistant à confier le rôle d’Orlofsky à un contre-ténor – interprété lors des représentations viennoises de l’été 2010 par le Polonais Jacek Laszczkowski – on a fait appel pour le cycle nancéen à Max Emanuel Cencic. Le dé-travestissement du personnage, commandé par un probable souci de vraisemblance théâtrale, s’incarne dans une sonorité aigrelette. Le chanteur croate ne manque assurément pas de qualités, mais le formatage d’une tessiture à des effectifs orchestraux limités ne lui permet pas de passer la rampe d’une formation plus étoffée. Pour essayer, avec un succès discutable, de rendre plus crédible le coureur de jupons, on l’a soustrait à la présence vocale, négligeant au passage toute la tradition des Chérubins et autres Octavians. Les caractères féminins octroient heureusement de réelles satisfactions. A commencer par la soubrette Adele, à laquelle Netta Or donne toute la sémillante légèreté et la versatilité d’humeur requises. Egalement aérienne, Cigdem Soyarslan distingue Rosalinde d’accents un peu plus charnus. Le «Klänge der Heimat» gagnerait cependant à une caractérisation plus dynamique – mais en cela la mise en scène ne l’aide que modestement. Initialement écrit pour un ténor, désormais généralement chanté par un baryton, le rôle de Gabriel von Eisenstein reçoit avec Klaus Kuttler une présence scénique efficace. Eric Huchet anime Alfred d’une gouaille savoureuse, qui contraste avec la pâleur distinctive de Martijn Cornet en Dr Falke – et Frosch. Egal à sa réputation, René Schirrer délivre un Franck bien en chair. Le Chœur de l’Opéra national de Lorraine s’acquitte de son office avec efficacité, de même que le reste de la distribution.
Il reste de cette soirée le souvenir d’un spectacle qui, malgré les réserves formulées, fonctionne plutôt bien, et témoigne de la valeur de l’opérette de Strauss, que l’on verrait bien supplanter certains Offenbach infligés par la défense du patrimoine en vigueur pendant ces périodes de fêtes – d’autant que le livret de Genée et Haffner est une adaptation du Réveillon de Meilhac et Halévy, les fidèles comparses du grand Jacques...
Gilles Charlassier
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