About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le peintre et son modèle

Paris
Opéra Bastille
10/06/2011 -  et 9, 12, 17, 20, 23, 26, 29 octobre
Richard Wagner : Tannhäuser
Christof Fischesser (Hermann), Christopher Ventris (Tannhäuser), Stéphane Degout (Wolfram von Eschenbach), Stanislas de Barbeyrac (Walther von der Vogelweide), Tomasz Konieczny (Biterolf), Eric Huchet (Heinrich der Schreiber), Wojtek Smilek (Reinmar von Zweter), Nina Stemme (Elisabeth), Sophie Koch (Venus), Sophie Claisse, Anne-Sophie Ducret, Virginia Leva, Xenia d’Ambrosio (Vier Edelknaben), Elix Le Saux/Laura Muller (Ein junger Hirt)
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Sir Mark Elder (direction)
Robert Carsen (mise en scène)


N. Stemme, S. Degout, S. Koch
(© Opéra national de Paris/Elisa Haberer)



Dans l’atelier du peintre, sur un matelas, voluptueusement étendue, le modèle, la Muse, qui remplace Vénus, dont le Mont a des airs d’Origine du monde de Courbet. Tannhäuser a troqué la harpe pour le pinceau. Ses doubles – ou ses disciples – se livrent à une bacchanale masochiste où la peinture rouge ressemble à du sang, évident symbole, omniprésent jusqu’à la fin, de l’origine sexuelle de la création. Un Tannhäuser en conflit avec une société conformiste voulant le soumettre à la loi de l’esthétiquement correct et manquant le lyncher pendant le concours – dans la galerie d’art très design du Landgrave où il faut se montrer... et s’empiffrer. Le Tannhäuser de Robert Carsen est éminemment baudelairien – un peu comme si Vénus ressuscitait Jeanne Duval et Elisabeth Madame Sabatier. Cent cinquante ans après la première houleuse de l’Opéra à Paris, dont le poète se remit à peine, c’est un retour aux sources. En transposant sur le plan esthétique le conflit de la chair et de l’esprit, le metteur en scène canadien touche juste – la croix n’a pas disparu, elle est l’armature des tableaux portés par les pèlerins. Les frontières s’effacent, d’ailleurs : fascinés par Tannhäuser, Elisabeth et Wolfram, au troisième acte, reviennent dans son atelier. Elle se jette sur le matelas de Vénus, révélée à son propre désir… lui non plus n’est pas si éthéré – Carsen ne va cependant pas, ici, aussi loin qu’Olivier Py à Genève. La fin, du coup, tranche sur la lettre de l’œuvre : Elisabeth et Venus, toutes deux vêtues du drap blanc, deviennent jumelles, Wolfram devient le double d’un Tannhäuser réconcilié avec lui-même et enfin reconnu. Dans la galerie où sont exposées les toiles les plus sulfureuses de l’histoire de la peinture, telles Olympia ou Les Demoiselles d’Avignon, on applaudit – post mortem ? – celui qu’on conspuait. Nul, pourtant, ne verra son tableau : éternelle énigme de la création. Pertinente idée, donc, parfaitement orchestrée, comme toujours chez Carsen, aidé par des chanteurs qui jouent vrai et sans outrance. Un rien de raideur, cependant, dans les déplacements des invités, même s’ils représentent la rigidité des certitudes. Il n’était pas utile, non plus, de les faire arriver par la salle : on avait bien compris qu’ils pouvaient s’identifier au public… De même, faire chanter « Dich, teure Halle » par une Elisabeth à moitié assise sur la rampe de l’orchestre n’ajoute rien à la chose. La reprise, quoi qu’il en soit, se justifiait, après les représentations souvent avortées pour cause de grève de 2007.


Vocalement, le plateau tient assez bien ses promesses. On attendait beaucoup de l’Elisabeth de Nina Stemme, que l’Opéra n’avait pas encore invitée. Ses Isolde, ses Brünnhilde ont élargi la voix – sans évidemment en émousser le vibrato consubstantiel – et lui ont enlevé de sa lumière : voici donc une Elisabeth plus mûre, plus sombre qu’à l’accoutumée. Est-ce encore vraiment la nièce du Landgrave ? Un être de chair en tout cas, vibrant, rien moins que vierge éthérée. Mais on admire surtout l’art de la déclamation wagnérienne, la fusion entre le texte et la musique – la prière n’est plus seulement un air d’opéra et l’on comprend que le « Haltet ein ! », au deuxième acte, calme les fureurs de la foule. Sa composition, de ce point de vue, a beaucoup gagné depuis la production genevoise d’Olivier Py – même si elle paraît moins spontanée. Sophie Koch, dont le profil de wagnérienne s’affirme de plus en plus, n’avait pas encore abordé Vénus. Diablement sensuelle, cette muse modèle, jamais courtisane ou femme fatale en fin de course, avec cette chaleur enveloppante du timbre – on pense parfois à Christa Ludwig. Il n’empêche : si la beauté du phrasé séduit, la tessiture de la déesse convient-elle à cette voix tirant de plus en plus vers le soprano ? A partir du bas médium, la voix se troue et tout sonne creux. Est-elle encore un vrai mezzo ?


Christopher Ventris, lui aussi, a-t-il le format de Tannhäuser ? On ne peut s’empêcher d’entendre, à travers le Minnesänger, le Parsifal qu’il faut in loco. Tannhäuser est, de toute façon, l’un des rôles wagnériens les plus difficiles, surtout à cause du premier acte – comme Tristan, malgré les apparences : les intervalles de l’hymne à Vénus ont eu raison de la plupart des interprètes. Au moins le ténor anglais chante-t-il plutôt juste, très prudent au demeurant, voire frileux, frôlant parfois l’accident dans l’aigu, stylé en tout cas. Cela, en même temps, ne messied pas au héros écartelé, qu’il parvient à incarner vraiment. Le deuxième acte le montre plus à l’aise, à condition de ne pas exiger une vaillance dont il est décidément dépourvu. A lui comme à beaucoup d’autres le récit du retour de Rome, qui fait tellement penser à la mort de Tristan, réussit le mieux : il nous y émeut, ne serait-ce que par cette humanité fragile qu’il a, depuis le début, mise dans son Tannhäuser, défait psychologiquement mais pas vocalement, toujours stylé. Finalement, un seul n’appelle aucune réserve : le Wolfram de Stéphane Degout, d’une tenue, d’une noblesse exemplaires. La voix se projette infiniment mieux que celle de Mathias Goerne, elle a davantage de bronze et de générosité dans le timbre. Et le Français n’a rien à envier à l’Allemand pour galber la ligne, modeler la phrase comme s’il chantait un lied. C’est l’image de ce Wolfram à la fois serein et inquiet qui reste en mémoire quand on sort de Bastille. Bel ensemble de Minnesänger, d’où se détache le Biterolf imposant, au timbre noir, de Tomasz Konieczny, sous la houlette du digne Landgrave de Christof Fischesser, dont le grave manque cependant un peu de profondeur. Last but not least, le chœur s’impose comme un vrai personnage, d’une magnifique homogénéité malgré quelques faiblesses dans l’aigu des dames.


Chef au répertoire quasi inépuisable, qui s’est fait la baguette en dirigeant presque tout à l’English National Opera, Sir Mark Elder connaît son Wagner par cœur. L’Ouverture et le premier acte révèlent pourtant des failles dans une direction plus apollinienne que dionysiaque, soucieuse de clarté plus que de dynamique, plus plastique que théâtrale, où Wagner prolonge Weber – cette œuvre assez hybride, du coup, si elle devient moins prophétique, gagne en unité. Elle trouve progressivement ses marques, baignant le troisième acte – superbes bois dans la prière – dans une lumière rédemptrice.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com