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Un Ring moins «allégé» qu’il n’y paraît

Paris
Cité de la musique
10/07/2011 -  et 16, 17, 18 septembre (Porto), 1er, 2, 3 (Strasbourg), 8*, 9 (Paris), 14, 15, 16 (Saint-Quentin-en-Yvelines) octobre, 4, 5*, 6* (Nîmes), 18, 19, 20 (Caen) novembre, 2, 3, 4 (Luxembourg), 9, 10, 11 (Reims) décembre 2011
Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen (version réduite de Jonathan Dove et Graham Vick)
Ivan Ludlow (Wotan, Wanderer), Fabrice Dalis (Loge, Mime), Nora Petrocenko (Fricka, Helmwige), Donatienne Michel-Dansac (Freia, Gutrune), Alexander Knop (Donner, Gunther), Lionel Peintre (Alberich), Johannes Schmidt (Fafner, Hagen), Martin Blasius (Fasolt, Hunding), Mélody Louledjian (Woglinde, Gerhilde, Waldvogel), Jihye Son (Wellgunde, Sieglinde), Louise Callinan (Flosshilde, Erda, Waltraute), Marc Haffner (Siegmund), Cécile De Boever*/Piia Komsi (Brünnhilde), Jeff Martin (Siegfried)
Remix Ensemble Casa da Musica, Peter Rundel (direction musicale)
Antoine Gindt (mise en scène), Elise Capdenat (décors), Fanny Brouste (costumes), Daniel Levy (lumières), Tomek Jarolim (création numérique)


I. Ludlow, N. Petrocenko (© Philippe Stirnweiss)


Les puristes crieront certainement au scandale et pourtant, c’est bien à une entreprise réussie, et à maints égards enthousiasmante, à laquelle nous avons assisté, pour moitié à la Cité de la Musique à Paris (L’Or du Rhin et La Walkyrie), et pour l’autre moitié au Théâtre de Nîmes (Siegfried et Le Crépuscule des dieux). Réduire en effet le grand œuvre de Richard Wagner, Der Ring des Nibelungen, à neuf heures de musique (contre quinze dans la mouture originale), dix-huit instrumentistes (contre plus d’une centaine) et quatorze solistes (contre une trentaine) ne pouvait apparaître que comme une gageure... fièrement relevée selon nous.


Conçue en 1990 – par un duo composé du metteur en scène Graham Vick et du compositeur Jonathan Dove – pour le City Birmingham Touring Opera, cette «Ring Saga» est aujourd’hui reprise par Antoine Gindt. Directeur de la compagnie T&M-Paris, structure de création dédiée aux nouvelles formes de théâtre musical et lyrique, il lui aura fallu quatre ans pour mener à bien ce projet qui, de septembre à décembre, ne visitera pas moins de huit villes différentes, de Porto à Reims, en passant par Strasbourg, Caen ou encore Luxembourg. «Nous avons eu le plaisir de redécouvrir la partition» déclare Antoine Gindt. Point de lecture philosophico-politico-psychanalytique ici, mais une méritoire lisibilité du drame, débarrassé de tout le fatras prétentieux de tant de mises en scène vues ici ou là, notamment à l’Opéra national de Paris dernièrement...


La scénographie rudimentaire et dépouillée d’Elise Capdenat est composée d’un plancher surélevé et incliné, divisé en deux par un fossé d’où émergent certains protagonistes (Alberich, Erda, les Filles du Rhin...) et que d’autres enjambent, comme pour passer symboliquement d’un monde à l’autre (celui des Dieux, des Hommes, des Nibelungen...). En retrait de ce dispositif, sur un large écran, viennent s’imprimer les créations numériques et les projections vidéo de Tomek Jarolim, malheureusement souvent vilaines, avec un graphisme «cheap» rappelant les premiers jeux vidéo des années 1980. La palme du ridicule et du kitsch revient cependant aux costumes futuristes (façon Star Trek) de Fanny Brouste, qui prêtent à rire quand ils n’agacent pas. Plus élaborés sont les éclairages de Daniel Levy, puissamment évocateurs, notamment dans les pages paroxystiques de la partition.


Les coupes infligées à celle-ci peuvent parfois chagriner: plus de chœur, plus de Nornes, trois Walkyries au lieu de huit, les trois énigmes réduites à une... mais certaines longueurs, surtout dans les deux dernières journées, sont épargnées au public – en premier lieu les nombreux «rappels» des épisodes précédents, dont Wagner a émaillé son opéra-fleuve.



J. Martin, F. Dalis (© Philippe Stirnweiss)


La réduction instrumentale, qui l’eût cru, pose beaucoup moins problème et rend pleinement compte de la beauté de la musique wagnérienne, dont le caractère chambriste n’a jamais été rendu plus évident que par cette instrumentation «allégée». Certes, avec seulement deux violons, certaines parties sonnent un peu «chétif», mais un quatuor à cordes, une harpe solitaire ou un duo de vents atteignent souvent le même pouvoir évocateur, et parfois plus encore, qu’un orchestre tout entier! Saluons ainsi la prestation du Remix Ensemble Casa da Musica, parfait de cohésion, ainsi que celle de l’Allemand Peter Rundel, chef à la baguette nerveuse et artisan à part entière de cette formidable aventure.


Le bonheur le plus intense provient néanmoins d’un plateau vocal dont beaucoup de ses membres mériteraient tout à fait de chanter sur les grandes scènes internationales. A commencer par la Brünnhilde incandescente de Cécile De Boever, rôle vocalement si exigeant, qu’elle assume crânement. Dardant ses aigus avec une aisance confondante, de sa voix claire et robuste à la fois, elle offre quelques moments fulgurants (les fameux «Hojotoho!»). Elle est par ailleurs une actrice accomplie. A Nîmes, la soprano française a malheureusement dû déclarer forfait et être remplacée par une consœur, la soprano finnoise Piia Komsi. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le public nîmois a perdu au change. Avec une voix dépourvue du moindre rayonnement, à la puissance plus que limitée, à l’aigu trémulant et laborieux, au registre bas inexistant, au souffle court, elle est une Brünnhilde tout simplement impossible, offrant une scène de l’Immolation calamiteuse. Bref, une Brünnhilde à oublier!


C’est un tout autre enthousiasme que nous procure le Siegfried de l’Américain Jeff Martin, dont la biographie nous apprend que son répertoire habituel est celui de Tamino, Ferrando et autre Lenski... Pourtant, il fait preuve d’une endurance rare, encore plus vaillant dans la deuxième journée que dans la troisième. L’acteur est en outre épatant de naturel, avec un physique qui sied parfaitement au personnage de Siegfried. Dans le rôle de Wotan, Ivan Ludlow impose une voix mordante, souple et admirablement timbrée. Il délivre un chant de bout en bout lyrique et frémissant qui, malgré un certain manque d’ampleur, n’a rien à envier à bon nombre de Wotan du moment. La délicieuse soprano coréenne Jihye Son incarne une Sieglinde très émouvante, à l’aigu cristallin et à la couleur vocale parfois irrésistible (le «Ewig war ich»!). On admire la beauté du timbre et l’homogénéité de la voix sur toute l’étendue du registre. Elle trouve dans le ténor français Marc Haffner (Siegmund) un partenaire solide, musicien, attentif aux mots et d’une belle présence scénique.



J. Son, M. Haffner (© Philippe Stirnweiss)


La mezzo lituanienne Nora Petrocenko campe une Fricka stylée, au medium charnu, parfaite en femme autoritaire et acariâtre. Aussi magnifique dans le rôle d’Erda que dans celui de Waltraute, Louise Callinan en impose avec ses graves profonds. Impressionnante aussi, dans le double rôle de Fasolt et de Hunding, la basse allemande Martin Blasius. Doté d’un timbre noir, il incarne avec autorité ces deux personnages de «méchants». En termes de noirceur et de présence, Johannes Schmidt (Fafner et Hagen) n’a guère à lui envier. Tant en Mime (fourbe et veule à souhait) qu’en Loge, Fabrice Dalis convainc avec sa voix saine et remarquablement émise. Autre double composition pour le baryton allemand Alexander Knop, plus à l’aise en Gunther qu’en Donner, mais au format vocal trop confidentiel pour leur rendre pleinement justice. On formulera le même bémol pour l’Alberich de Lionel Peintre, rôle pour lequel on aurait également préféré entendre une voix plus sombre. Mélody Louledjian dessine un oiseau à l’aigu lumineux, mimant l’animal avec un talent rare de comédienne, tandis que Donatienne Michel-Dansac, en Freia et Gutrune, peine à exister tant vocalement que scéniquement.


Pour conclure, rendons encore grâce à ce magnifique projet qui permet, le temps d’un week-end et pour un budget très accessible (100 euros les quatre spectacles), d’assister à un Ring entier (nonobstant les coupures) dans des villes qui n’ont, pour beaucoup d’entre elles, jamais pu se permettre d’accueillir le chef d’œuvre du grand Richard.


Dernières escales de ce spectacle: le Théâtre de Caen mi-novembre, puis le Grand-Théâtre de Luxembourg et l’Opéra de Reims début décembre. Un événement lyrique qui mérite assurément le déplacement!



Emmanuel Andrieu

 

 

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