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Fledermaus ou Chauve-Souris ?

Strasbourg
Opéra National du Rhin
12/10/2011 -  et 12, 17, 19, 26, 27 décembre 2011 (Strasbourg), 4, 6, 8 (Mulhouse), 20 (Colmar) janvier 2012
Johann Strauss : Die Fledermaus
Thomas Oliemans (Gabriel von Eisenstein), Jacquelyn Wagner (Rosalinde), Hendrickje Van Kerckhove (Adele), Wiard Witholt (Dr Falke), Christian Baumgärtel (Alfred), Rainer Zaun (Frank), Isabelle Druet (Prince Orlofsky), Jean-Pierre Schlagg (Frosch)
Chœurs de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Roland Boër (direction musicale)
Waut Koeken (mise en scène), Yannik Larivée (décors), Susanne Hubrich (costumes), Joshua Monten (mouvements)


(© Alain Kaiser)


L’affiche de la création de Die Fledermaus au Theater an der Wien le 5 avril 1874 annonçait : eine komische Operette, appellation délibérément anodine où le terme même d’opérette semblait se recommander de la frivolité d’une culture étrangère... Effectivement, ce sont bien deux univers qui se croisent dans cet ouvrage assurément viennois d’atmosphère mais issu d’une pièce de rédaction française (Le Réveillon, des inséparables Meilhac et Halévy) chacune de ces deux cultures pouvant tenter a posteriori de se l’approprier. Sous son titre français, La Chauve-Souris passe pour un joyau de l’opérette parmi d’autres, qui ressemble encore davantage à une sorte de succédané de La Vie parisienne quand il est traduit dans notre langue (dans un registre moins caustique et aussi un rien plus lourd que l’œuvre d’Offenbach). Sous son titre allemand, il s’agit bien davantage d’un chef-d’œuvre à part entière, tardive et respectable résurgence du Singspiel, monument du patrimoine que l’on investit avec les mêmes égards qu’une Flûte enchantée ou un Freischütz. A Vienne, Clemens Krauss, Karl Böhm ou Herbert von Karajan ont dirigé cette Fledermaus sans paraître descendre de leur piédestal. En France, ce sont plutôt Adolphe Siebert ou Marcel Cariven qui s’en chargeaient. Deux mondes bien différents !


Pour cette nouvelle production, l’Opéra du Rhin a choisi son camp : cette Fledermaus a clairement les ambitions d’une grande production viennoise. Rien n’y a été laissé au hasard de l'esprit d’improvisation bon enfant qui prévaut volontiers dans les spectacles de fin d’année. Et même musicalement les petits plats ont été mis dans les grands. En fosse, où on aurait plutôt attendu l’Orchestre de Mulhouse, c’est le Philharmonique de Strasbourg qui s’installe, sous la direction experte de Roland Boër. Après une ouverture un peu raide, les musiciens s’échauffent et les premiers pupitres brillent (clarinette, hautbois, basson...). Les entendre détailler cette musique avec un raffinement certain n’est pas le moindre des plaisirs de ce spectacle qui en procurera beaucoup. L’affiche vocale n’est pas en reste, composée de vrais chanteurs d’opéra dotés d’un solide bagage. On retrouve là l’excellent Thomas Oliemans, déjà récemment remarqué dans La bohème, qui illumine de sa voix agréable de baryton à l’aigu facile le rôle d’Eisenstein, trop souvent massacré par des aboyeurs. Jacquelyn Wagner est une Rosalinde d’une aisance toute mozartienne, avec peut-être un rien de timidité qu’il lui reste à dépasser dans sa célèbre czardas de l’acte II. Une réserve qui n’est certainement pas le fait de l’explosive Hendrickje Van Kerckhove, Adèle aussi délurée visuellement qu’irréprochable dans ses vocalises alignées au cordeau. Isabelle Druet s’ennuie à ravir dans le Prince Orlofsky, dont elle caricature la nonchalance existentielle avec autant d’humour que de vraie classe, avec un très beau timbre de mezzo qui acquiert de plus en plus d’ampleur au fil de la soirée. Christian Baumgärtel caricature son personnage de ténor d’opéra avantageux avec une voix qui n’a certes pas l’ampleur des personnages auxquels il emprunte ses nombreuses citations comiques (Florestan, Werther...) mais qui conserve toujours une discipline rigoureuse dans les ensembles. Excellent Falke dégingandé du jeune Wiard Witholt, Dr Blind bègue à souhait de Lars Piselé, impayable Frank de Rainer Zaun : le sans-faute est patent, coordonné par une chef d’une parfaite efficacité, y compris lorsqu’il s’agit de rattraper en un clin d’œil les petits décalages et faux départs inévitables auxquels expose une scénographie particulièrement remuante.


Car ici on bouge beaucoup, mais sans jamais donner l’impression de trop en faire. Un équilibre difficile à garder et dont le metteur en scène belge Waut Koeken semble avoir saisi tous les secrets. D’abord, en étroite collaboration avec le décorateur Yannick Larivée, en imaginant des espaces largement dégagés où le mobilier, pourtant abondant, ne gêne pas l’évolution des acteurs. Beaucoup d’éléments restent suspendus en l’air : miroirs, lustres, velours, bouteilles de champagne multiples et leurs verres satellites... Murs et vrais meubles sont peux nombreux et même les plus solides canapés peuvent se retrouver dotés de mobilités inattendues. Ensuite en laissant aux dialogues parlés exactement la durée nécessaire : ni trop verbeux ni lourds, loufoques juste un peu, impeccablement réécrits. Enfin en laissant véritables danseurs et choristes se mélanger, chacun des deux groupes assurant sa part de mobilité au degré exact d’aisance où il peut le mieux l’assumer. Le résultat : un rythme trépidant, débordant de vie et d’idées, qui culmine dans un acte II d’anthologie. Mieux que de l’opérette ou même, souvent, que de l’opéra : un spectacle total qui fait la part belle à tous les styles, comique franc, arrières-pensées plus grinçantes, mélancolie fugitive, coquineries ambiguës... Le tout passe sans jamais peser, et respecte de surcroît irréprochablement la lettre du livret.


Reste le problème du début de l’acte III, longue scène de farce parlée, lieu de toutes les dérives troupières où même le Frosch d’Otto Schenk, qui fit longtemps les délices des opéras de Vienne ou Munich, ne brillait pas par un raffinement excessif. Ici, avec la faconde impayable de Jean-Pierre Schlagg, l’humour n’est ni viennois ni bavarois mais tout simplement... alsacien, et fait assez souvent mouche. Entre deux cultures, cette Fledermaus, vous disait-on !


Coproduction avec le Staatstheater de Nürnberg, ce spectacle est malheureusement appelé à disparaître de l’affiche de l’Opéra du Rhin d’ici quelques semaines. Comme ses homologues de Munich ou Vienne il paraît pourtant taillé pour durer, devenir la soirée de Saint-Sylvestre incontournable d’une maison de répertoire qui y offre chaque fin d’année le meilleur d’elle-même en toute décontraction, sous la baguette d’un chef prestigieux de passage. Pourquoi pas ? On peut toujours rêver...


En attendant, champagne et chapeau bas !



Laurent Barthel

 

 

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