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Aux frontières de l’enchantement

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
12/16/2011 -  et 18, 20*, 22, 25, 26 décembre 2011
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 620
Topi Lehtipuu (Tamino), Sandrine Piau (Pamina), Markus Werba (Papageno), Emmanuelle de Negri (Papagena), Jeanette Vecchione (La Reine de la nuit), Claire Debono (Première dame), Juliette Mars (Deuxième dame), Elodie Méchain (Troisième dame), Ain Anger (Sarastro), Steven Cole (Monostatos), Renaud Delaigue (Prêtre, Homme d’armes), Alexander Swan (Prêtre, Homme d’armes), Robert Gleadow (L’Orateur), Basile Buffin/Roland de la Fresnaye (Premier génie), Gabriel Colin/Gabriel Lobao (Deuxième génie), Ambroise Divaret/Antoine Erguy (Troisième génie)
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées, Gildas Pungier (direction), Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction)
William Kentridge (mise en scène, scénographie, vidéo), Luc de Wit (metteur en scène associé), Sabine Theunissen (co-scénographe), Greta Goiris (costumes), Jennifer Tipton (lumières), Scott Bolman (recréation des lumières), Catherine Meyburgh (montage vidéo), Kim Gunning (opérateur vidéo)


M. Werba, C. Debono, T. Lehtipuu, E. Méchain, J. Mars
(© Alvaro Yanez)



Que n’a-t-on dit, que n’a-t-on écrit sur La Flûte enchantée? Dernier opéra de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) créé à la fin du mois de septembre 1791, soit deux mois avant sa mort prématurée, exemple typique du Singspiel (forme musicale qui se caractérise surtout par... son absence de forme, la diversité des styles et des inspirations y étant constante), opéra de divertissement ou empli de messages notamment à caractère maçonnique (comme l’ont notamment souligné Carl Ludwig Giesecke au début du XIXe siècle ou, plus récemment, Jacques Chailley), ouvrage auquel collabore le fameux Emanuel Schikaneder (personnage appartenant à la légende mozartienne au même titre que Franz Xaver Süssmayer ou Anton Stadler). Bref, depuis plus de deux siècles, La Flûte enchantée occupe une place à part dans le monde lyrique et, fort de son statut de monument musical, ne cesse de fasciner petits et grands. Il était donc normal de le représenter à l’approche et même au cœur des fêtes de fin d’année tant le divertissement en est une des épines dorsales.


Les tribulations du jeune prince Tamino qui, après bien des épreuves surmontées à l’aide de l’oiseleur Papageno, va filer le parfait amour avec Pamina, fille de la cruelle Reine de la nuit, sont connues de tous. Restait à savoir ce que les artistes de la soirée allaient en faire. Sur le strict plan musical, l’interprétation de ce soir fut mitigée. L’Ensemble Matheus sonne agréablement (on a notamment pu remarquer de très beaux bois, à commencer par les bassons et les clarinettes) mais la direction de Jean-Christophe Spinosi manque étonnamment de verve (quel sérieux dans l’Ouverture!), notamment dans un premier acte bien décevant. Les décalages entre orchestre et voix sont trop nombreux, les cordes ne possèdent guère d’ampleur et le climat général s’avère beaucoup trop sec, refusant de manière ostensible toute séduction à l’oreille. L’interprétation du second acte sera, en revanche, beaucoup plus réussie, notamment dans les airs emprunts de lyrisme (que ce soit le fameux air de Pamina «Ach, ich fühl’s» ou le chœur conclusif) ou illustrant la comédie souhaitée par le librettiste: Jean-Christophe Spinosi prend enfin son temps pour accompagner les voix, les nimbant d’une musique dont la délicatesse et la musique transparaissent enfin. Pour autant, où est ce dynamisme que Spinosi a si bien su instiller, pas exemple, dans l’œuvre de Vivaldi?


Les chanteurs offrent également un paysage contrasté que ce soit dans les airs chantés ou dans les passages parlés (selon la mode en vigueur à l’époque dans l’opéra français, par opposition à l’opéra italien qui pratiquait plus volontiers les récitatifs chantés, recitativo secco) et destinés à présenter l’action à l’auditeur. Honneur aux dames: Sandrine Piau fut une Pamina de tout premier ordre. Ayant déjà chanté le rôle aussi bien à Bruxelles que, plus récemment, sur la scène du Théâtre du Châtelet, elle impressionne par la facilité de son émission et par la maîtrise de son rôle qui lui permettent de déployer des talents de comédienne que l’on connaît depuis longtemps déjà. Son grand air «Ach, ich fühl’s» (acte II) mais également son dialogue avec les trois enfants dans l’air «Bald prangt, den Morgen zu verkünden» furent indéniablement de très grands moments. Bien que dotée d’un rôle bref, celui de Papagena, Emmanuelle de Negri retient également l’attention: il faut dire que, accompagnée avec beaucoup de réussite par Spinosi, elle chante magnifiquement le duo «Pa-pa-gena! Pa-pa-geno!» avec, on y reviendra, un excellent partenaire en la personne de Markus Werba.


Les trois Dames, dont Jean-Christophe Spinosi explique avec beaucoup de conviction dans le programme de salle qu’elles forment plus un seul être à trois têtes que trois personnages agissant de concert, sont excellentes, incarnant avec beaucoup de justesse les conséquences auxquelles peut conduire une jalousie idiote. Mais, le tableau ne serait pas complet si l’on ne disait un mot de la grande déception féminine de cette équipe, en l’occurrence Jeanette Vecchione qui tenait le rôle si emblématique de la Reine de la nuit. Si elle parvient sans trop de difficulté à vaincre les difficultés techniques de ses airs (notamment le célébrissime «Der Hölle Rache» à l’acte II), se permettant même de faire quelques vocalises supplémentaires alors que la partition sauf erreur ne le requiert absolument pas, son ton acide et sa faible puissance vocale font de sa prestation une très grande déception. Elle ne convainc à aucun moment et fait de son personnage une femme étriquée, sans relief, qu’on oubliera aussi vite qu’on l’a vue apparaître sur scène.


Chez les hommes, Topi Lehtipuu incarne un honnête Tamino, bénéficiant certes d’une belle voix mais doté de piètres talents de comédien; sa première intervention «Zu Hilfe! Zu Hilfe!» en devient même assez ridicule puisqu’il semble davantage se promener que fuir, effrayé, un immense serpent censé vouloir attenter à sa vie. Avouons tout de même que sa prestation est de bon niveau, culminant dans le célèbre duo avec Pamina «Herr! Ich bin zwar Verbrecherin» dans le finale du premier acte: sans être sensationnel, avouons tout de même qu’on en espérait davantage. Dans le rôle de Papageno, Markus Werba est pour sa part excellent car non seulement il bénéficie d’une voix bien posée, juste dès la première attaque mais, en outre, il est un comédien hors de pair, véritable caution humoristique de l’opéra. Capable de l’humour le plus vif comme de la poésie la plus totale (le fameux air «Ein Mädchen oder Weibchen» accompagné par le glockenspiel), il a véritable présence sur scène, contribuant même à renforcer la figure de Tamino et des autres protagonistes qu’il est amené à côtoyer. Egalement de premier ordre, la prestation de Ain Anger dans le rôle de Sarastro, rôle qu’il avait déjà tenu sur la scène de l’Opéra Bastille, en 2005, sous la baguette de Marc Minkowski. Sa voix chaude et puissante, dotée de magnifiques couleurs (l’air «O Isis und Osiris» au début du second acte), contribue à faire de chacune de ses interventions un moment de pure musique: chapeau bas! Dans le rôle du méchant Monostatos, Steven Cole est plutôt convaincant même s’il pâtit d’un manque d’élan et de truculence. Le reste de l’équipe est également à sa place, mention spéciale aux deux prêtres incarnés respectivement par Renaud Delaigue et Alexander Swan.


Datant de 2005 (époque où il avait scénographié La Flûte enchantée au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles), la mise en scène de William Kentridge est complexe, alliant vidéo, mise en scène classique, graphismes divers... Comme il l’indique lui-même dans le programme, cette mise en scène trouve son maillon central dans un appareil photographique, l’univers de la photographie étant également symbolisé par la chambre noire qui sépare le monde de la connaissance de celui de l’ignorance, le monde de la bonté de celui de la méchanceté. Autant dire que ces diverses idées ne manquent pas d’imagination ni de réussite. Celle, par exemple, d’utiliser des gravures visiblement issues de L’Encyclopédie ou, pour ne prendre que l’image du rhinocéros, de certains dessins de Dürer, est excellente; elle permet ainsi à la scène de bénéficier d’une profondeur de champ très appréciable, les personnages pouvant évoluer avec davantage d’aisance quand bien même les murs du théâtre ne pourraient être repoussés. On comprendra plus difficilement en revanche l’usage de certaines images filmées, notamment cette mise à mort d’un rhinocéros par des chasseurs coloniaux comme on a pu le voir dans les films tournés par Martin et Osa Johnson au début du XXe. Le fait de dessiner en direct sur le mur de scène (la corde du pendu ou la guillotine lors de certains airs de Papageno au second acte) est également un excellent ressort comique: mais c’est justement là que le bât blesse ou, du moins, que l’on s’interroge. Le comique, le burlesque ont-ils véritablement leur place dans La Flûte enchantée? Car, si comique il y a (et le public rit de bon cœur à certains gags ou mimiques), point de merveilleux en revanche. Certains tableaux sont visuellement très bien faits (le paysage dans lequel apparaît la Reine de la nuit ou le décor de temple égyptien au premier acte), alliant un subtil camaïeu de noirs, gris et blancs, mais la magie que l’on était en droit d’attendre ne sera jamais vraiment au rendez-vous en dépit, encore une fois, de la recherche tant sur les lumières que sur l’usage de la vidéo.


La magie n’opère donc qu’à moitié ce qui, ajoutée à une équipe de chanteurs en demi-teinte, justifie cette impression d’inachevé qui s’estompera peut-être au fil des représentations à venir.


Le site de Topi Lehtipuu
Le site de Jeanette Vecchione
Le site de l’Ensemble Matheus



Sébastien Gauthier

 

 

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