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Sous le signe de l’ostinato Paris Athénée – Théâtre Louis-Jouvet 11/14/2011 - John Corigliano : Fantasia on an Ostinato
Domenico Scarlatti : Sonate pour piano en ré mineur, K. 141 (arrangement et improvisation C. Falzone)
Georges Enesco : Sonate pour piano n° 3, opus 24 n° 3
André Jolivet : Sonate pour piano n° 2
Yevgeniy Sharlat : Lulu-Rhapsody
Igor Stravinski : Trois mouvements de Pétrouchka
Christopher Falzone (piano)
C. Falzone (© Jean-Baptiste Millot)
Entre le 6 novembre et le 6 décembre, le vainqueur de la neuvième édition du concours international de piano d’Orléans (mars 2010), Christopher Falzone (né en 1985), effectue une tournée de concerts et de classes de maître en région Centre, qui s’autorise un petit crochet par l’Athénée. Sans surprise, cette vitrine d’une compétition dédiée à la musique écrite depuis 1900 est presque exclusivement consacrée à des œuvres dont aucune n’est encore centenaire.
La Fantaisie sur un ostinato (1985) de Corigliano, commande d’un autre concours (le van Cliburn), ne trahit pas les promesses de son titre: notes et figures se répètent sans cesse, avec un jeu sur les attaques, les dynamiques, les harmonies et les résonances, pour laisser place, in fine, à l’énoncé, parfaitement clair quoique légèrement fragmenté, du thème de l’Allegretto de la Septième Symphonie de Beethoven. De fait, l’ostinato marque à des degrés divers tout le reste du programme, de même que l’intérêt que le pianiste américain avoue porter à la transcription et à l’improvisation. C’est évidemment le cas dans cette Sonate K. 141 (1750) de Scarlatti qu’il enrichit d’un court prélude quasi-exclusivement réservé à la main gauche et d’une cadence conclusive, tout en l’enjolivant de périlleuses péripéties, quitte à la rendre parfois méconnaissable, sous les traits, arpèges et contrechants additionnels.
Le concours lui ayant offert la possibilité, comme à ses prédécesseurs, d’enregistrer un disque (venant de paraître chez Sisyphe), Falzone a pleinement tiré parti de cette carte blanche en se tournant vers un compositeur bien trop négligé, Enesco. Dans une Troisième Sonate (1935) impeccablement maîtrisée, où la hauteur de vue confine à la distance expressive et où il met en valeur les influences françaises que porte cette musique plutôt que ses sources populaires, il ne se départit pas d’une souplesse et d’une légèreté qui imposent une élégance néoclassique, d’une délicatesse arachnéenne dans l’Andantino central.
Après l’entracte, c’est encore, avec la musique pour piano de Jolivet, un corpus qui n’a plus (ou pas encore) tout la place qu’il mérite: tout le monde aime Messiaen et Boulez, bien sûr, mais Mana et les Danses rituelles font aussi partie de l’histoire de la musique française de piano. Et que dire de cette rarissime Seconde Sonate (1957), créée par Yvonne Loriod et donnée ici en présence de la fille du compositeur? Sans jamais cogner sur le Yamaha mais sans renoncer en quoi que ce soit à une frappe puissante, Falzone tend de nouveau à ramener le propos vers une certaine idée de la musique française, soucieuse autant que possible de mesure et de sonorités raffinées, davantage que vers une démesure rugueuse ou abrupte, varésienne, pour recourir à un qualificatif évoquant le maître de Jolivet.
Plutôt que la Sonate que lui a dédiée Yevgeniy Sharlat (né en 1977) et qu’il a gravée en complément de son double album susmentionné, il a choisi une autre page du compositeur moscovite, installé aux Etats-Unis depuis 1994. Mais les huit minutes de la Lulu-Rhapsodie (2003), conçue comme une «musique imaginaire pour La Boîte de Pandore de Pabst», versatile et poétique, jusqu’à une conclusion énigmatique, n’en confirment pas moins l’excellent souvenir laissé par la Sonate. Falzone fait forte impression dans les Trois mouvements de Pétrouchka (1926) de Stravinski, du moins par une réalisation très soignée, attentive à la polyphonie, refusant les effets percussifs à tout prix mais d’une sonorité souvent orchestrale. Derrière cette irréprochable interprétation, on peinera en revanche davantage à trouver l’affirmation de la personnalité du pianiste, comme s’il se laissait enfermer dans cette recherche de la perfection.
Ne semblant nullement harassé par cette éprouvante soirée, il offre en bis son adaptation du Scherzo du Second Quatuor avec piano (1886) de Fauré, qu’il dédie à la fondatrice et présidente du concours d’Orléans, Françoise Thinat, puis l’arrangement par Rachmaninov (1921) de Liebesleid (1910) de Kreisler.
Le site du Concours international de piano d’Orléans
Le site de Yevgeniy Sharlat
Simon Corley
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