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Les chaussettes de William Christie Paris Salle Pleyel 11/24/2011 - et 14 (Moscou), 17 (Wien), 20 (Bruxelles), 22 (Caen) novembre 2011 Georg Friedrich Händel : Jephtha, HWV 70
Kurt Streit (Jephthé), Kristina Hammarström (Storgè), Katherine Watson (Iphis), David DQ Lee (Hamor), Neal Davies (Zebul), Rachel Redmond (L’Ange)
Les Arts Florissants, William Christie (direction)
K. Watson (© Hugo Bernand)
De même qu’on a pu donner le qualificatif de symphonie «du destin» à la Cinquième de Beethoven, de même pourrait-on l’attribuer à Jephtha, oratorio qui devait être la dernière œuvre composée par Georg Friedrich Händel (1685-1759). En effet, cette ultime partition (bien que datant de 1757, Il trionfo del Tempo e della Verità étant davantage un assemblage de pièces déjà composées) est écrite par un vieillard qui connaît des problèmes récurrents de santé, Händel ayant d’ailleurs dû rentrer plus tôt que prévu de la station thermale de Cheltenham au mois de septembre 1751 pour se faire opérer de la cataracte à Londres, première de trois tentatives qui ne pourront malheureusement ralentir sa cécité progressive. Par ailleurs, la fatalité est le fil conducteur de l’intrigue qui illustre l’écartèlement dans lequel se trouve Jephtha, le héros, qui a fait une promesse à Dieu (sacrifier le premier être qu’il voit s’il revient victorieux d’un combat mené contre les Ammonites) et qui se trouve devoir immoler sa propre fille, Iphis, alors qu’elle conduit le cortège venu accueillir le héros. Or, à l’image du geste interrompu d’Abraham, un ange retient au dernier moment la main de Jephtha, Iphis devant, en échange de la vie sauve, dévouer son existence à Dieu; si la jeune fille est alors sauvée, son idylle avec le jeune Hamor prend fin de la manière la plus triste qui soit... Pour autant, il faut l’accepter; c’est la grande maxime de l’oratorio qui est chantée par le chœur à la fin de l’acte II dans un vers célèbre proclamant avec force que «Yet on this maxim still obey: whatever is, is right» («Mais à cette maxime nous devons souscrire: tout ce qui est, est juste»).
L’histoire, tirée du Livre des Juges, avait déjà été mise en musique par Giacomo Carissimi en 1649 (l’oratorio passant alors pour être un des plus beaux jamais composés au XVIIe siècle), par Michel Pignolet de Montéclair en 1733 (l’archevêque de Paris s’étant d’ailleurs opposé à sa représentation, le caractère sacré s’accommodant mal à ses yeux de la théâtralité de l’oratorio), puis par Maurice Greene (en décembre 1736 à Londres, sans grand succès cette fois-ci). Force est de constater qu’aucun de ces concurrents n’arrive à la cheville de Händel qui signe là un chef-d’œuvre absolu. Pour lui rendre justice, si tant est que cela soit nécessaire, il fallait une équipe du plus haut niveau: évidemment, ce fut le cas ce soir.
A-t-on déjà vraiment fait attention à la gestique, à la prestance, au charisme de William Christie? Entrant sur la scène de la salle Pleyel d’un pas toujours aussi vif, il lance immédiatement ses instrumentistes dans l’Ouverture avec une véhémence et un volontarisme qui instaurent d’emblée ce climat fatal dont on ne se départira pas et qui, accessoirement, permettent au public d’apercevoir les splendides chaussettes rouges du chef à chaque fois qu’il plonge vers son orchestre pour mieux en tirer toute la beauté possible. William Christie, dont on oublie parfois qu’il est un interprète de Händel des plus avisés, sait inviter d’un seul geste les cordes à chanter davantage (dans l’air d’Iphis «Take the heart you fondly gave» au premier acte) ou à se marier de la plus parfaite façon à la voix qu’il accompagne ou soutient (quel passage que cet air de Jephtha «Waft her, angels, through the skies» au début de l’acte III, malheureusement gâché par quelques toux intempestives à la fin, suscitant d’ailleurs un légitime geste d’agacement de la part du chef). Face à un William Christie aussi accompli, l’orchestre et les chœurs des Arts Florissants ont de nouveau illustré leur réputation. La plénitude des voix, la souplesse de la ligne de chant: autant de preuves qu’on entendra notamment dans le premier chœur de l’acte I («No more to Ammon’s god and king»), dans le si beau «O God, behold our sore distress» où la force de la musique contraste idéalement avec la fragilité des paroles ou, dernier exemple parmi tant d’autres, dans l’air «Cherub and Seraphim, unbodied forms» où le jeu des nuances fut excellent, accompagné par le volettement idoine des violons. Car les musiciens furent également au meilleur de leur forme: mention particulière au flûtiste Serge Saitta (par exemple dans son accompagnement de Storgè, au premier acte, dans l’air «In gentle murmurs will I mourn») ou à la toujours excellente Florence Malgoire, notamment dans l’air «Tune the soft melodious lute» de l’acte II où la communion entre voix et instruments est tout simplement parfaite.
Tout en étant globalement excellents, les solistes furent parfois un peu décevants. Kurt Streit, que l’on attendait beaucoup dans le rôle-titre, aura été inoubliable dans son air, déjà cité, «Waft her, angels, through the skies» (acte III); en revanche, dans le célèbre air de l’acte II «Open this marble jaws, O tomb, and hide me, earh, in thy dark womb!» («Ouvre tes mâchoires de marbre, O tombe, et cache-moi, terre, en ton sein noir!»), Kurt Streit ne distille pas assez d’émotion poignante. On gardera donc encore en mémoire l’interprétation si puissante et si habitée de Paul Agnew il y a quelques années. Dans le rôle de Zebul, Neal Davies fut excellent, notamment dans le très bel air «Freedom now once more possessing» (acte II); il en a été de même pour la jeune Rachel Redmond (l’Ange), dont l’intervention salvatrice au milieu du dernier acte a été très juste. Kristina Hammarström, qui incarnait le personnage de Storgè, a offert une prestation quelque peu mitigée: en dépit d’une très belle voix, elle a manqué parfois de caractère (pourquoi ce manque de frayeur et d’emportement dans l’air du deuxième acte «Scenes of horror, scenes of woe»?) et même de puissance (notamment dans l’air «Let other creatures die» à l’acte II également). En dépit de ces très légères déconvenues, la prestation des solistes aura été magnifique, en raison principalement des deux révélations de ce concert: Katherine Watson (qui tenait le rôle d’Iphis) et David DQ Lee (qui incarnait son amant Hamor). Quelles voix! Quelle facilité dans l’émission! Quel sens des mots! On a été subjugué dès leur première intervention à chacun («Dull delay, in piercing anguish» pour Hamor par exemple, au premier acte) et, surtout, par leur splendide duo «These labours past, how happy we!», idéalement accompagné par des hautbois et des cordes à l’unisson du mariage de ces deux jeunes voix encore pleines d’ingénuité, ne sachant ce que le sort leur réservera. La justesse de ton aura toujours été là, sans compter une parfaite intelligibilité de leur chant: voici deux chanteurs qu’il faut indéniablement guetter dès qu’ils auront de nouveau l’occasion de se produire dans la capitale. De tels moments sont précieux!
Le site de Kurt Streit
Le site de David DQ Lee
Le site des Arts Florissants
Sébastien Gauthier
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