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Etat de grâce Paris Salle Pleyel 12/09/2011 - Franz Liszt : Tasso, lamento et trionfo – Totentanz
Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen (Suite symphonique)
Barry Douglas (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Alan Gilbert (direction)
A. Gilbert (© Chris Lee)
Francophone et francophile – sa sœur Jennifer est d’ailleurs premier violon solo de l’Orchestre national de Lyon – Alan Gilbert, depuis plus de dix ans, se produit régulièrement avec le Philharmonique de Radio France. Quand bien même il a entre-temps été nommé à la tête du Philharmonique de New York, avec lequel il viendra à Pleyel les 6 et 7 février prochain, il est resté fidèle à l’orchestre de Radio France, avec lequel on le retrouve donc de nouveau cette saison pour un programme en famille: non seulement une partie en sera reprise dès le lendemain matin à destination du jeune public, mais il associe le beau-père, Liszt, et son gendre, Wagner.
Durant cette «année Liszt» qui s’achève, sa musique orchestrale n’aura guère été honorée, notamment ses treize poèmes symphoniques: pourtant, au-delà même de leur rôle fondateur dans l’histoire du genre, ils recèlent pour la plupart de véritables splendeurs. Dans le deuxième, Tasso, lamento e trionfo (1849/1854), derrière l’hommage à l’auteur de La Jérusalem libérée célébré par Goethe et Byron, il y a ainsi un magnifique travail d’éclairage d’un même motif sous un jour différent. D’emblée, à la tête d’un effectif imposant (soixante-sept cordes), le chef américain appose sa marque: tension et raffinement, avec son habituelle tendance à brider quelque peu l’élan, qui a toutefois le grand mérite d’éviter les débordements pompeux auxquels cette musique pourrait parfois se laisser tenter.
Dans la Danse macabre (1849/1859), autre œuvre bâtie sur un motif unique (le Dies iræ), Barry Douglas reste très en deçà de ses précédentes prestations parisiennes, de longue date, lui aussi, avec le Philhar’, puisqu’il était déjà invité du temps de Marek Janowski. Est-ce pour prouver que ses moyens techniques sont intacts qu’il précipite le tempo dès les premières mesures, pourtant marquées Andante (92 à la noire) mais jouées Allegro (à environ 138)? Toute la suite sera à l’avenant, précipitée et manquant de respiration: se décalant brièvement avec l’orchestre (après avoir avalé un trait juste avant le chiffre 27), le soliste évoque parfois un Fazil Say des mauvais jours, en rajoutant sans cesse dans une partition qui n’en a pas vraiment besoin. L’affaire est expédiée en moins d’un quart d’heure, avec un orchestre à peine allégé d’un pupitre de cordes par partie mais formidablement réactif et mettant en valeur le caractère fantastique de l’écriture. Ce n’est qu’en bis que le pianiste irlandais se montre à la hauteur de sa réputation, dans un Intermezzo de Brahms, la quatrième des sept Fantaisies de l’Opus 116 (1892).
Depuis Stokowski et ses «synthèses symphoniques», bon nombre de chefs, ne se contentant pas des traditionnels extraits symphoniques, se sont attachés à présenter des versions purement orchestrales et condensées des opéras de Wagner: avec ses quinze ou seize heures de musique, la Tétralogie, qui vient de faire l’objet d’une réduction – réussie – sous le titre de «Ring Saga», y invite sans doute encore plus que ses autres ouvrages lyriques. Après les soixante-quinze minutes du «Ring sans paroles» dirigé par Lorin Maazel et l’heure confectionnée par le compositeur néerlandais Henk de Vlieger (version enregistrée par Edo de Waart et Neeme Järvi), Alan Gilbert propose, sous le titre de «suite symphonique», sa propre compilation, qui ne fait pas l’impasse sur les pages les plus célèbres et appréciées, mais retient également des passages qui ne sont presque jamais données isolément. Encore plus brève (un peu plus de cinquante minutes), elle omet tout L’Or du Rhin et débute donc dès La Walkyrie, avec, sous un murmure approbateur du public, la «Chevauchée des Walkyries», qui s’enchaîne habilement avec les «Adieux de Wotan», privés de ses flammes finales, car c’est l’embrasement du rocher de Brünnhilde au dernier acte de Siegfried qui a été préféré, suivi de ce moment à la fois unique et périlleux où les (dix-huit) premiers violons jouent à l’unisson. Toujours sans solution de continuité et en respectant l’ordre de l’action, Le Crépuscule des dieux réserve moins de surprises: «Lever du jour et voyage de Siegfried sur le Rhin» (à la fin du Prologue), «Marche funèbre» et scène finale (très condensée), liés par une de ces transitions dont le maître de Bayreuth avait le secret, entre les deux dernières scènes du premier acte.
Les musiciens sont-ils heureux de revenir à ce répertoire pratiqué si souvent avec Janowski – en concert aussi bien que dans la fosse à Orange – mais fort peu depuis l’arrivée de Myung-Whun Chung? Ou bien sont-ils subjugués par un chef auquel ils offrent, au moment des rappels, un accueil quasiment sans précédent, applaudissant et frappant du pied? Toujours est-il que le Philhar’, en forme éblouissante, individuellement comme collectivement, offre de nouveau une somptueuse soirée orchestrale et se surpasse même en netteté, en clarté, en soyeux, sous une baguette moins économe en générosité et en poésie qu’en début de concert. En bref: l’état de grâce.
Le site d’Alan Gilbert
Le site de Barry Douglas
Simon Corley
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