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Grisaille et ténèbres

Toulon
Opéra
10/07/2011 -  et 9, 11*, 13 octobre 2011
Charles Gounod : Faust

Sébastien Guèze (Faust), Nathalie Manfrino (Marguerite), Askar Abradzakov (Méphisto), Franco Pomponi (Valentin), Blandine Staskiewicz (Siébel), Sophie Pondjiclis (Dame Marthe), Marc Labonnette (Wagner)
Ballet de l’Opéra de Toulon, Erick Margouet (direction), Chœur de l’Opéra de Toulon, Christophe Bernollin (direction), Orchestre de l’Opéra de Toulon, Antony Hermus (direction musicale)
Paul-Emile Fourny (mise en scène), Poppi Ranchetti (décors), Véronique Bellone (costumes), Jacques Chatelet (lumières)


(© Frédéric Stéphan)


Bien plus qu’à Paris, c’est donc à Toulon qu’il fallait se rendre ce mois-ci pour voir et écouter un Faust à tout point de vue enthousiasmant. Après une Damnation de Faust électrisante en septembre dernier à Nice et avant un Mefistofele fort alléchant sur le papier à Monte-Carlo le mois prochain, la Côte d’Azur fait ainsi la part belle au mythe de Faust à travers les trois principales adaptations lyriques du chef-d’œuvre de Goethe.


Pour bien connaître le travail de Paul-Emile Fourny, nous pensons qu’il s’agit là de son spectacle le plus abouti, visuellement et intellectuellement le plus convaincant qu’il nous ait été donné de voir. Intéressante idée que d’avoir transposé l’action pendant la Première Guerre mondiale, ce qui permet de trouver des associations concluantes et des éclairages nouveaux à des situations facilement conventionnelles. Dans une scénographie constituée essentiellement de ruines dans un camaïeu de gris (hors le rouge, attribut de Méphisto), ce Faust désabusé, empli de ténèbres, court dès le début vers la tragédie finale. Le départ de Valentin pour la guerre devient ainsi le symbole de toute une génération sacrifiée, partie avec vaillance mais non sans appréhension, et fauchée en pleine jeunesse. Mais c’est la figure de Marguerite qui semble avoir le plus inspiré le metteur en scène belge. Elle apparaît d’emblée comme une malheureuse victime, manipulée par un Méphisto omniprésent jusque dans l’air des bijoux ou les retrouvailles des amants. Fourny n’hésite pas à nous la montrer dans des scènes «crues», se donnant à Faust ou en train d’accoucher dans l’église. Dans la scène si saisissante du cachot, elle parvient à se libérer de son cauchemar terrestre pour réapparaître resplendissante dans le halo d‘une lumière rédemptrice, son enfant retrouvé au Ciel dans les bras. Cette image finale, sorte d’apothéose au sens propre du terme, est d’une beauté fulgurante et suscite une émotion qui étreint longtemps la gorge du spectateur après la fin du spectacle.


La distribution ici réunie porte haut le chant français. Malgré un timbre peu séduisant, le Faust du jeune ténor Sébastien Guèze est une révélation. Sa vaillance, ses qualités de mélodiste, sa prononciation châtiée du français et son engagement dramatique en font un des titulaires du rôle les plus accomplis du moment. Son grand air du III «Salut! demeure chaste et pure» – qu’il achève dans le plus impalpable des piani ainsi qu’avec une longueur de souffle inouïe – s’avère une leçon de style.
Sa Marguerite trouve en Nathalie Manfrino une artiste se situant sur les mêmes hauteurs. Elle incarne la plus touchante, la plus bouleversante des Marguerite, passant avec aisance des émois de la jeune fille timide aux élans de la femme passionnée, pour finir en héroïne tragique. Elle assure crânement ce rôle vocalement périlleux et ses importants moyens de lirico font mouche dans la scène de la chambre et plus encore dans celle de la prison. Malgré sa voix désormais opulente, elle n’en négocie pas moins bien les brillantes vocalises du célèbre air des bijoux après avoir ciselé, telle une orfèvre, la superbe ballade du roi de Thulé. Une très grande Marguerite!
La basse russe Askar Abdrazakov (Méphisto) triomphe également grâce à sa classe d’interprète, la sobriété de son chant et son timbre caverneux. Son diable sournois, plein d’humour grinçant, ne bascule jamais cependant dans la caricature, soutenu par un chant noble et contrôlé, et une diction – en dépit d’un léger accent – quasi impeccable. Franco Pomponi campe un beau Valentin, mené avec style même s’il se laisse parfois déborder par sa puissance vocale et il nous rend presque sensible à ce personnage linéaire et plutôt antipathique.
Dame Marthe est bien croquée par la mezzo Sophie Pondjiclis, à la fois pleine d’humour et très musicale. Blandine Staskiewicz incarne un Siébel attendrissant et plein de fraîcheur, lorgnant vers le Chérubin mozartien par son côté d‘adolescent transi. Il faut aussi mentionner Marc Labonnette qui parvient à s’imposer dans les quelques répliques de Wagner, ce qui n’est pas si facile.


Quant à l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, c’est bien simple, on ne l’avait jamais entendu sonner aussi merveilleusement bien! Le jeune et fougueux chef néerlandais Antony Hermus nous a tout simplement fait redécouvrir cette partition. Lyrique à souhait, extraordinairement attentive aux chanteurs comme à la cohésion des pupitres, jouissive de par sa dynamique et sa pulsation, sa lecture du chef-d’œuvre de Gounod éclaire le spectacle de ses évidences. Les chœurs maison, magnifiques de cohésion et de vaillance, ne méritent également que des louanges et c’est à juste titre qu’une interminable ovation a été offerte par le public à l’ensemble des protagonistes de cette fabuleuse soirée.



Emmanuel Andrieu

 

 

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