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La musique russe au mieux de sa forme Paris Théâtre des Champs-Elysées 11/30/2011 - Serge Prokofiev : Symphonie n° 1 «Classique» en ré majeur, opus 25
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour piano et orchestre n° 1 en do mineur,
opus 35
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Suite pour orchestre n° 3 en sol majeur, opus 55
Denis Matsuev (piano)
Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Youri Temirkanov (direction)
D. Matsuev
On se rend à certains concerts avec envie, avec empressement et, parfois, avec crainte ou appréhension: c’était le cas ce soir tant la dernière venue de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Elysées avait véritablement fait figure de naufrage (voir ici et ici). La présence de Denis Matsuev comme soliste avait elle, au contraire, le mérite de plutôt rassurer le public tant ce jeune géant du piano a su, soit sous la direction de Youri Temirkanov déjà, soit sous celle de Kurt Masur par exemple, déchaîner l’enthousiasme. En fin de compte, et à l’image du concert de la veille, on aura eu le plaisir d’entendre un orchestre des grands jours dirigé par un Temirkanov sans conteste dans son élément.
Le concert débutait par la pièce la plus célèbre du programme, la fameuse Symphonie «Classique» (1917) de Serge Prokofiev (1891-1953), hommage du compositeur russe à ce qu’aurait pu composer un Joseph Haydn du XXe siècle. Les premières attaques des violons manquent de netteté et de tranchant, sans compter quelques traits qui savonnent un peu; néanmoins, et même si Temirkanov n’adopte pas toujours une approche d’une grande subtilité, le résultat est efficace.
Le Premier Concerto de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) date de 1933 et a justement été créé par l’Orchestre philharmonique de Leningrad, qui n’est autre que l’ancêtre de l’actuel Philharmonique de Saint-Pétersbourg: on avait donc affaire avec cette œuvre à un véritable retour aux sources. Force est de constater que l’orchestre a cette musique dans la peau et a offert un accompagnement idéal (la finesse des cordes!), mention spéciale bien évidemment à la trompette solo, partenaire d’égal à égal avec le piano. A ce jeu là, Denis Matsuev a de nouveau prouvé combien il était un grand pianiste. Débordant d’énergie, il n’en est pas moins capable du toucher le plus délicat (notamment dans le deuxième mouvement mais aussi dans les premiers traits du premier mouvement), chantonnant sans cesse tandis que son pied gauche alterne fréquemment pédale et battue de la mesure. Quelle que soit l’atmosphère souhaitée par Chostakovitch (martiale, grinçante, nonchalante), Matsuev adapte immédiatement son jeu avec une justesse extraordinaire, possédant cette partition de fond en comble et livrant au public une interprétation proche de l’idéal.
Après deux œuvres connues, la seconde partie du concert était dédiée à une relative rareté: la Troisième Suite (1884) pour orchestre de Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893). Pas plus que les trois autres (dont la Quatrième «Mozartiana» est sans doute la plus connue), elle n’a vraiment droit aux honneurs des salles de concert alors qu’elle a pourtant connu une création prometteuse en mars 1885 à Saint-Pétersbourg, sous la baguette de Hans von Bülow. Même s’il s’agit en vérité d’une symphonie à part entière, du moins formellement parlant (quatre mouvements, dont un lent placé en deuxième position), elle n’a pas trouvé sa place dans le répertoire des grands orchestres, se laissant supplanter par les autres pièces orchestrales du compositeur russe, notamment les Suites tirées des ballets célèbres que sont La Belle au bois dormant ou Casse-Noisette. Youri Temirkanov dirige cette œuvre avec un engouement et une conviction qui forcent l’admiration alors que la partition s’avère parfois maladroite. L’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg est excellent avec des cordes qui savent s’emporter (dans l’«Elégie») comme on peut par exemple les entendre dans le deuxième mouvement de la Cinquième Symphonie, et qui savent jouer du legato avec beaucoup de séduction (quelle alliance entre les violoncelles et la flûte dans la «Valse mélancolique»). On soulignera également la prestation de plusieurs solistes, qu’il s’agisse du cor anglais, splendide à chacune de ses interventions, ou du violon solo admirablement tenu par Leo Klychkov au sein du dernier mouvement, «Tema con variazioni». Temirkanov, à la battue toujours aussi peu lisible, emmène l’orchestre sur des sommets qui justifient plus que jamais que cette formation ne joue en priorité que des programmes russes. S’il fallait s’en convaincre définitivement, on se reportera au bis de l’orchestre, la fameuse «Danse des cygnes» tirée du ballet Le Lac des cygnes, tout en finesse et espièglerie.
Le site de Denis Matsuev
Sébastien Gauthier
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