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Lucerne en voyage

Baden-Baden
Festspielhaus
10/06/2011 -  et 8 (Paris), 11 (London) octobre 2011
Wolfgang Amadeus Mozart: Symphonie n° 35 en ré majeur, K. 385 «Haffner»
Anton Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur

Lucerne Festival Orchestra, Claudio Abbado (direction)


(© Stephanie Schweigert)


Avant d’entamer une courte tournée européenne le Lucerne Festival Orchestra vient de se reconstituer hors de ses murs habituels, dans un Festspielhaus de Baden-Baden qui a servi aussi de lieu de rassemblement et de répétition pour cette formation qui n’a pas d’existence permanente mais réunit des musiciens de provenances très différentes en vue d’événements symphoniques ponctuels. L’acoustique favorable de la salle et le charme de la station thermale des bords de l’Oos ont contribué à l’excellente ambiance de ces répétitions, l’équipe relationnelle du Festspielhaus sachant toujours se montrer experte dans ce type d’hospitalité, en l’occurrence généreuse puisque l’on a même pu voir passer à Baden-Baden la pianiste Mitsuko Uchida, pour la séance de travail d’un Concerto pour piano de Schumann qui ne sera pas joué sur place mais à Londres ensuite, le 10 octobre.


Cette joie de se retrouver ensemble dans un lieu confortable, sous la direction d’un grand maître dont le rayonnement humain et l’expérience ne se commentent plus, transparaît à l’évidence dans ce premier concert de la tournée, où l’on peut vraiment goûter les caractéristiques d’un orchestre dont la sonorité ne ressemble à aucune autre. On n'y retrouve pas tout à fait l’homogénéité des formations de prestige habituelles du circuit international mais une sorte de chaleur irradiante des timbres qui naît de l’agglomération de tant de tempéraments de musiciens qui présentent tous le point commun d’être des premiers pupitres de grands orchestres ou des chambristes chevronnés. Dans la 5e Symphonie de Bruckner il est même amusant de voir les violoncellistes et les contrebassistes s’ébrouer dans leurs parties monotones, longs alignements de notes répétées qu’ils détaillent avec d’autant de vivacité et de bonne humeur que s’ils jouaient des traits de La Truite de Schubert. Une soirée humainement différente, dont le croisement avec un univers brucknérien jusqu’ici peu abordé par cet orchestre ne pouvait donner que des résultats eux aussi très particuliers.


L’une des images qui reviennent le plus souvent dès que l’on parle de Bruckner est cette fameuse notion de «cathédrale musicale» que chacune de ses symphonies est censée bâtir. Or ce lieu commun ne fait jamais que souligner les aspects naïfs et laborieux d’une création brucknérienne qui n’a peut-être pas grand chose à gagner d’être envisagée de ce seul point de vue. Ce qui nous a semblé original voire unique dans l’approche d’Abbado et de son orchestre, est justement la prise à contrepied de cette perspective vertigineuse. Ici le monument n’existe plus vraiment, ou du moins ses pierres paraissent descellées, anguleuses, irrégulièrement assemblées, existant chacune pour elle-même autant qu’à titre d’élément d’une architecture d’ensemble. Une nature capricieuse semble avoir repris ses droits, envahissant les éléments d’un édifice romantique ruiné façon Caspar Friedrich, où la mousse pousse sur les fûts de colonne et le lierre s’enroule autour d’arcs ogivaux brisés. La visite devient passionnante, aventureuse, pleine de surprises. Chaque détail paraît nouveau, et surtout difficile à déduire de ce qui précède. Une méthode efficace pour faire mieux accepter les hiatus d’une écriture parfois horripilante par ses ruptures abruptes et ses enchaînements défectueux (car les cathédrales brucknériennes, quoique leurs thuriféraires puissent en prétendre, sont quand même très bizarrement et instablement construites...). Abbado lit ici la Cinquième Symphonie de Bruckner exactement comme il est capable de parcourir les Pièces pour orchestre Op. 6 d’Alban Berg, tous les sens en éveil à l’affût de la beauté de chaque instant. Et la méthode fonctionne à la perfection dans les deux premiers mouvements, servis par une masse de cordes très abondante (qui souligne a contrario la parcimonie relative de l’œuvre en cuivraille : 4 cors, trois trompettes, trois trombones et un tuba, qui ne s’expriment de surcroît pas si souvent que cela). Même le Scherzo retrouve ses fonctions ludiques originelles grâce à de multiples originalités, dont de savoureuses attaques humoristiques des contrebasses. Le Final, évidemment, ne peut éviter qu’un ennui relatif s’installe mais on ne peut qu’admirer l’intelligence avec laquelle Abbado échafaude (car cette fois il faut bien construire !) une grande péroraison qui perd tout caractère simpliste, traitée davantage comme l’onde de choc titanesque de ce qui précède que comme le tintamarre habituel annonçant que les festivités sont terminées.


En début de soirée la Symphonie «Haffner» paraît envisagée dans un esprit relativement léger, voire franchement «sérénade» pour le troisième mouvement. Mais aucune impression de superficialité ne se dégage, tant la richesse en détails justes interpelle à chaque instant. Le rebond idéal de l’ornementation, la transparence des textures qui laisse un maximum de densité et de brillant à chaque intervention d’une petite harmonie de rêve, tout cela relève autant d’un travail acharné que d’une spontanéité de l’instant qui paraît miraculeusement préservée. Au point d’ailleurs que le tempo ne paraît pas toujours stable, Abbado ayant souvent la coquetterie d’attaquer chaque mouvement vite pour ralentir ensuite un rien l’allure quand le propos devient plus dense. On notera aussi quelques méthodes un peu trop prévisibles, telle cette habitude d’alléger systématiquement la fin des phrases pour dynamiser l’agogique. Mais tout ceci fonctionne à un tel niveau de musicalité que l’état de grâce se maintient de bout en bout. Cela dit, pour le public local, habitué de longue date aux performances mozartiennes de l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg dirigées par Hans Zender, la surprise doit être ici un peu moins grande que pour un public festivalier habituel, tant les analogies de lecture sont parfois frappantes, même si la qualité de son des pupitres de Lucerne se révèle encore supérieure.


Festspielhaus presque comble (Bruckner a peut-être creusé un déficit de quelques dizaines de places, pour ce concert qui n’était pas donné à guichets fermés), silence religieux d’un public allemand remarquablement attentif et discipliné, énorme bouquet remis sur scène au maestro par l’intendant Andreas Möhlich-Zebhauser en personne : tous les ingrédients d’un vrai festival étaient présents. L’esprit si particulier de Lucerne s’exporte bien...



Laurent Barthel

 

 

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