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Correspondances: les brumes du romantisme français Paris Amphithéâtre Bastille 09/27/2011 - et 29 septembre 2011 Gabriel Fauré : La Chanson du Pêcheur (Lamento), opus 4 n° 1
Reynaldo Hahn : Seule – Infidélité
Charles Gounod : La Chanson du Pêcheur (version de 1841) – Ma belle amie est morte (version de 1872)
Henri Duparc : Lamento
Franz Schubert : Ave Maria, D. 839 (version française de Gautier)
Robert Schumann : Märchenbilder, opus 113 – Dichterliebe: «Aus meinen Tränen spriessen», opus 48 n° 2 (version française de Gautier)
Jules Massenet : L’Esclave
Ernest Chausson : La Dernière Feuille, opus 2 n° 4 – Les Papillons, opus 2 n° 3
Manuel de Falla : Trois Mélodies: «Les Colombes» – «Chinoiserie» – «Séguidille»
Adolphe Adam : Giselle: «Pas de deux» (*)
Françoise Masset (soprano), Laurent Verney (alto), Nicolas Stavy, Elena Bonnay (*) (piano), Jacques Bonnaffé (récitant), Clairemarie Osta (danseuse étoile), Mathieu Ganio (danseur étoile)
F. Masset (© Frédéric Jean)
Les commémorations qui ponctuent l’année musicale ne se limitent pas aux mahlériades et au bicentenaire Liszt. La même année que le compositeur hongrois naissait plus à l’ouest Théophile Gautier. Il pourrait sembler surprenant pour une institution lyrique à l’image de l’Opéra de Paris de célébrer un poète. Ce serait négliger combien le parnassien d’Emaux et Camées a fourni aux musiciens la matière textuelle de maintes mélodies, et qu’il est aussi l’auteur de l’argument de Giselle – n’oublions pas que Carlotta Grisi, créatrice du rôle, fut le grand amour de la vie de l’écrivain. Le public ne s’y est pas trompé en faisant salle comble pour les deux représentations.
Le programme fait entrer en résonnance le lyrisme mélancolique des poèmes avec la verve acerbe du critique, dans une alternance entre déclamation et chant, mettant en correspondance les rhétoriques dans un esprit tout à fait baudelairien. Nous sommes introduits dans l’univers de Gautier par Emile Bergerat et des extraits de ses Entretiens, souvenirs et correspondances, évoquant un homme à l’érudition vaste et à l’originalité toujours renouvelée. La truculence de Jacques Bonnaffé accentue justement l’ironie ravageuse de la Préface de Mademoiselle de Maupin, privilégiant la vivacité de l’incarnation. La Lettre à Gérard de Nerval porte un regard sur un visage ami. Le sens de la dérision éclate dans la description de l’argument de Giselle et les Willis. Au lieu de nous entretenir de la légende de Heine, l’auteur détricote le canevas des exigences du ballet avec une désinvolture réjouissante.
On a voulu disqualifier Les Nuits d’été, pour faire découvrir des pages méconnues du grand répertoire. L’ombre de Berlioz plane cependant sur La Chanson du Pêcheur. La partition de Fauré est un lamento délicat où l’on reconnaît la sensibilité du compositeur, tandis que la première version écrite par Gounod en 1841 tend davantage la tessiture vers le haut et révèle l’influence schumanienne ainsi que des accents schubertiens. Dans le Lamento, présent aussi dans le cycle du grand Hector, Duparc commence par une déploration lente avant de frémir d’une agitation évocatoire, avec un sens de la dramaturgie que l’on retrouve dans Seule, de Reynaldo Hahn.
La sensibilité de Gautier aux brumes et aux harmonies germaniques l’a conduit à donner une traduction française à l’Ave Maria de Schubert, à l’accompagnement en ostinato idiomatique. «De mes larmes brillantes» est tiré du travail similaire opéré sur le texte de Heine et s’adapte admirablement à la musique de Schumann – le lied est extrait des Amours du poète. Les Märchenbilder pour alto et piano font entendre les volutes de l’alto de Laurent Verney, premier alto solo de l’orchestre de la maison, et confirment le sens de la nuance dont est doué Nicolas Stavy.
L’Esclave de Massenet offre un avatar du goût pour l’exotisme. Infidélité, de Reynaldo Hahn, exige un allégement certain de la voix, et Françoise Masset en négocie avec un instinct infaillible les difficultés, préservant la souplesse de l’émission. La Dernière Feuille et Les Papillons rendent un hommage à l’art subtil de Chausson. Manuel de Falla est plus connu pour ses évocations du folklore hispanique. Pendant sa résidence à Paris, de 1907 à 1914, il fit la connaissance de Debussy et Ravel. Les Colombes sont teintées d’impressionnisme, tandis que la Chinoiserie apporte un tribut à l’orientalisme de l’époque, reconnaissables aux stylisations rythmiques de l’accompagnement. La Séguidille se fait révérence à l’hispanophilie lancée entre autres par Gautier – et que Mérimée et Bizet ne feront que continuer.
Les balletomanes ne sont pas en reste, et peuvent admirer le «Pas de deux» du second acte de Giselle, introduit par une présentation désinvolte. Mathieu Ganio incarne admirablement l’amoureux éperdu pour le fantôme de sa bien-aimée, équilibrant la vigueur de la virtuosité au sentiment. Clairemarie Osta apparaît sous une sérénité blafarde lézardée d’inquiétude. L’engagement de l’interprétation, tirant parti de la proximité inhabituelle avec le public, et malgré un revêtement de sol ingrat, arrache des applaudissements mérités.
On conclut sur la lecture du Spectre de la rose et la deuxième version de Ma belle amie est morte, composée par Gounod en 1872, resserrée sur la première strophe, en un hommage vibrant au poète juste décédé. La traversée s’achève sur les qualités qui ont illuminé la soirée: la clarté exemplaire de la diction de Françoise Masset, associée à un sens inné de la caractérisation, et le soutien attentif de Nicolas Stavy.
Le site de Françoise Masset
Le site de Nicolas Stavy
Gilles Charlassier
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