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Le pèlerin Chamayou Bordeaux Grand-Théâtre 11/26/2011 - et 18 septembre (Toulouse), 28 novembre (Paris) 2011 Franz Liszt : Les Années de pèlerinage
Bertrand Chamayou (piano)
B. Chamayou (© Richard Dumas/Naïve)
Le bicentenaire Liszt offre à Bertrand Chamayou un plateau d’argent à sa prédilection pour le compositeur hongrois. Dans la foulée de l’enregistrement de l’intégrale des Années de pèlerinage chez Naïve, le pianiste français promène son cycle jusqu’en Chine, depuis la soirée inaugurale de la trente-deuxième édition du festival Piano aux Jacobins en septembre dernier. Deux jours avant son récital au Théâtre des Champs Elysées, il livre sa vision du cycle lisztien, en deux parties, avec la première année à 16 heures, puis les deux autres à 20 heures.
La composition de la première année, «Suisse», a été entamée au milieu des années 1830, et porte l’empreinte de son époque et d’une juvénilité sensible dans les pièces comme «Orage» ou «Eglogue (Hintergesang)». Des pages se démarquent cependant, telles «Obermann» ou «Les Cloches de Genève». L’une préfigure les vastes méditations de la maturité, avec un sens de la construction original – «Obermann» est un poème symphonique pour piano, forme qui aboutira dans «Après une lecture de Dante». L’autre fait scintiller le clavier dans une sorte de suspension du temps musical.
La réserve relative de cette heure helvétique permet non seulement de garder préserver la dynamique du cycle, dans une esquisse de son architectonique, mais favorise surtout la mise en évidence de l’évolution stylistique de Liszt. C’est ainsi que les années de la maturité laissent s’épanouir la sonorité généreuse du Steinway, véritable compagnon des intentions expressives de l’interprète – que Joaquín Achúcarro avait déjà célébré la veille. La précision vigoureuse du toucher de Bertrand Chamayou n’a d’égale que la profondeur de sa compréhension de la pensée lisztienne, progressant des pièces de caractère du début («Spozalizio», «Il penseroso», «Canzonetta del Salvator Rosa») jusqu’à la fantaisie «Après une lecture de Dante», vaste composition transfigurant un leitmotiv apparenté au «Mazeppa» des Etudes d’exécution transcendante et dont elle exsude les couleurs et les richesses harmoniques avec une inventivité qui renouvelle l’art de la variation de manière très personnelle, que l’on peut mesurer aux grandes créations de Bach et du dernier Beethoven. Le supplément, Venezia e Napoli, ne se limite pas sous les doigts du pianiste français, à de simples couleurs locales, lui assurant un intérêt certain.
Le dernier livre, également transalpin, affiche un visage nettement plus austère – en 1865, Liszt reçoit la tonsure. L’écriture se concentre moins sur la veine mélodique que sur des modulations chromatiques parfois âpres. La villa d’Este inspire deux andantes majestueux, «Aux cyprès de la Villa d’Este», et les premiers jeux d’eaux de la littérature pianistique – dont sauront se souvenir Ravel et Debussy. L’ultime «Sursum corda» résonne comme une récapitulation concluant la longue ascèse qui se déploie au long de cette heure de musique, dans une réinvention des finales chopiniens – les Etudes, les Préludes ou la encore la Deuxième Sonate par exemple. La lecture sans concession de Bertrand Chamayou exalte la beauté intérieure de ce fruit de la dernière maturité du compositeur, à la fois fervente et détachée. A l’issue de ces trois heures de musique, l’auditeur ressort impressionné, comme transformé.
Le lendemain, deux jeunes virtuoses ont gratifié le public bordelais de leurs talents. Mu Ye Wu a légèrement amendé le programme initialement prévu, et s’est frotté à l’Appassionata de Beethoven. Les Préludes opus 28 de Chopin ont révélé des visions intéressantes, avant de conclure avec Liszt. L’après-midi, David Bismuth s’est placé sous le patronage de Bach. Le Prélude, Fugue et Variation de Franck rend un hommage appuyé au Cantor de Leipzig. Dans la transcription par Busoni de la Chaconne de la Deuxième Partita pour violon, le pianiste s’abstient du lyrisme brutal parfois en vigueur dans cette page, et déplie progressivement la construction lumineuse de la partition, refermant un récital qui met en valeur la sensibilité subtile de l’interprète, rayonnant sous son apparente timidité.
Gilles Charlassier
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