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Mouchoirs facultatifs

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/21/2011 -  et 23, 30 octobre, 2, 4, 8 (Strasbourg), 18, 20 (Mulhouse/La Filature) novembre 2011
Giacomo Puccini : La bohème
Virginia Tola (Mimi), Enrique Ferrer (Rodolfo), Agnieszka Slawinska (Musetta), Thomas Oliemans (Marcello), Yuriy Tsiple (Schaunard), Dimitri Pkhaladze (Colline), René Schirrer (Benoît, Alcindoro)
Chœurs et Maîtrise de l’Opéra National du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Stefano Ranzani (direction)
Robert Carsen (mise en scène, reprise par Frans de Haas), Michael Levine (décors et costumes), Jean Kalman (lumières)


(© Alain Kaiser)


Cette production de La bohème, signée par Robert Carsen pour l’Opéra de Flandre, n’est pas récente et affiche même crânement ses années d’âge sans avoir à souffrir d’aucune ride gênante. Cela dit, il s’agit-là d’un concept, comme souvent chez Carsen, radicalement original dans son investissement du temps et de l’espace, mais qui, comme souvent aussi chez Carsen, peut tomber occasionnellement dans la répétition de certains tics, même le parfaitement inattendu pouvant revêtir ici des aspects d’un confusément « déjà vu ».


Dans sa structure narrative voilà une Bohème relativement classique, qui réactualise cependant un peu le propos en le situant dans des années 1920 en fait assez peu identifiables, si ce n’est par les costumes de Musetta. La principale force de la production reste son décor, qui élude la difficulté de représenter une mansarde, par définition exigüe et misérable, sur une scène d’opéra large et profonde. Ici seul existe le plancher du galetas de Rodolfo et Marcello, simple carré matérialisé par ses limites entre un tapis neigeux à l’Acte I et un tapis de jonquilles à l’Acte IV. Aucun mur, et heureusement, car le carré est si petit et encombré de meubles (matelas, chaise, piano droit, chevalet, bureau, trappe d’accès ménagée dans le plancher…) que les chanteurs pourraient difficilement respirer dans cet espace s’il était réellement clos sur trois côtés. Transition extraordinaire, à rideau ouvert, entre les deux premiers tableaux : choristes et figurants investissent toute la scène en un clin d’œil, en poussant d’autres meubles, autant de trappes, bureaux, lits et pianos surnuméraires qui transforment toute la scène en une mansarde cette fois géante mais tout aussi misérable d’aspect. On n’est plus du tout au Café Momus mais plutôt aux puces de Saint-Ouen, squattées par une Bohème clochardisée. Un contexte peu favorable à l’irruption des traditionnels garçons de café avec leur chargement gourmand (ici des crustacés en plastique d’un effet médiocre) mais en revanche un espace déstructuré qui invite à de nombreuses dérives, dont un glissement peu attendu vers une orgie sexuelle explicite, le comportement provocant de Musetta produisant un véritable effet de mise à feu. Une figurante en tenue d’Eve vient se coucher sur l’un des pianos d’un air lascif, donnant le ton d’une scène où les corps s’attirent tout à coup comme des aimants, assez vite dispersés cependant par l’irruption d’une fanfare de bric de broc alors que la situation promettait de devenir franchement hot. Un moment d’extrême virtuosité scénique, dans une onirique tonalité d’ocres en clair-obscur, où l’œil du spectateur se trouve tellement sollicité qu’il n’est pas du tout certain, a posteriori, d’y avoir tout vu !


Après l’entracte la production semble avoir brûlé toutes ses cartouches et ne fait plus que durer. Le décor de la barrière d’enfer paraît peu évocateur voire incommode. Et transformer Rodolfo et Mimi en deux simili-poivrots inséparables de leur litron de rouge n’apporte vraiment rien de constructif, voire tue toute émotion dans une séquence de quatuor qui devrait paraître pathétique à souhait. Le pittoresque du tableau, typiquement puccinien, avec sa figuration naturaliste minutieusement traitée, est lui aussi évacué et nous manque, car la musique qui, elle, fonctionne de façon inchangée, ne trouve plus aucun support visuel crédible sur lequel se poser. Quant au dernier tableau, on y apprécie des attitudes bien caractérisées, voire une jolie chorégraphie des corps dans un espace toujours réduit, mais rapidement on perçoit que l’intellectualisme du propos ne va pas laisser s’installer d’émotion véritable. Mimi s’éteint tristement dans son coin, Rodolfo s’épanche un peu puis retourne vite s’asseoir à son petit bureau, trop égocentrique peut-être pour s’attarder, et les Bohèmes se dispersent aux quatre coins cardinaux, une page cruciale de leur jeunesse désormais tournée. Le message est clair mais on n’en a cure, tant le parasitage de l’action par l’idée devient encombrant et vain. Une Bohème où l’on pleure peu ! Certains franchiront sans hésiter le pas et diront qu’il ne saurait s’agir ainsi d’une Bohème réussie.


Succès public d’ailleurs tiède pour cette soirée de première, sans doute aussi en raison de chanteurs « jeunes et sexy », pour reprendre des propos de Robert Carsen cités dans le programme du spectacle, mais qui vocalement se révèlent surtout verts et peu chaleureux. Certaines voix sont issues du vivier de jeunes chanteurs entretenu depuis plusieurs années à l’Opéra du Rhin : respectables elles n’attirent en revanche guère l’attention, la plupart des grands airs de la partition passant d’ailleurs presque inaperçus. D’un format plus international, la Mimi de Virginia Tola gère grâce à toutes sortes d’expédients un aigu instable et souvent décoloré, sans parvenir à caractériser un personnage qui reste falot, et le Rodolfo d’Enrique Ferrer ne manque pas d’éclat mais la partie supérieure de sa tessiture se libère mal, voire s’étrangle. Le timbre est naturellement assez beau, d’un métal en tout cas expressif, mais techniquement le bagage actuel du chanteur paraît restreint, surtout dans la perspective d’une carrière prochaine (Francesca da Rimini, Trovatore...) qui s’annonce bien ambitieuse. En définitive c’est au seul Thomas Oliemans, Marcello sympathique dont la voix acquiert au fil du spectacle une véritable aisance, que l’on parvient à s’intéresser. En fosse, Stefano Ranzani démontre qu’il connaît tous les enjeux expressifs de l’ouvrage et sait toujours en mettre en relief les phrases essentielles. Mais il doit compter avec un Orchestre de Mulhouse qui sonne peu et dont les cuivres, sans aucune véritable insécurité d’intonation cependant, n’ont pas des timbres particulièrement engageants. Somme toute une Bohème ambitieuse dont on sort surtout frustré.


Et pourtant, l’enjeu n’était pas mince. Bertrand Rossi, directeur de production de la maison, croisé avant le début du spectacle, nous faisait remarquer qu’aucun titre de Puccini n’avait été programmé à l’Opéra du Rhin depuis exactement dix ans. Or ce n’est pas en asséchant de la sorte ce musicien génial que l’on parviendra à le tirer d’une désaffection apparente que l’on est bien forcé aujourd’hui de constater. Sans doute faute d’équipes capables d’y croire encore vraiment, et c’est bien dommage.



Laurent Barthel

 

 

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