Du 7 au 13 novembre, Le Perreux-sur-Marne accueille la troisième édition des «Rencontres musicales et littéraires en bord de Marne», sous la présidence d’honneur de Jean Piat: en divers lieux, douze spectacles (dont quatre consacrés à Liszt le 12 novembre) et une conférence célèbrent l’alliance de la littérature et de la musique en proposant de fort belles affiches: Stendhal avec Marie-Josèphe Jude et Pierre Arditi, Anne Queffélec et son frère Yann, la vie de Cziffra avec le pianiste Pascal Amoyel directeur artistique du festival, mélodrames de Liszt par Michaël Levinas et Daniel Mesguich, Harmonies poétiques et religieuses par François-Frédéric Guy et Marie-Christine Barrault, Giovanni Bellucci et Evelyne Bouix, ...
Au sein de ce programme, le spectacle «Les douze pianos d’Hercule» de Jean-Paul Farré, présenté au Petit Théâtre Hébertot en 2010 et couronné la même année d’un «Molière du théâtre musical», apporte une note d’humour bienvenue. Mais qui est donc Hercule? Le fils de Frédéric et Bernadette Pinchot, bien sûr. Une fois retrouvée la clef permettant d’ouvrir le clavier, une fois l’instrument («classé au patrimoine sonore de l’Humanité» mais «en travaux», les pieds dans des cuvettes en plastique) débarrassé d’une partie des outils, ustensiles de cuisine et objets divers dissimulés sous le couvercle, le pianiste, entouré de sept tabourets différents dont l’utilité apparaîtra au fil des soixante-quinze minutes, peut s’essuyer soigneusement les pieds sur un paillasson opportunément placé devant les pédales et, au fil d’un concert-conférence pas comme les autres, évoquer au travers des «quatre révolutions de l’art du piano» le destin de cette famille de musiciens.
A grands coups de jeux de mots, tels ces «pleins champs où l’on cultive le grégorien», aussi subtils que les approximations musicologiques délibérées, telles ces «sixtes augmentées à la main droite», rien ne sera épargné à un public hilare: analyse détaillée de la brève (et unique) œuvre de Frédéric Pinchot, sa Sonate opus 1, sous-titrée «Dernier repas de Noël en famille... d’accueil», qui révèle un compositeur plus proche de Chopin par l’inversion de son nom que par son style; un demi-siècle plus tard, vision de Bernadette assistant, le 1er janvier 1901 (date depuis laquelle, comme chacun sait, tous les pianos sont orientés vers l’est), à l’invasion de son clavier par les échelles pentatoniques; seconde exécution mondiale de Giboulée II (d’un compositeur hélas non précisé) «séquence pour quatre mains en deux temps trois mouvements», Farré tenant tour à tour les deux parties de piano avant de déclencher une averse de balles de ping-pong sur les cordes.
Aussi fin acteur qu’auteur, Farré ne surjoue jamais: à vrai dire, certains pianistes ou conférenciers n’ont-ils pas des expressions encore plus exagérées, des tics encore plus envahissants, une prétention encore plus délirante, des gestes encore plus excessifs? En «bis», on découvre la quatrième révolution, c’est-à-dire celle de la musique répétitive, prétexte à faire chanter aux spectateurs une rengaine jusqu’à épuisement et aux deux notes finales – fa-ré, bien sûr. Et comme on se sent bien sur les bords de Marne, va pour une Complainte du pianiste rabougri à la Mac-Nab: comme tous les vrais clowns, l’artiste a sa pudeur et sa tristesse.