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Stylisation du mystère

Madrid
Teatro Real
10/31/2011 -  & 2*, 4, 7, 9, 11, 13, 16 novembre 2011
Claude Debussy: Pelléas et Mélisande
Camila Tilling (Mélisande), Yann Beuron (Pelléas), Laurent Naouri (Golaud), Hilary Summers (Geneviève), Seraphin Kellner (Yniold), Jean-Luc Ballestra (Docteur), Tomeu Bibiloni (Le Berger)
Orchestre et Chœur du Teatro Real, Andrès Máspero (chef du chœur), Sylvain Cambreling (direction musicale)
Robert Wilson (mise en scène, décors et lumières), Frida Parmeggiani (costumes)


C. Tilling & L. Naouri (© Javier del Real)


Robert Wilson a une empreinte personnelle, une iconographie qui lui est propre pour résoudre la mise en espace des textes. On vu de mises en scène de Wilson capricieuses, d’une beauté gratuite, sans but, un peu festival, mais ici, avec Debussy, tout est différent. Différent, mais dans la mesure où Wilson montre quelque chose de radicalement opposé. Chez lui, en fait, tout se ressemble. Il a ce qu’un théoricien espagnol des arts plastiques appelait « un cosmos propre». Le cosmos de Wilson est reconnaissable ; mais en même temps il y a le Wilson créatif, celui qui apporte quelque chose de nouveau aux œuvres qu’il met en scène : monde plastique, fait de couleurs, de reliefs, de renoncement à la profondeur tridimensionnelle du tableau de théâtre (l’ « absence d’ombre », un choix, une prouesse aussi); et il y a le Wilson « machine », celui qui visite les festivals, les théâtres dirigés par des gens à la mode, les scènes vouées à la parade du snobisme.



À Madrid ces deux Wilson-là ont sévi. Fort heureusement on a surtout vu ici le Wilson qui fait des apports, qui enrichit les originaux, qui trouve dans un opéra, dans une pièce, un code caché passé inaperçu jusque-là. Heureusement -encore- ce Wilson-là est celui qui a réalisé cette mise en scène de Pelléas et Mélisande, lui-même, et non pas un assistant (pratique malheureusement trop courante aujourd’hui et tout à fait inacceptable). Wilson a repris sa mise en scène de Salzbourg (1997) où, comme il est de coutume chez lui, on fuit le réalisme, parce que Pelléas et Mélisande, et l’opéra en général, sont à l’opposé du réalisme. C’est le choix de la danse des acteurs (pas de mouvements, mais une danse) issue de plusieurs formes d’orientalisme ; ce sont les déplacements de personnages qui ressemblent à des statues « vivantes », hiératiques peut-être, tout comme une heureuse traduction visuelle du récitatif continu de Debussy, qui n’arrive presque jamais à la tension explicite, mais qui bouge, tout comme les postures et les gestes des personnages (sans affectations, sans grimaces); c’est aussi la traduction de cet accompagnement orchestral riche, pléthorique même, mais sans la prétention de se substituer aux personnages ; un orchestre qui n’existerait pas sans Wagner dans une fosse d’orchestre, mais qui est déjà en opposition avec un son excessif et luxuriant.



Mais pour le développement des mouvements lents, hiératiques, ceux des acteurs-qui-chantent, il faut une « absence » de décor et, en revanche, la « présence » d’une scénographie qui correspond à cette danse, à ce hiératisme est nécessaire : si l’acteur n’a pas d’ombre, le cyclorama créé par les silhouettes dessine des ombres aux contours nets ; mais, surtout, ce cyclorama constitue le paysage sur lequel on danse le drame, on chante la danse, et on dessine les formes. Une colonne, quand même: la Tour; un vêtement long: les cheveux de Mélisande. Pas d’objets, pas d’accessoires. La gravité irait à l’encontre de la lenteur des mouvements, et donc de la cérémonie de la vénération théâtrale. Pour cela, il faut aussi des lumières soignées pour l’acteur à deux dimensions, sans trop de relief, lointaine, contraire aux figures de la peinture-théâtre, éloignées de l’iconographie médiévaliste préraphaélite originelle de Pelléas et Mélisande, mais très lointaine aussi de la « nouvelle » iconographie : le salon bourgeois XIXe siècle, trop employé pour l’univers de l’Allemonde.



Après son interprétation extraordinaire de l’Ange de Saint François d’Assise, au début de l’été, on attendait avec impatience le retour de Camila Tilling, et elle n’a pas déçu. Le personnage souffrant dans le mystère de son passé incertain et la misère maladive de la cour familiale d’Allemonde est interprété avec la puissance mais, aussi, la retenue qu’elle traduit par un lyrisme profond et émouvant sans effet superflu, s’en tenant à la partition et aux souhaits du compositeur. Camila Tilling fait déjà partie de l’histoire de l’interprétation de ce rôle décisif du répertoire, 99 ans après sa création. Yann Beuron, délicat, lyrique, presque léger, est un Pelléas plus « garçon » que d’habitude, un choix légitime lorsqu’on a ses qualités vocales. Laurent Naouri est un Golaud formidable, la voix est élégante et, quand il le faut, passionnée et exaltée ; voix ronde, pleine, d’un beau timbre et d’une autorité superbe. La soirée a vu le triomphe du couple protagoniste, mais aussi celui de Franz-Josef Selig, en Arkel ; une voix profonde et pleine de vigueur dont les qualités n’ont pas échappé au public. Le pari d’Yniold a été gagné lui aussi: Séraphin Kellner, petit chanteur des Tölzer Knabenchor, défend très bien le rôle du fils de Golaud. La distribution est soignée jusqu’au détail, et Hilary Summers (Geneviève) et Jean-Luc Ballestra (Docteur) sont à l’aise vocalement et dans la mobilité de la « danse ».



Il faut souligner l’intérêt particulier de voir Sylvain Cambreling diriger, en l’espace de moins de quatre mois, deux grands chefs d’œuvre du répertoire français (début du siècle pour Pelléas, fin du millénaire pour Saint François d’Assise, et le même héritage, malgré tout). La maîtrise et l’inspiration font bon ménage chez Cambreling. Et l’entente avec l’orchestre, en bonne forme, semble irréprochable (avec Saint François ce n’était pas l’orchestre titulaire du Teatro Real). Le sens de la finesse et de la suggestion triomphent dans la sensibilité propre de ce chef.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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