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Liederabend nietzschéenne Paris Théâtre des Bouffes du Nord 11/15/2011 - et 16, 18, 19* novembre 2011 (Paris), 11 (Luxembourg), 25 (Orléans) janvier, novembre (Rouen) 2012, saison 2012-2013 (Reims) Pascal Dusapin : O Mensch! (création)
Georg Nigl (baryton), Vanessa Wagner (piano)
Pascal Dusapin (mise en scène), Thierry Coduys (dispositif électroacoustique et vidéo), Sébastien Michaud (lumières), Olivier Bériot (costumes)
G. Nigl (© Bernd Uhlig)
Bon nombre de compositeurs ont été inspirés par Nietzsche: hormis l’exemple fameux mais un peu particulier de «mise en musique» par Richard Strauss sous la forme d’un poème symphonique (Ainsi parlait Zarathoustra), c’est le cas de créateurs aussi divers que Delius, Hindemith, Medtner, Orff, Schönberg, Webern ou, plus près de nous, Hersant et Rihm. Sous le titre O Mensch! – «O Homme!», incipit du «Chant de minuit» (extrait de Zarathoustra), déjà utilisé par Mahler dans sa Troisième Symphonie –, Pascal Dusapin s’inscrit à son tour dans une longue lignée. Il le fait au travers d’un cycle évoquant Schubert tant par son effectif (voix et piano) que par sa durée (soixante-dix minutes), mais non sans originalité, puisque c’est un spectacle complet qu’il a conçu et dans lequel il met en scène deux de ses interprètes d’élection: Georg Nigl (né en 1972), qui endossa le rôle-titre de Faustus, the last night puis celui de Lui dans Passion, d’une part, Vanessa Wagner (née en 1973), dédicataire de la Troisième et de la dernière des sept Etudes, d’autre part. Autre élément peu commun, et assez largement médiatisé de ce fait, cette commande conjointe des Bouffes du Nord (en coproduction avec les Théâtres de la ville de Luxembourg, la Comédie de Reims, l’Opéra de Rouen et la Scène nationale d’Orléans) et du Konzerthaus de Vienne a en outre fait appel au mécénat des particuliers, invités à participer au financement du dixième du coût de la production, à raison de 3000 euros par personne (soit 1020 euros nets, une fois appliqué l’avantage fiscal bénéficiant aux dons).
Avec la nuit, la solitude, la condition humaine, l’enfer, la folie, on retrouve ici les principaux thèmes de Faustus – comment oublier l’immense horloge inclinée de la mise en scène de Peter Mussbach? Mais même si le concept évoque la Gesamtkunstwerk (œuvre d’art totale) de Wagner (auquel le piano rend furtivement un «hommage», autour du Prélude de Tristan), ce n’est pas d’opéra qu’il s’agit, mais d’une Liederabend «avec tout le confort (post)moderne». La scénographie est certes dépouillée: pas de décor – mais le théâtre du boulevard de la Chapelle se révèle, une fois de plus, un lieu idéal pour une telle entreprise –, une statue humaine à l’arrière-plan et une petite chaise basse. De même, la mise en scène reste réduite à sa plus simple expression, même si le chanteur se déplace évidemment beaucoup plus que dans le cadre d’un récital traditionnel, et le costume confectionné par Olivier Bériot, tenant du Wanderer du Voyage d’hiver ou du clochard métaphysique beckettien, contribue à la sobriété d’ensemble.
D’autres éléments, quoiqu’employés avec la même retenue, revêtent une importance au moins aussi grande: un «dispositif électroacoustique» qui génère vrombissements sourds, sons de la nature et bruits de pas; des projections vidéo (elles aussi réalisées par Thierry Coduys), généralement pendant les interludes, qui offrent un contrepoint réaliste mais quelque peu hermétique, sur le mur du fond (manège tournant inlassablement, tête de rapace en gros plan, marcheur et, en conclusion, main s’ouvrant et se tournant vers le public) ou bien sur le sol (trop nombreuses et réduites pour être distinctement perçues); des lumières réglées par Sébastien Michaud, qui installent un climat brumeux et nocturne.
Si certains, notamment les non-germanistes (malgré le surtitrage de la traduction des deux côtés de la scène), se sont peut-être sentis étrangers à cet univers à la fois austère et intense, c’est en tout cas du cousu main pour Nigl, acteur, danseur et musicien versatile, par sa voix (pure, claire, précise dans l’aigu comme dans le grave) aussi bien que par son visage et son corps, tant il sert magnifiquement les textes, souvent sombres, parfois même vindicatifs ou sarcastiques (dont la traduction est par ailleurs surtitrée des deux côtés de la scène). Une simple récitation aurait déjà été passionnante grâce à de tels talents de diseur et de comédien, d’autant que la musique – vingt-sept numéros, dont quatre interludes pour piano (le dernier modifiant en temps réel la couleur des notes dans l’extrême du registre grave) – ne tire pas toute la couverture à elle: âpre et raréfiée, allant par deux fois jusqu’à l’humour grinçant d’une sorte de cabaret dansé, elle se veut avant tout respectueuse des mots, qu’elle met en valeur, n’en sacrifiant pas le moindre, qu’il soit dit ou chanté, murmuré ou vociféré. Parfaitement à l’unisson, la pianiste française demeure toutefois le plus souvent discrète – y compris visuellement, seules les mains, le clavier et la partition restant éclairées – et doit souvent se contenter de ponctuer, de commenter et d’accompagner le baryton autrichien, quand ce dernier n’est pas entièrement à découvert.
Dusapin souhaitera-t-il que sa création fasse ensuite carrière au concert comme «simple» cycle de lieder? Auquel cas le défi sera difficile à relever: non pas que la musique et le texte ne se suffiraient pas à eux-mêmes, mais parce que se posera la difficulté de trouver des interprètes à la hauteur de Georg Nigl et Vanessa Wagner.
Le site de Georg Nigl
Le site de Vanessa Wagner
Simon Corley
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