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Oreille neuve Paris Salle Pleyel 10/31/2011 - Friedrich Cerha : Paraphrase über den Anfang der 9. Symphonie von Beethoven (création française)
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 9, opus 125
Christiane Oelze (soprano), Annely Peebo (mezzo), Kor-Jan Dusseljee (ténor), Thomas E. Bauer (baryton)
Chœur de Radio France, Matthias Brauer (chef de chœur), Gewandhausorchester Leipzig, Riccardo Chailly (direction)
R. Chailly
Ce n’est pas souvent que le Gewandhaus vient à Paris pour cinq concerts – c’est le moins qu’on puisse dire. Il pouvait donc y avoir quelque regret à ce qu’il se présente avec un projet certes cohérent (et concomitant à une toute récente parution discographique) mais le plus bateau qui soit en matière orchestrale: une énième intégrale des Symphonies de Beethoven, nourriture certes toujours stimulante mais dont le public de la capitale n’a jamais vraiment été sevré. Riccardo Chailly, Gewandhauskapellmeister depuis six ans, n’est cependant pas homme à se contenter d’une perspective aussi routinière et a donc décidé de pimenter l’exercice de deux manières, en répondant de façon assez originale à deux questions: que jouer avec Beethoven et comment jouer Beethoven?
La réponse à la première question prend la forme d’une fausse bonne idée, consistant à demander à cinq compositeurs européens de concevoir une œuvre d’un quart d’heure, chacune en relation avec l’une des symphonies au programme. L’initiative est séduisante sur le papier, bien sûr, car il est toujours bon d’encourager la création et de frotter le public de Beethoven à la musique de notre temps. Mais si les commandités n’ont pu qu’être flattés d’avoir été sollicités par la prestigieuse phalange lipsienne, le défi qui leur était ainsi lancé avait de quoi les impressionner: supporter la confrontation avec un aîné d’autant plus intimidant qu’ils avaient la contrainte de s’y référer un tant soit peu, tout en essayant d’échapper au piège de la pièce de circonstance. Dès lors, de la confrontation à la comparaison, le pas était si aisé à franchir qu’il ne pouvait que les desservir.
Après Steffen Schleiermacher, Carlo Boccadoro, Colin Matthews et Bruno Mantovani, c’est au plus âgé d’entre eux, Friedrich Cerha (né en 1926), qu’il revient de conclure cette série. Le compositeur autrichien, dont on a pu entendre le Concerto pour violoncelle à Pleyel voici dix ans, demeure avant tout connu pour ses activités de chef avec l’ensemble Die Reihe et pour avoir réalisé le troisième acte de Lulu, d’ailleurs représenté en ce moment même à Bastille. L’avenir dira s’il ne passera à la postérité, comme Franco Alfano à l’égard de Turandot de Puccini, que pour avoir achevé le second opéra de Berg, mais sa Paraphrase sur le début de la Neuvième Symphonie de Beethoven (2010) ne manque ni de qualités ni de souffle. Malgré son titre et bien que faisant appel à un nombre strictement identique de musiciens, cette page tient moins du commentaire que de la réminiscence, nettement perceptible dans les premières mesures, où les quintes et quartes descendantes caractéristiques du début de la symphonie sont égrenées avec douceur par les percussions métalliques sur fond de notes tenues des cordes et bois. Alternant épisodes lyriques ou statiques et violents paroxysmes pour s’achever sur un accord parfait mineur des trombones, l’écriture, puissante et d’une grande densité contrapuntique, ne dissimule pas sa parenté avec la seconde Ecole de Vienne et ses descendants (Hartmann, Henze).
La réponse à la seconde question vient avec la Neuvième Symphonie (1824), après un entracte d’une utilité fort douteuse, succédant à seulement douze minutes de musique. Face à une formation saxonne pétrie d’une tradition bicentenaire, le chef italien rebat complètement les cartes: désormais, on admire moins l’orchestre pour ses textures séduisantes – même si, par exemple, le récitatif des violoncelles et contrebasses au début du Finale reste un moment d’anthologie – que pour sa capacité d’adaptation et de réaction, pour sa transparence et sa virtuosité: les fugatos, dans le Scherzo comme dans le Finale, apparaissent ainsi d’une clarté et d’une précision bluffantes. Le soin apporté au dosage entre les pupitres, la volonté de faire ressortir des voix secondaires mais aussi des coquetteries dans les nuances dynamiques – la dernière note piano du Scherzo – et des choix agaçants – ces reprises du Scherzo qui n’en finissent pas de revenir, même après le Trio – tout témoigne d’une profonde remise en cause du texte qu’il serait à la fois excessif et trop commode de réduire au travail des «baroqueux» sur ce répertoire, malgré d’indéniables similitudes, comme ces timbales qui claquent sèchement ou ces grandes vagues chorales évoquant les oratorios haendéliens que Beethoven admirait tant.
Car on pense ici au moins autant à Toscanini qu’à Harnoncourt, avec cette urgence, cette manière d’aller sans cesse de l’avant et de dramatiser le propos – réexposition du premier thème et coda du premier mouvement tout à fait saisissantes – quitte à manquer de souplesse et à durcir la sonorité. Chailly invite à reconsidérer radicalement et à écouter d’une oreille neuve cette Neuvième lestée par les ans de tant de considérations extramusicales et de mauvaises habitudes interprétatives, même si le résultat confine parfois à la froideur, à l’intransigeance ou à l’abstraction. Partition sous les yeux, il opte généralement pour des tempi rapides: s’il ne précipite pas l’Adagio, qui manque plus de respiration que de lenteur, de mysticisme que de luminosité, d’attendrissement que de maîtrise, il confère au Finale un esprit de conquête davantage que de célébration. Les forces vocales apportent une contribution hélas inégale à cette captivante entreprise: préparé par son directeur musical Matthias Brauer (un Saxon, mais de Dresde), le Chœur de Radio France s’investit avec vaillance et énergie. En revanche, on va de Charybde en Scylla avec le quatuor soliste, qui a pris place au premier rang de la tribune du chœur à la faveur de la pause entre les deuxième et troisième mouvements: baryton se croyant à l’opéra, ténor calamiteux, soprano vociférant des aigus instables, il n’y a guère que la mezzo estonienne Annely Peebo qui parvienne à tirer son épingle du jeu.
Salué dès le début de la soirée par une longue ovation, l’orchestre est accueilli par de nombreux rappels qui marquent la fin de ce cycle. Riccardo Chailly, pour sa part, reviendra à quatre reprises en février et mars prochains à Pleyel pour deux programmes (Ravel puis Gershwin) à la tête de l’Orchestre de Paris, avec lequel il ne s’est pas produit depuis 1985.
Le site de Friedrich Cerha
Simon Corley
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